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Fievel et le Nouveau Monde



Don BLUTH a vraiment le talent requis lorsqu'il s'agit de s'adresser aux adultes, sous couvert d'une aimable fantaisie pour enfants (ce qui ne serait déjà pas si mal). Fievel, grand succès cinématographique des années 80 -profitant du creux de la vague des productions Disney-, ne déroge pas à la règle et s'impose comme un grand classique, résolument familial. Ce long métrage impose en outre une cohérence thématique à la filmographie de Don BLUTH. Hayao MIYAZAKI met constamment en question le rapport de l'homme à son environnement, Walt DISNEY développait les attachements aux valeurs familiales, Bill PLYMPTON reste omnubilé par l'importance du sexe dans la société actuelle... De son côté, Don BLUTH s'intéresse aux tréfonds de la condition humaine, aux situations désespérées -la descendante égarée d'une famille déchue dans Anastasia, la fuite vers une vie meilleure dans le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles, la maladie dans Brisby et le secret de NIMH, la mort dans Charlie...- dont on sort vainqueur avec ce sentiment immatériel qui peut toutefois soulever des montagnes : l'espoir, ou plus largement, la foi. Bref, sans avoir de points communs au premier abord, ces artistes partagent le même intérêt pour les doutes du quotidien, soit les grands thèmes éternels (le sexe, l'amour, l'amitié). Autrement dit tout ce qui fait le sel de la vie.

Ce qui nous amène tout naturellement à Fievel et le Nouveau Monde, long métrage produit en 1986, où la condition misérable de petites gens rejoint la situation critique des protagonistes cités ci-dessus (Charlie, Brisby ou Petit-Pied).

Nous sommes en Russie, en 1885, et les souris sont de plus en plus menacées par la race féline. La famille Souriskewitz (dont Fievel est le petit dernier) décident alors de mettre un terme à leur triste sort en émigrant aux Etats-Unis, terre pleine de promesses où il se murmure que les rues sont pavées de fromage et qu'il n'y a pas un chat -dans le sens littéral du terme ! Mais les désillusions sont au rendez-vous et Fievel, coupé de force du reste de son foyer, doit affronter la dure réalité de la vie.


DES DÉFAUTS... ET UN FILM POURTANT ATTACHANT

Balayons d'entrée les faiblesses de ce long métrage, qui pêche notamment par des chansons peu inspirées (y compris la fameuse "Il ne faut jamais dire jamais", pas extraordinaire) et un message latent exaltant le patriotisme américain. L'Amérique est un "paradis" (...!), et le patriarche Souriskewitz assure à son fils qu'il se trouve au "pays de l'espoir"... Mais nous y reviendrons au cours de cet article. Et non content de tenir un discours volontairement tendancieux, le film se permet d'emprunter ici et là des idées déjà vues dans des productions animées voisines.

Fievel veut retrouver famille et foyer, et se retrouve exploité par un filou (ici, Boniface de Rat) ? Un air de Pinocchio. L'union des souris contre des félins ? Un air de Cendrillon... Pourtant, malgré toutes ces ressemblances plus proches du plagiat que de l'hommage, Fievel et le Nouveau Monde possède sa propre touche et un univers bien à lui.

Vrai film d'aventure au rythme trépidant (hormis deux-trois temps morts), Fievel repose sur une réalité historique, fait assez rare dans un film d'animation. L'action prend place au tout début du XXème siècle, quelque part en Russie. Or le patronyme [Souriskewitz], les vêtements, l'accent, tout indique clairement l'appartenance de la famille de Fievel à la communauté juive. Ce détail n'est nullement fortuit puisque c'est clairement l'illustration d'une certaine réussite du rêve américain, non sans efforts. A quoi il faut ajouter la cohésion communautaire et familiale, ainsi que l'intelligence et la débrouillardise qui permettront à Fievel et aux siens de s'insérer dans le "rêve américain". Il s'agit donc d'un véritable voyage initiatique, au sens littéral.

Rappellons que l'existence de Fievel et le Nouveau Monde est due à l'illustre réalisateur Steven SPIELBERG, ici producteur attitré. C'est après avoir découvert Brisby et le secret de NIMH (1982) que celui-ci a proposé à Don BLUTH de s'atteller à un nouveau long métrage pour son compte. Ceci pour revenir au sujet-clef du film, puisque leur passé commun a fourni le sujet : les grands-parents de Steven SPIELBERG, Don BLUTH et Kathleen KENNEDY (la productrice), sont de anciens immigrés russes ou européens, attirés par le rêve américain.


