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Doubleur de dessins animés
Un métier de rêve ?



Roger Carel, Patrick Etcheverry, Régine Teyssot, Richard Darbois ou Isabelle Ganz. Ces noms ne vous disent peut-être pas grand-chose, et pourtant vous les avez déjà entendus quelque part. Non ? Si. Tendez l'oreille, ils ont doublé (et continuent de doubler) vos dessins animés préférés. Séries, longs métrages ou productions vidéo, ces êtres de chair et de sang donnent du relief, et même souvent l'âme toute entière, aux êtres de celluloïds. Le Bender de Futurama doit sans nul doute en grande partie son côté blasé et veule à un certain Bernard Tiphaine, Sakura serait moins espiègle sans la voix de Patricia Legrand, et que dire de la charmante voix de la Blanche-Neige disneyenne, originellement interprétée par Lucie Dolène ?

Doubleur, c'est un métier à part entière. C'est aussi une discipline artistique qui demande un travail de composition, et une vraie implication. De plus en plus de vedettes sont appelées à participer aux œuvres pour le grand écran (Patrick Timsit pour Atlantide, David Halliday pour la Planète au Trésor, etc.), preuve que cette étape de post-production et synchronisation n'est pas négligeable... ni négligée.

Doubler c'est se mettre l'espace de quelques heures dans la peau d'un ou d'une autre personne, d'un extra-terrestre, parfois même d'un objet (le Petit grille-pain...). Difficile alors de composer naturellement une "voix" pour un balai ou une machine à laver. Mais là réside tout le talent des doubleurs : un doublage réussi est celui auquel on ne prête pas attention. Les personnages semblent exister par eux-mêmes et ne sauraient être imaginés avec une voix différente. Un Donald ou un Homer Simpson sont ainsi immédiatement identifiables à l'oreille du spectateur averti...

Mais qu'en est-il de ce métier pas comme les autres, au premier abord un peu bâtard (la renommée est rarement au bout du parcours) et mystérieux (quel intérêt à usurper l'identité d'un personnage impalpable ?). Sous un angle original, Frames vous propose de pénétrer dans l'envers du décor en découvrant l'espace d'une semaine, l'emploi du temps de Kath Soucie, doubleuse américaine professionnelle. Un dossier qui pourrait faire naître des vocations...

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"ET JE SUIS PAYÉE POUR ÇA !?!"

Par Kath Soucie



Je suis ravie d'avoir l'opportunité de vous parler aujourd'hui du super boulot que j'ai la chance d'exercer. J'adore vraiment cette branche de l'industrie du divertissement et, assez franchement, je me sens terriblement intelligente (ou maligne) d'être tombée dessus tout de suite. Ces dernières années, l'animation et le doublage sont devenus une source de grand intérêt pour des gens de tous horizons, mais pendant assez longtemps c'était un secteur qui était apprécié et célébré majoritairement par les enfants. Comme le paysage de l'animation est devenu de plus en plus sophistiqué, et les personnages de dessins animés de plus en plus réussis du point de vue artistique et créatif, le secteur tout entier est devenu de loin un courant dominant.

C'est une notion commune qu'il n'y a qu'un petit groupe d'acteurs qui réalise la grande majorité du travail de doublage et j'aimerais dire que c'est souvent la réalité. Je suis très sincère quand je dis que ces gens font partie des artistes indépendants les plus créatifs, intéressants et hilarants qui existent. Nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons absolument le meilleur boulot de la terre. En fait, vous devez montrer tout ce que saviez faire comme désordre à l'école... et ils vous payent un paquet de fric pour le faire. C'est parfait !

En ce qui concerne le travail lui-même, il est d'une infinie variété. Il n'y a absolument pas deux jours qui se ressemblent. Si vous êtes un adepte du prévisible, croyez moi, ce n'est pas un domaine pour vous. La structure de votre semaine change continuellement, parfois heure par heure, à mesure que votre agent occupé et éreinté essaie autant que possible d'établir votre emploi du temps. Vous devez avoir un téléphone portable, un biper, un répondeur -toutes les formes possibles de communication- parce que ce job tranquille de deux jours dont vous vous occupiez modérément hier soir peut devenir un travail à plein temps, avec trois séances d'essai écrasantes par heure.

