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Grosse Fatigue



Enquiquineur professionnel et éternel paumé, le Splendid l'a longtemps cantonné dans un rôle qui aurait pu le desservir dans la suite de sa carrière. Fort heureusement pour nous, il n'en a rien été.

Depuis reconverti en cinéaste habité de questions et de doutes métaphysiques, Grosse Fatigue, deuxième long métrage de l'artiste après le caustique Marche à l'Ombre, est l'illustration concrète d'un malaise ambiant consécutif à la côte de popularité proche du zéro de notre cinéma tricolore -avant le renouveau insufflé par des Pacte des Loups, Amélie Poulain et autres Astérix 2. Honneur en soit rendu à Michel BLANC.


FARCE GONFLÉE

Prix du scénario lors du Festival de Cannes 94, Grosse Fatigue entend narrer les déboires de Michel BLANC -dans son propre rôle-, face à un sosie plus vrai que nature qui entend bien prendre sa part de gâteau, par défaut (lui-même le dit : "si tu crois que c'est facile de vivre avec ta tronche !"). Ou quand la célébrité devient un vrai cauchemar pour une vedette qui du jour au lendemain, sans comprendre, reçoit gifles et coups de poing à la place de demandes d'autographes...

Situation de départ prétexte à de jolis moments de cinéma, et à une brochette de seconds rôles savoureuse (l'équipe du feu-Splendid, Charlotte GAINSBOURG, Estelle HALLIDAY, Philippe NOIRET...), au service d'une histoire où cabotinent joyeusement un Michel BLANC déprimé et une Carole BOUQUET limite débergondée (irrésistible : le pseudo-abandon final, entre érotisme latent et clichés à mourir de rire).

Jeu de miroir sur les aléas de la notoriété et mise en abîme ultime du métier d'artiste exposé sur la scène publique (jusqu'au tout dernier plan du film) avec plus de réussite que Les Acteurs du prétentieux Bertrand BLIER. Malgré une digression finale un peu bancale, bien que les propos tenus fussent pertinents dans un contexte précis ("le cinéma français d'aujourd'hui, c'est ça : le soldat inconnu"), Grosse Fatigue est de ces comédies ambitieuses qui ont su mettre d'accord critique et public -8ème au Box-Office de l'année 94.

La mise en scène sobre et efficace de BLANC réalisateur est toute au service d'une histoire kafkaïenne rondement menée, où les séquences drolatiques et touchantes s'enchaînent dans une cohérence exemplaire (patte que l'on retrouvera dans le très juste Mauvaise Passe, avec un Daniel AUTEUIL désarmant).


MICHEL BLANC : ON T'AIME

Clown triste du cinéma français, transfuge d'un Woody ALLEN mais avec son propre univers, Michel BLANC n'est plus l'horripilant squatteur de Viens chez moi, j'habite chez une copine ni le navrant loser de Bronzés, sinon un acteur complet et accompli, tirant profit d'un physique qu'il admet globalement ingrat.

Si dorénavant ses ex-compagnons de café-théâtre avouent ne plus suivre ses choix et adhérer à sa philosophie de la vie, pour notre part, le discret Michel est au cinéma d'auteur français ce que Gérard JUGNOT est à la comédie subtile : l'une des valeurs sûres. Hélas trop rare.

Embrassez Qui Vous Voudrez, sorti le 9 octobre, confirme tout le bien que l'on pense de Monsieur Michel BLANC. Et pour répondre à la question induite dans le titre de son nouveau long métrage, la rédaction de Frames n'hésite pas à embrasser sincèrement le réalisateur lui-même, pour le rare talent de cinéaste dont il fait preuve, dans un subtile mélange d'acuité et de justesse sur l'essence de l'homme, avec un sens de la formule qui n'appartient qu'à lui.

Gersende Bollut

Fiche technique

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Origine : France - Couleurs - 1 h 27 mn.
- Date d'arrivée en France : mai 1994.
- Production : Daniel TOSCAN du PLANTIER.
- Réalisateur : Michel BLANC.
- Scénario : Michel BLANC.
- Animation et effets visuels : PITOF.
- Casting : Michel BLANC, Carole BOUQUET, Philippe NOIRET, Marie-Anne CHAZEL, Christian CLAVIER, Charlotte GAINSBOURG, Josiane BALASKO, Gérard JUGNOT, Thierry LHERMITTE, Roman POLANSKI, Mathilda MAY, David et Estelle HALLYDAY...
- Musique : René-Marc BINI.
- Box-Office France : 2.015.230 entrées.
- Sortie DVD : pas prévue dans l'immédiat.
- Lien Internet : http://ibelgique.ifrance.com/cinedestin/films/g/grossefatigue.htm


BLANC : L'INTERVIEW

Le samedi 31 août 2002, le journaliste québécois Marc-André Lussier (La Presse) avait la chance de rencontrer le cinéaste de Marche à l'ombre et Grosse Fatigue, sur le point d'entamer la promotion de son quatrième enfant cinématographique. Avec son aimable autorisation, nous reproduisons ici ce court entretien, qui nous en apprend davantage sur un auteur hélas trop peu loquace...

