Avalon
CONTRE
Mamoru
OSHII possède un style hypnotique qui fait de lui l'un des cinéastes
japonais les plus singuliers de sa génération. De Tenshi no Tamago à
Ghost in the shell, des deux Patlabor à Jin-Roh -dont il a écrit le
script-, OSHII a développé un univers foisonnant, troublant, souvent
très allusif. S'adressant au moins autant à la raison qu'à la sensibilité,
les oeuvres d'OSHII sont extrêmement verbeuses, mais elles sont également
jalonnées de morceaux de cinéma pur, comme ces étranges séquences de
description urbaine qui suspendent sporadiquement la narration. Des
séquences lentes, muettes et presque hors du temps, somptueusement mises
en musique par Kenji KAWAI, et faites de longs plans fixes magnifiquement
construits et de travellings discrets.
Le scénariste attitré d'OSHII,
Kazunori ITO, tisse des intrigues effroyablement denses, où s'entremêlent
la politique, la philosophie, la religion et la technique. Opaques,
sibyllins, compacts, les films d'OSHII livrent leur signification très
progressivement, après avoir vécu et grandi dans le crâne du spectateur.
Chaque vision leur donne davantage de valeur, d'ampleur, de résonance.
D'une extraordinaire richesse sémantique, les oeuvres du réalisateur
sont fondées sur des non-dits, des symboles et des références variées
(notamment à la Bible), qui ouvrent de multiples niveaux de lecture
et agissent puissamment sur notre inconscient. Evidemment, cette complexité
ne favorise pas l'entrée du profane dans le monde d'OSHII.
Et Avalon ne fait pas exception
à la règle : il s'agit d'un film exigeant, difficile, cryptique. Le
problème, c'est que cette fois-ci, cet hermétisme semble cacher un vide
scénaristique total. Avalon suit le parcours de Ash, une jeune femme
pratiquant intensivement un jeu interdit, aussi réaliste que dangereux
puisqu'il peut mener à la mort. Persuadée de l'existence d'un niveau
caché, elle va chercher à le trouver sans se douter de ce qui l'attend...
La quête de Ash, qui renvoie vaguement au cycle arthurien, est dépourvue
de réels enjeux dramatiques et de rythme. Pire : elle ne stimule jamais
l'imagination, les sens et l'intellect comme avaient pu le faire les
meilleurs films du maître. Avalon ne frôle pas un seul instant les sommets
de poésie, d'incarnation, de sensualité et de substance atteints par
Ghost in the shell ou Patlabor 2. Le style d'OSHII est comme vidé de
sa matière, réduit à une série de postures auteurisantes. A cet égard,
les scènes interminables et abominablement ennuyeuses où l'héroïne prépare,
avec force détails, la pâtée de son chien, sont édifiantes. De quoi
laisser perplexe les fans les plus acharnés du cinéaste.
Certes, le traitement visuel du
film, tourné en live puis longuement retouché à la palette graphique,
est inédit (même si les tons ocre et sépia rappellent Element of crime
de Lars VON TRIER), et exprime idéalement la facticité des univers virtuels
que parcourt Ash. Quant aux scènes d'action, découpées et cadrées avec
un refus de l'emphase et une élégance typiques d'OSHII, elles sont brillantes.
Mais elles constituent à peine quinze minutes du métrage, et ne suffisent
pas à sauver un film par ailleurs vide et soporifique.
Alors, chef-d'oeuvre impénétrable,
ou film complaisant d'un auteur immense auquel la liberté artistique
n'a, pour le coup, pas réussi ? On voudrait bien laisser le bénéfice
du doute à OSHII. Mais après Ghost in the shell, classique instantané
du cinéma de science-fiction qui concentrait l'essence du style du réalisateur
en 75 minutes sublimes, fulgurantes et passionnantes, Avalon paraît
étonnamment fade. Une terrible déception, que le temps et les visions
répétées viendront peut-être, on l'espère, relativiser.
Pierre Gaultier
POUR
Avalon,
c'était un peu la grande promesse de Mamoru OSHII. Précédée par les
propos dithyrambiques d'un James CAMERON traumatisé par le cinéaste
japonais, annoncé comme un grand choc esthétique par une critique tout
acquise au fabuleux Ghost in the shell, sa sortie plongera finalement
les fans dans des abîmes de perplexité. Sans prétendre égaler la connaissance
encyclopédique qu'a Pierre de la filmographie du maître, Avalon m'apparaît
comme une œuvre audacieuse, moins opaque qu'on veut bien le prétendre
et novatrice sur au moins deux points : son inventivité dans la narration
reposant sur des réalités multiples et une audace formelle cadrant totalement
avec le propos.