En plus de l'animation, il y a une part du métier entièrement différente centrée autour de la promotion. Cela peut inclure les radios et les télévisions commerciales, les vidéos promotionnelles et les récits. Beaucoup d'entre nous font un peu de toutes ces choses et cela peut contribuer à un intéressant mélange dans une journée. En décidant comment faire pour vous donner une idée du déroulement réel d'une semaine pour moi, j'ai senti qu'il serait bon d'en trouver une contenant les projets les plus variés et les plus attrayants. J'ai retenu la dernière semaine de mars 1997. On commence...


LUNDI

Cette semaine est d'un intérêt particulier car nous commençons à travailler sur les Razmokets - Le Film (ndlr : Rugrats en VO). Sept ans ont passé depuis ma première audition pour les Razmokets, une de ces productions qui prennent un peu de temps pour devenir vraiment populaire. Nous avons fait des tas d'épisodes durant ces années et y participer est un privilège. C'est plein de tous ces éléments précis : vision, imagination, clarté et acuité de l'observation, douceur, et juste la bonne dose de délire.

Le scénario du film est sympa avec plein de scènes marrantes et beaucoup de possibilités d'ajouter ou d'ôter. Et, en effet, on nous donne l'opportunité d'ajouter notre propre touche sur les choses, de contribuer sur quelques lignes et de faire quelques remaniements concernant des personnages qui ne semblent pas vraiment authentiques ou réalistes. Cette production a toujours été réalisée en complète collaboration, avec un ego presque égal à zéro sur tous les fronts, et avec l'intention réelle de créer quelque chose d'unique et de pur.

La séance se passe bien. Tous mes amis sont là : Christine Cavanaugh ou Chuckie, E.G. Dailey ou l'héroïque et Cheryl Chase ou Angelica. J'interprète Phil, Lil & Betty. Il y a définitivement un sentiment différent dans la cabine. C'est une série-vedette après tout, pas seulement une modeste série. Il y a une énergie différente, des enjeux plus hauts et de meilleurs repas ! Nous bossons de 8 h à 13 h, et nous avançons bien pour notre première séance.

Les Razmokets est enregistré à Hollywood qui est à environ 20 minutes de ma prochaine séance chez Hanna-Barbera Cartoons au nord d'Hollywood. Nous allons enregistrer deux épisodes du Laboratoire de Dexter dans lesquels je joue la mère de Dexter et son ordinateur, ainsi que, de temps en temps, plusieurs personnages peu importants. Christine Cavanaugh joue aussi dans Dexter, ainsi entre les Razmokets et Dexter nous allons passer une grande partie de la journée ensemble. Comme je l'ai signalé plus tôt, il est fréquent de voir les mêmes acteurs plusieurs fois par jour au travail et aux séances d'essais. Nous travaillons sur Dexter depuis plusieurs mois maintenant, bouclant quelquefois un ou deux épisodes par semaine. C'est intéressant pour moi de faire plusieurs épisodes par jour. Le style de chaque réalisateur est complètement unique et c'est un vrai challenge de comprendre et d'interpréter chaque vision des choses de façon aussi proche que possible. Nous en finissons avec Dexter autour de 17 h 45 ; ma journée de travail s'achève. Je vis à environ une heure en dehors de la ville, près de l'Océan Pacifique ce qui ajoute un temps important dans mon temps passé à conduire mais la paix et la beauté que j'y trouve me le fait oublier. Les livres enregistrés sur cassettes sont mes compagnons de conduite !


QUEL LONG MARDI !

Je commence à 8 h du matin encore avec les Razmokets. Nous travaillons surtout sur le script, et il y a quelques changements et des lignes à reprendre à partir de la session d'hier. Ainsi nous devons réenregistrer des lignes d'une session précédente soit du fait d'imperfections techniques soit de réécritures. C'est encore la même équipe et tout se déroule bien. Les gens de Paramount nous ont envoyés des paquets de cadeaux pour célébrer le début officiel du film. Après ma session du matin, je cours au studio d'enregistrement Waves où je fais deux rapides spots radio pour Ziploc. J'ai auditionné pour cela au bureau de mon agent la semaine dernière. Je dois interpréter Martha Stewart. Elle a des manières très particulières et c'est très amusant de l'imiter. Ensuite c'est un autre dessin animé : Hercule de Disney. Ce film d'animation a été enregistré par des célébrités pour chacun des rôles. James Woods, Jennifer Aniston, Tate Donovan et encore d'autres. Je suis ici pour interpréter deux esclaves et un caniche. Ici ils enregistrent chacun séparément à cause des emplois du temps très différents et j'arrive au moment où French Stewart termine son spot. Ce type est incroyable à regarder. Il ajoute des choses hilarantes et devient totalement son personnage. Il est désinhibé et très imaginatif.