TOUCHANT MAIS PAS MIÈVRE

"L'anthropomorphisme de la chose ne sombrant jamais dans la démagogie, on aurait tort de priver ses enfants d'un tel spectacle, à l'heure où nos chères têtes blondes subissent les attaques de produits télévisuels autrement préformatés" clamait haut et fort le magazine Zurban à la sortie du film. A juste titre. Sous son apparence enfantin, Fievel véhicule un certain nombre de véritables idéaux que l'on aurait bien tort de passer sous silence. Intelligent dans le sens le plus noble du terme, Fievel et le Nouveau Monde réserve son lot de scènes réellement touchantes, à l'image de ce moment où deux souris tombent amoureuses. L'instant précis où ce coup de foudre réciproque intervient est incongru, et casse avec bienvenue une partie du déroulement scénaristique, tandis que l'on évite tout cliché. L'amour ne se dit pas avec des mots, et Don BLUTH l'a bien compris.

Il convient également de signaler l'humour nettement contemporain, même si les saillies franchement marrantes se comptent sur les doigts d'une main. On retiendra cependant le père Souriskewitz sermonnant son Fievel de fils : "C'est la dernière fois que je t'emmène en Amérique" (dans un contexte social difficile, puisqu'il ne s'agit nullement de tourisme mais d'une question de survie). D'autre part, les répliques sont à juste titre adaptées au langage des petits mammifères-vedettes du long métrage, mais ne peuvent que prêter à sourire : "Mais qu'est-ce que je miaule, moi ?", "Tu es une souris, mon fils", etc.

Bénéficiant d'une animation très honorable, Fievel et le Nouveau Monde (qui fera l'objet d'une suite en 1991, Fievel au Far West, avec un Don BLUTH absent du projet) démontre par A+B qu'on a toujours besoin d'un plus petit que soi (le plan pour éradiquer les chats vient du jeune Fievel). En outre -politiquement correct américain latent des années 80 oblige-, chaque épreuve surmontée appelle une leçon, une morale à retirer. Fort heureusement celles-ci ne sont pas l'objet d'un martèlement pénible, mais on sent bien la volonté d'inculquer des préceptes à nos chères têtes blondes.

Plus horripilant, mais dans la même logique : cette constante volonté d'affirmer que l'Amérique est la Terre Promise, lieu de tous les espoirs. Certes l'idée reste cohérente avec le contexte de l'époque choisie, mais les aspects modernes volontairement présents (l'humour, le langage) tendent à prouver que cette notion aurait valeur de vérités universelle et intemporelle. Et que dire de la fin, clin d'œil appuyé à la gloire des Etats-Unis, avec une symbolique Statue de la Liberté comme saisissant résumé du rêve américain. Statue qui cligne elle-même de l'œil, dans une ultime complicité avec le jeune spectateur alors dupe. Déroutant.

En fin de compte, de ce mélange de qualités indéniables (animation, humour, trame solide) et de défauts plutôt gênants (le discours latent, les chansons superflues), ressort le sentiment d'une production ambitieuse qui n'est pas allée au bout de ses promesses. Notamment d'un point de vue narratif, avec des codes on ne peut plus éculés. Tout est attendu, jusqu'aux derniers rebondissements. Plutôt gênant à une époque où Disney amorçait déjà son renouvellement, en brisant cette structure ultra-classique. De fait, pas le meilleur Don BLUTH, loin s'en faut.

Gersende Bollut



Fiche d'identité


- Titre original : An American Tail.
- Origine : Etats-Unis - Couleurs - 1 h 17 min.
- Date de sortie France : février 1987 (ressortie le 02 octobre 2002).
- Production : Don BLUTH & Gary GOLDMAN, Amblin Enter. / Universal.
- Réalisateur : Don BLUTH.
- Scénario : Judy FREUDBERG, Tony GEISS, Gary GOLDMAN et David KIRSCHNER.
- Doublage VF : Sauvage DELANOE (Fievel Souriskewitz), Géraldine GUYON (Tanya), Roger LUMONT (Boniface de Rat), Isabelle GANZ (Bridget), Alain DORVAL (Tiger), Perrette PRADIER (Gussie Sourisfeller)...
- Musique : James HORNER et Barry Mann II.
- Box-Office France : 1.076.677 entrées.
- Sortie DVD : pas prévue dans l'immédiat.
- Lien Internet : http://www.filmsduparadoxe.com/fievel/index.html

 

"De ce mélange de qualités indéniables (animation, humour, trame solide) et de défauts plutôt gênants (le discours patriotique latent, les chansons superflues), ressort le sentiment d'une production ambitieuse qui n'est pas allée au bout de ses promesses"