Le
voyage de Chihiro
Véritable
phénomène au Japon, Ours d'Or à Berlin, Le voyage de Chihiro est une
œuvre précieuse. Après nous avoir réconcilié avec la nature avec Princesse
Mononoke, Miyazaki nous plonge avec densité dans un monde parallèle
qui, comble de tout, nous est familier : l'enfance.
Seize millions d'entrées au Japon.
La dernière production gargantuesque de Miyazaki a de quoi susciter
l'étonnement puis la curiosité des occidentaux que nous sommes, caféinés
à la sauce manga type Goldorak et Dragon Ball pendant les années 80-90.
Il est vrai qu'elle se veut le témoignage du folklore nippon, peut-être
le gage de son succès là-bas, mais c'est sans compter sur l'écrasante
popularité de son auteur dont les oeuvres déclenchent à leur sortie
un véritable tsunami à la limite de l'hystérie collective. Les japonais
lui vouent effectivement un culte sans borne, tout comme à certains
poids lourds du cinéma tels son ami Takahata, l'américain John Lasseter
et le français Moebius.
IL ETAIT UNE FOIS
C'est l'histoire d'une fillette
de 10 ans, Chihiro, qui doit déménager... En voulant rejoindre leur
nouvelle maison, elle et ses parents s'égarent et débouchent dans un
parc d'attraction abandonné. Après avoir traversé un tunnel inquiétant,
la famille atteint un village dépourvu de ses habitants. Seul un restaurant
empli de mets appétissants éveille l'attention des parents qui s'y vautrent
sans réfléchir pendant que la petite Chihiro, désemparée, visite le
village et découvre un imposant édifice constitué de thermes… Mais la
nuit tombe et la fillette découvre avec horreur que ses parents se sont
transformés en porcs…
Dès lors, Chihiro entame une quête
périlleuse afin de retrouver ses parents tels qu'ils étaient auparavant
et revenir dans le monde qui est le sien, celui des "hommes". Par opposition,
l'univers merveilleux aux multiples dimensions dont elle est prisonnière
n'est que le territoire d'esprits, de Dieux dont l'ultime plaisir est
de baigner dans des bains vaporeux autour desquels s'active une micro-société
s'attachant à faire fonctionner ce paradis…
UN BILLET POUR LE REVE ET L'EVASION
Bien loin de nous imposer une
intrigue alambiquée à outrance, Miyazaki s'attache en priorité à nous
transporter dans un monde merveilleux propice à la résurgence de nos
rêves et fantasmes d'enfants. Le premier serait la découverte mêlée
à l'incompréhension d'un univers nouveau, dénué de tous les repères
fondamentaux de notre société. Chihiro n'a-t'elle pas perdu à la fois
son nom, son foyer et ses parents ? Malgré tout, l'impromptu visiteur
doit s'intégrer dans ce microcosme pour s'offrir la chance de retrouver
ces derniers. Qui n'a jamais eu la crainte, étant enfant, de perdre
ces ultimes remparts contre l'exclusion que sont le nom, symbole de
l'appartenance à une communauté, la famille pilier des liens sociaux
et enfin le foyer, matérialisation de l'appartenance à une société ?
Par ailleurs, l'univers aussi
tranquillement présenté suscite chez le spectateur un éveil primitif
face à l' "inconnu". Nous nous émerveillons tels des nouveaux-nés devant
les illuminations, l'architecture flamboyante de l'édifice principal
rayonnant par sa cohérence et la finesse de ses traits. La palette abondante
des couleurs et la luminosité qu'elles dégagent forment une succession
de tableaux psychédéliques dignes d'une illumination-fleuve particulièrement
prolifique. Celle-ci se traduit également par la profusion continue
d'une galerie de personnages sous ou sur-dimensionnés : sorcières, spectres,
Dieux et autres créatures étranges, difformes difficiles à appréhender.
Néanmoins, au fil de l'histoire, certains d'entre eux vont se révéler
attachants, comme cette flopée de petites bestioles à l'apparence insignifiante
dont l'unique raison d'être est d'alimenter la chaudière mais qui en
viennent à manifester de façon surprenante un semblant d'humanité à
l'égard de Chihiro. La lenteur du film nous laisse ainsi le temps de
nous émerveiller sans frustration devant cette fresque féconde de personnages
imaginaires qui tour à tour deviennent inquiétants, grotesques ou émouvants.
LE SOUFFLE DES GRANDES OEUVRES
Après la découverte, s'amorce
enfin un voyage énigmatique, assurément le nirvana, avec à l'aller un
trajet en train, silencieux, épuré, poétique où l'espace et le temps
se confondent puis au retour un vol somptueux sur le dos d'un dragon
blanc écorché vif qui on le sait bien possède une âme.
Au final, Miyazaki se refuse à
tout manichéisme. De plus, il s'évertue à écarter soigneusement toutes
les grosses ficelles propres aux mélodrames, ainsi qu'une morale ou
une réflexion trop pesante. La légèreté de l'intrigue mêlée à la pureté
des sentiments forment la force tranquille de cet hymne à l'enfance,
invitation au rêve et à l'évasion. L'alchimie de ce film orchestré avec
la minutie propre à Miyazaki fonctionne à merveille et l'ensemble nous
enveloppe d'une profonde humanité pourtant dénuée de tout humain.
Tony Fortin
Fiche
technique
- Titre original : Sen to Chihiro no kamikakushi.
- Origine : Japon - Couleurs - 2 h 02 mn.
- Date de sortie France : 10 avril 2002.
- Production : Toshio SUZUKI et Yasuyoshi
TOKUMA.
- Réalisateur : Hayao MIYAZAKI.
- Scénario : Hayao MIYAZAKI.
- Doublage VO : Rumi HIIRAGI, Miyu IRINO,
Takeshi NAITOU, Yasuko SAWAGUCHI...
- Musique : Joe HISAISHI.
- Box-Office France : NC
- Sortie DVD : décembre 2002.
- Lien Internet : http://www.chihiro.msn.fr
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lenteur du film nous laisse le temps de nous émerveiller devant cette
fresque féconde de personnages imaginaires qui tour à tour deviennent
inquiétants, grotesques ou émouvants"
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