Avida

Fin 2004, Benoît DELÉPINE et Gustave KERVERN sortent un OVNI cinématographique en salles : Aaltra. Surprenant et terriblement drôle, le film possède un grain particulier, une audace filmique dans la longueur de certains plans fixes (avec notamment l’introduction, à vivre exclusivement dans une salle de cinéma), et une insolence certaine dans le propos.
Il trace ainsi l’itinéraire de deux ennemis, handicapés physiques après un affrontement sur une moissonneuse batteuse, forcés de se soutenir pour accéder à leur but : récupérer de l’argent auprès de l’entreprise responsable de la fabrication de la susdite moissonneuse. Hormis l’hypocrisie de leur démarche initiale, tout leur parcours ressemble à un récit initiatique raté, où les deux hommes rivalisent de bêtise et d’irrespect, dans un road movie épique où ils n’hésitent pas une seconde à abuser de leur statut.
Avec un titre pour le moins proche de cette première œuvre, Avida ne ressemble pratiquement en rien à son prédécesseur. Dès le départ, le film confine au surréalisme, et la trame ne se dégage que tardivement, chaque séquence nécessitant d’avoir vu une bonne partie de la suivante pour être digérée, et le scénario demandant un temps de réflexion après le film pour être compris dans toutes ses subtilités. Aussi, regarder Avida entre plus dans le cadre d’une séance en groupe suivie d’une discussion, que dans une projection solitaire. Le film narre l’itinéraire d’un simple d’esprit, d’abord employé pour entraîner les chiens de garde d’une personne aisée, mais enfermé dans un petit local extérieur la plupart du temps. Il trouve la liberté après avoir mis par mégarde le feu à la maison de son maître. Très vite capturé et ré-enfermé dans un asile, il va être récupéré par le propriétaire d’un zoo qui n’embauche que des handicapés mentaux. A l’aide de ces derniers, il va effectuer un rapt de chien absurde, et confondre le nom du chien présent sur la laisse pour celui de sa propriétaire. Après avoir appelé une grosse femme, Avida, qui voudra bien leur payer la rançon s’ils l’emmènent mourir sur une montagne, commence alors la lente ascension d’un terril…

Avida multiplie les références cinématographiques. Si l’esthétique du film emprunte beaucoup au muet, avec une première demi-heure sans dialogue, et si l’univers décrit ressemble à un mélange entre Deux hommes et une armoire de Roman POLANSKI, et Brazil de Terry GILLIAM, la fin évoque 8 1/2 de Federico FELLINI, avec l’imaginaire du personnage principal qui prend le dessus sur la réalité environnante. Comme Guido qui se tue et revoit tous les personnages de sa vie dans une ambiance de fête, et se libère de la pression de sa vie, le protagoniste d’Avida rassemble dans son rêve éveillé tous les éléments qu’il a collecté durant son périple et constitue mentalement un tableau, le seul qu’il pouvait apercevoir dans la maison de son maître, depuis la fenêtre du local dans lequel il était enfermé. Il goûte alors lui aussi à une liberté spirituelle, gâchée non pas par sa propre mort comme Guido, mais par les décès de tous ceux qui l’entouraient.
L’humour, contrairement à Aaltra, n’est plus le porteur du récit. Subtil, il ressort de certaines situations comme un arrière-plan qui aide à s’attacher à la structure complexe et légèrement pénible de la narration. Avida souffre en effet de la volonté de ses auteurs de créer un hybride entre art vidéo, peinture et cinéma. L’idée, réjouissante, permet au spectateur de ressentir des émotions inédites. Certaines scènes, au premier abord complètement incongrues, semblent sortir tout droit de l’esprit d’un Matthew BARNEY qui aurait décidé de filmer en noir et blanc, et paraissent avoir un sens uniquement métaphorique. Puis, à mesure que d’autres scènes s’écoulent, les premières acquièrent alors une valeur narrative, et deviennent des fragments de l’histoire qui nous est contée, toutefois les aspects picturaux nuisent à la fluidité du déroulement du récit. Les plans fixes sont légion et durent parfois très longtemps, imposant un cadre unique dans un désir de composition picturale, là où différents points de vue et des champs contre-champs auraient dynamisé la composition du film.
Avida possède donc un concept fort, innovant, et ses nombreuses références alliées à une critique sociale sous-jacente en font une œuvre déroutante qui ne se donne pas mais vers laquelle il faut faire l’effort d’aller. Restent de nombreux plans fixes trop longs nuisant à l’ensemble là où n’auraient pas dérangé pas un peu de classicisme dans la mise en scène ou un montage plus serré.
Guillaume Briquet
Fiche technique
- Origine : France - Noir et Blanc - 1 h 17 mn.
- Date de sortie France : 13 septembre 2006.
- Production : Benoît JAUBERT et Mathieu KASSOVITZ.
- Réalisateurs et scénaristes : Benoît DELÉPINE et Gustave KERVERN.
- Casting : Benoît DELÉPINE, Gustave KERVERN, VELVET, Albert DUPONTEL, Fernando ARRABAL, Jean-Claude CARRIERE, SANSEVERINO, Claude CHABROL…
- Sortie DVD : 14 mai 2007.
- Lien Internet : www.advitamdistribution.com
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"Une œuvre déroutante qui ne se donne pas mais vers laquelle il faut faire l’effort d’aller"
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