Ma session est très très brève. Une paire de "Oui, votre grandeur" et je suis sortie. Cette session a été enregistrée à Screen Music dans le Nord d'Hollywood qui est un de mes endroits préférés sur Terre, ce qui est une bonne chose car je passe une partie de mes journées ici.

Ma prochaine session se passe aussi à Screen Music pour Disney. C'est pour les 101 Dalmatiens -la série, où je joue Rolly, Cadpig et Anita. Nous enregistrons plus d'une centaine d'épisodes de cette série en une année, souvent jusqu'à 4 épisodes par semaine. De plus, une fois que les épisodes ont été animés, il nous reste des douzaines de sessions à finir de parfaire le dialogue pour la diffusion. Souvent les animateurs (note perso : créateurs de dessins animés) créent des mouvements de lèvres quand il n'y a pas de vrai dialogue écrit, que le doublage n'est pas clair au niveau du son ou qu'il a dénaturé le dialogue original ; on doit donc réenregistrer. Parfois une scène n'est pas assez marrante dans sa forme finale, et les scénaristes reviennent avec une nouvelle série de lignes. Dans ces sessions nous regardons la scène sur un écran télé et remplaçons l'ancienne ligne de dialogue par la nouvelle ligne. Ce genre de session représente un vrai challenge car on essaie d'exprimer la scène dans un cadre de temps précis, et d'adapter les nouveaux dialogues aux mouvements des lèvres dessinées. Les 101 Dalmatiens est achevé vers 18h et j'ai fini ma journée ; sauf bien sûr que je trouve deux scripts devant ma porte d'entrée à mon arrivée chez moi. Souvent les scripts pour l'enregistrement du lendemain ne sont pas donnés avant la nuit précédente ce qui signifie du travail supplémentaire chez soi. Je trouve aussi une cassette audio avec une courte chanson à apprendre pour la session de demain.




MERCREDI

Encore une session des Razmokets mais celle-ci prend toute la journée, de 8 h à 16 h 30. Nous complétons les dernières scènes, faisons des améliorations et dans l'après-midi enregistrons des chansons. Désormais si on me rappelle pour travailler sur ce film ce sera pour d'éventuelles améliorations. Ma session suivante me ramène à Screen Music dans le nord d'Hollywood, pour Casper pour Universal Cartoons. Je joue Kat, le jeune ami humain de Casper. Nous faisons deux épisodes dirigés par Ginny McSwain. C'est une légende dans le monde de l'animation et nous l'adorons. Elle est vraiment brillante, complètement irrévérencieuse, rapide, précise et directe. Bosser avec elle est un vrai plaisir.

Nous finissons les deux épisodes de Casper puis je dois aller enregistrer pour une publicité pour Airtouch Cellular. Le rendez-vous est à Burbank et je dois y être vers 18 h 15 ; en fonçant et en enfreignant beaucoup de priorités, j'y arrive. J'enregistre plusieurs spots radio et un spot télé.


JEUDI

Une journée chargée qui commence à 9 h avec une session à Screen Music. Cette fois-ci c'est Invasion America. Steven Spielberg et Harvey Bennett en sont les producteurs exécutifs et c'est un projet très attrayant. La vision de cette série est complètement réaliste, c'est une aventure de science-fiction pour le grand public. Il y a aussi beaucoup de célébrités : nous travaillons tous en même temps ce qui donne des scènes superbes. Leonard Nimoy, Kristy McNichols, Robert Urich, l'étonnant Edward Albert... que des grands acteurs. Ma participation dans cette série est géniale et m'offre de superbes opportunités d'interprétation. Les scènes sont nerveuses et hautement chargées d'émotion. Alors que mon contrat m'obligerait normalement à rester quatre heures encore, mon agent s'est arrangé pour que je finisse cette série plus tôt et que j'en entame une autre. Mon prochain arrêt est à Burbank à Horta Sound pour un épisode de Hey, Arnold ! où je joue la mère d' Helga, Miriam, et la mère d'Harold, Marilyn. Cette série me rend très heureuse. Je ne peux pas vous décrire combien c'est merveilleux ; c'est l'atmosphère la plus créative que j'ai connue. Les scripts sont sans comparaison. Les personnages enfants sont joués par des enfants acteurs, ce qui est rafraîchissant et génial.