Frames : On ne vous a pratiquement pas vu à l'écran depuis Grosse Fatigue, un film que vous avez réalisé il y a maintenant neuf ans. Est-ce un choix ?

Michel BLANC : Il est vrai qu'on ne m'a pas vu au cinéma depuis longtemps mais j'ai quand même joué sur scène deux pièces, dont Art (de Yasmina REZA) pendant un an. Cela dit, il ne s'agit pas d'un choix délibéré. Il se trouve que j'avais prévu enchaîner tout de suite un film, qui est devenu Mauvaise Passe, dont je devais signer uniquement la mise en scène. C'est dire que, normalement, j'aurais dû consacrer seulement 12 ou 18 mois de ma vie à ce projet. Or, il se trouve que le scénario n'étais pas écrit (ou alors, il n'était pas bien), de sorte que j'ai dû reprendre le tout de A à Z, sans parler de divers problèmes financiers qui nous auront aussi fait perdre beaucoup de temps. À l'arrivée, il aura fallu près de quatre ans et demi avant que le film puisse enfin prendre l'affiche. Pendant toutes ces années, je n'ai évidemment pas pu accepter de rôles puisque je n'étais pas libre. Cela dit, je n'ai pas de regrets. Grâce à Dieu, aucune des propositions que j'ai dû refuser à l'époque ne se sont transformées en grands chefs-d'oeuvres. Je me suis donné un rôle dans Embrassez Qui Vous Voudrez afin d'éviter deux années supplémentaires d'absence.

Embrassez Qui Vous Voudrez est l'adaptation d'un roman anglais de Joseph CONNOLLY, Summet Things/Vacances anglaises. L'intrigue de Mauvaise Passe, votre film précédent, était campée à Londres. Êtes-vous particulièrement attiré par la culture anglo-saxonne ?

Je ne suis ni anglophile, ni anglophobe. J'aime l'imaginaire des auteurs britanniques parce qu'il évoque plus souvent des images de cinéma. Aussi se révèle-t-il plus facilement adaptable. Rares sont les romans français qui éveillent en vous l'envie d'un film. Parce qu'ils sont plus cérébraux que visuels.

Qu'est-ce qui vous a particulièrement séduit dans le roman de CONNOLLY ?

L'histoire repose sur une structure de vaudeville classique, un genre auquel je ne me suis jamais adonné, sous laquelle on trouve, pourtant, un constat de la détresse humaine. Je trouvais le mélange particulièrement intéressant et original. Dans la mesure où l'on ne s'attend pas à ce qu'un vaudeville révèle une profondeur. L'exercice est périlleux mais très excitant. Il y a une espèce de folie dans l'imagination, de poésie absurde à laquelle je suis très sensible.

Quand Blanc content, lui sourire. - Photo Michel Gravel -

Charlotte RAMPLING, Jacques DUTRONC, Carole BOUQUET, Karin VIARD, Denis PODALYDÈS sont quelques-unes des têtes d'affiche de votre nouveau film. Aviez-vous déjà une idée de la distribution au moment de l'écriture ?

Pour Jacques DUTRONC et Carole BOUQUET, oui. Pour les autres, l'évolution des personnages au moment de l'écriture a fait en sorte que les choix ne se sont pas fixés tout de suite. Par exemple, ma perception de Charlotte RAMPLING a complètement changé le jour où j'ai vu Sous le Sable. De toute façon, même si j'ai un interprète en tête, je ne lui parle du film que lorsque le scénario est terminé. En tant qu'acteur, je me méfie toujours des metteurs en scène qui appellent en vous disant "J'ai une idée pour toi" parce que ça risque de changer en cours de route.

Pourquoi y a-t-il présentement autant d'acteurs qui se lancent dans la réalisation ?

Certains le font pour une question de pouvoir. Ou alors, pour prouver qu'ils peuvent faire autre chose (comme si être acteur n'était déjà pas assez difficile !). D'autres se lancent dans la réalisation pour raconter une histoire dont la nature s'inscrit dans une véritable démarche artistique. C'est généralement dans cette catégorie qu'on trouve les acteurs qui ont du talent pour la mise en scène. Cela dit, on en voit aussi beaucoup qui, comme les gens très beaux, en ont marre d'être aimés pour leur cul. Et souhaitent maintenant être aimés pour leur intelligence !

Remerciements à Marc-André Lussier pour l'autorisation de reproduction.

 

"Sur le principe des poupées gigognes et du film dans le film, Michel Blanc signe un fascinant jeu de miroirs. Cette rencontre improbable des univers de Woody Allen et de Kafka est aussi vertigineuse que jubilatoire"

Philippe Ross