Comme on pouvait s'y attendre,
Avalon souffre d'une comparaison presque systématique avec l'eXistenZ
de CRONENBERG. Tout en traitant de thèmes sensiblement similaires (le
jeu vidéo, les réalités alternatives…), l'approche narrative du Canadien
était pourtant beaucoup plus frileuse. L'enjeu d'eXistenZ repose finalement
sur une classique quête de la vérité : où se situe le réel ? Où commence
le jeu et où s'arrête-t-il ? D'où la tarte à la crème finale : tout
le monde se déconnecte, on soupire, un individu sort un pistolet et
oh surprise ! le jeu n'est pas terminé, il se poursuit dans ce que nous
pensions être le réel… Acrobatie convenue d'une boucle scénaristique
propre à chavirer les convictions du spectateur sans trop se mouiller.
Le cas Avalon est beaucoup plus
intrigant. Inutile ici de tenter de se raccrocher à la recherche du
vrai, tout niveau de réalité n'étant qu'une partie du jeu. Là où
CRONENBERG choisit la boucle, OSHII construit dans la verticalité. Bien
sûr la logique voudrait que le langage cinématographique nous laisse
quelques balises de repère : ces superbes explosions qu'un travelling
nous révèle en 2D souligneraient leur irréalité, le parti-pris de la
couleur supposerait que c'est notre monde qui entre en jeu… Succession
de trompe-l'œil en vérité : chaque être choisit sa réalité, chaque personnage
construit sa propre prison. Cette quête de l'héroïne vers un hypothétique
niveau supérieur est une quête de la transcendance spirituelle, l'effacement
progressif d'un monde physique existant comme hallucination collective.
De tous les personnages du film Ash est la seule qui restera éternellement
insatisfaite. Ses anciens compagnons finissent tous bloqués à un stade
plus ou moins avancé du jeu pour finir esclave de leur manque d'ambition
et d'un environnement qu'ils acceptent.
Si la rupture formelle incroyablement
ambitieuse d'OSHII, cette irruption de la couleur vers la fin du film,
nous renvoie à notre propre réalité c'est pour mieux nous dissuader
de la prendre comme argent comptant, celle-ci n'étant une fois de plus
qu'un stade parmi d'autres, certes plus convaincant dans sa représentation
mais toujours, toujours insuffisant. La sophistication technique s'amenuise
au fur et à mesure que le scénario progresse : les combats regorgeant
d'effets spéciaux (level 1), les plans contemplatifs et hyper stylisés
du monde de Ash (level 2), cette scène de rue quotidienne où des gens
comme vous et moi traversent l'écran (level 3). Quand OSHII travaille
l'image, c'est pour mieux jouer avec le spectateur. Ce decrescendo sert
à la fois le découpage du scénario (succession de niveaux, donc nouvel
environnement), et la quête de l'héroïne (on s'éloigne de l'illusion
technique pour accéder au soi-disant réel, puis le dépasser). Les décors
post-apocalyptiques d'une Pologne en ruine aboutissent au registre familier
d'une ville moderne, et c'est un plaidoyer anti-technocratique qui perce
en filigrane. Comme si cette débauche technique hurlait sa propre vacuité
: tout l'aspect spectaculaire des combats se trouve désamorcé par le
manque de sensualité du film, la froideur machinique qui s'en dégage,
et c'est précisément son but. Abandonner l'image à l'illusion et trouver
autre chose. Le monde d'Ash, à l'origine, est glauque et dévasté. Des
scènes de repas dans une cantine insalubre aux loques miteuses que portent
les personnages, tout ici indique la pauvreté environnante. Lorsque
celle-ci pénètre dans cette rue 'color(i)ée' : c'est notre perception
du film qui change. Partout une foule tranquille et de grands panneaux
publicitaire qui obscurcissent l'horizon. Notre héroïne aurait donc
lutté pour ça ? Accéder à notre société contemporaine, échapper à la
pauvreté ? Le monde tel que nous le connaissons est-il un aboutissement
? Certes non. Le message cryptique laissé par le cinéaste à la fin du
film, s'il est profondément frustrant, est finalement logique. Mise
en abîme à l'intention du spectateur, il est l'antithèse de l'abandon
du personnage Beckettien. Vous êtes déjà dans Avalon. La lutte continue.
Tristan Ducluzeau
Fiche technique
- Origine : Japon - Couleurs - 1 h 46 mn.
- Date de sortie France : 27 mars 2002.
- Production : Atsushi KUBO.
- Réalisateur : Mamoru OSHII.
- Scénario : Kazunori ITO.
- Casting : Malgorzata FOREMNIAK, Wladyslaw
KOWALSKI, Jerzy GUDEJKO...
- Musique : Kenji KAWAI.
- Box-Office France : en cours d'exploitation.
- Sortie DVD : NC
- Lien Internet : http://www.avalon-lefilm.com
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"Avalon
ne frôle pas un seul instant les sommets de poésie, d'incarnation, de
sensualité et de substance atteints par Ghost in the shell ou
Patlabor 2"
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est une œuvre audacieuse, novatrice sur au moins deux points : son inventivité
dans la narration reposant sur des réalités multiples et une audace
formelle cadrant totalement avec le propos"
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