La prochaine session dans l'ouest d'Hollywood est à 13 h 30. C'est un nouveau studio où je n'ai jamais été. C'est pour le pilote d'une nouvelle série qui a été imaginé par un japonais qui ne parle pas l'anglais et la session est dirigée par des personnes qui n'ont pas d'expérience dans le domaine de l'animation. C'est le chaos, en un mot. Je joue tous les rôles féminins ainsi que deux autres voix. Cinq rôles en tout ça fait une session lucrative bien que peu professionnelle. J'y survis pourtant, ainsi qu'aux dix sessions suivantes prévues dans les semaines à venir, même si le facteur-chaos est toujours présent. Après cette session je retourne à Screen Music pour les 101 Dalmatiens, de 16 h à 18 h, puis je rentre à la maison.


VENDREDI

C'est une journée plus commerciale que les autres. Je commence un peu plus tard qu'à l'habitude, à 10 h. Je ne suis pas une lève-tôt et tout temps gagné au lit est grandement apprécié. J'enregistre d'abord un spot télé pour Barbie Rapunzel chez Mattel. Apparemment Barbie a maintenant des cheveux si longs que Ken peut s'en servir pour l'escalade et venir la délivrer. En plus d'un château avec une tour, d'une robe et de chaussures médiévales très cools… Cette fille a tout ! Le spot passe sur une chaîne de télé nationale, ce qui me rend très fière.

Maintenant un spot radio à Bell Sound pour Eckerd Drugs. Phil Proctor et moi avons fait une campagne pour Eckerd il y a environ un an. Nous jouons le couple typique amoureux dont la conversation est centrée autour de ce qu'ils pourraient acheter chez Eckerd cette semaine et combinent ce qu'ils vont économiser ainsi. Phil et moi nous amusons beaucoup, avec beaucoup de travail d'improvisation comme j'aime.

Puis je vais en voiture à Margarita Mix et je fais une série de spots commerciaux pour Greyhound. C'est une campagne nationale et je suis très heureuse de travailler avec ces gens. Ils ont un esprit différent de la plupart des gens qui travaillent dans leur secteur. Ils sont très sérieux et méticuleux et beaucoup d'interprétations sont possibles pour chaque spot. Avec leur approche du travail, c'est très agréable de travailler.

La dernière session se déroule pour un dessin animé Disney, la Cour de Récré (ndlr : Recess en VO), dirigé par Paul Germain. Paul fut l'un des créateurs des Razmokets et dirigea tous les premiers épisodes. Cette série emploie aussi des acteurs enfants et l'écriture des scènes est superbe. Je joue un petit garcon terrible, dont l'activité consiste à avertir tous les autres garçons de la cour de récré qu'il va se passer quelque chose de terrible. Il voit son grand frère embrasser une fille pour la première fois et y voit un signe. Il avertit les autres garçons qu'un terrible événement va se passer dans le futur. Personne ne peut y échapper. Puis il décrit le baiser avec des détails, en donnant aux autres garçons des cauchemars. Paul et moi nous amusons beaucoup. Nous finissons à 17 h 30.



Voilà c'est comme ça que se déroule à peu près une semaine de travail. Quand j'étais petite fille, je voulais faire quelque chose d'absolument unique, entourée de gens fascinants et attrayants, et ne jamais m'ennuyer. Mission accomplie.

Kath Soucie

Article paru originellement sur Animation World Magazine, et traduit par nos soins par Astrid Bollut, que nous remercions chaleureusement ici.

Pour plus d'informations, nous ne saurions que trop vous renvoyer à l'excellent dossier "Les coulisses du doublage" de notre confrère Olivier Fallaix, paru dans l'AnimeLand 67, daté decembre 00/janvier 01.

 

"En fait, vous devez montrer tout ce que saviez faire comme désordre à l'école... et ils vous payent un paquet de fric pour le faire. C'est parfait !"

Kath Soucie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 









"Les Razmokets est une série-vedette après tout, pas seulement une modeste série. Il y a une énergie différente, des enjeux plus hauts et de meilleurs repas !"

Kath Soucie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 




"Quand j'étais petite fille, je voulais faire quelque chose d'absolument unique, entourée de gens fascinants et attrayants, et ne jamais m'ennuyer. Mission accomplie"

Kath Soucie