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Festival du film fantastique -Gérardmer 05



COMPÉTITION OFFICIELLE : PAS SI FANTASTIQUE

Cette douzième édition du festival du film fantastique ne portait pas forcément bien son nom. En effet, sur les neufs films sélectionnés pour la course au grand prix du jury, cinq d'entre eux auraient très bien pu figurer au festival du film policier de Cognac, même si leurs mises en scènes et codes empruntés au cinéma d'épouvante les différencient des thrillers traditionnels. Dans ce registre, Trauma du Gallois Marc EVANS et Hypnos de l'Espagnol David CARRERAS partagent le thème de la mémoire et quelques motifs communs troublants (les fourmis par exemple). Qualitativement, on peut préférer le second. Trauma rappelle Troubles (Wolfgang PETERSEN, 1991) pour son postulat de départ (un homme sort du coma après un accident de voiture et tente de reconstruire son passé) et l'Echelle de Jacob (Adrian LYNE, 1990) pour l'esthétique de certaines scènes. Sauf qu'à la fin, on ne comprend rien du tout. Il s'agit donc d'un voyage MTV (mise en scène tape-à-l'œil horripilante) dans la tête de Colin FIRTH (Mark Darcy dans Bridget Jones -très bon au demeurant) qui croise la jolie Mena SUVARI (American Beauty). Mais leurs prestations ne suffisent pas éviter l'endormissement avant la fin de la première heure.

Pour son premier long, David CARRERAS s'en sort un peu mieux. Mise en scène, photo et direction artistique rappellent énormément le nouveau fantastique espagnol façon Ouvre les yeux (Alejandro AMENABAR, 1998) ou la Secte sans nom (Jaume BALAGUERO, 2000). Et histoire d'avoir encore moins de personnalité, voilà encore un film qui pique la séquence de la baignoire de Perfect Blue (Satoshi KON, 1998). L'intrigue est toutefois bien menée, (trop ?) riche et plutôt cohérente une fois tous les éléments dévoilés. Un réalisateur à suivre.

Les trois autres psycho-thrillers, présentés la même journée, utilisent tous le motif de la photographie dans leurs scénarios, avec une importance plus ou moins grande. Dans Ab-normal Beauty, Oxide PANG (remarqué avec The Eye) en fait le sujet central de son film. Soit une jeune artiste qui, après avoir photographié un cadavre suite à un accident de la route, sombre dans la folie. Le spectateur remarquera éventuellement que PANG sait mettre en boîte de bien belles images, mais pour ce qui est de livrer un film qui tient la route, désolé mais non. Film poseur et prétentieux, Ab-normal Beauty ressemble davantage à une pub d'une heure et demie pour les produits laitiers et se noie dans le consternant à tous les niveaux : psychologie ultra simpliste (l'héroïne est lesbienne parce que quand elle était petite, un garçon lui a soulevé sa robe, ahem), "surprise" de fin hors sujet et morale à deux yens (les parents devraient toujours croire leurs enfants, supeeeeer), tout y est. Sans problème le plus mauvais film du festival.

Un peu plus tôt, les festivaliers découvraient Saw, premier long du jeune surdoué australien James WAN. Acteurs, scénario et mise en scène, tout est un cran au-dessus dans ce petit (deux millions de dollars) film qui respire la classe américaine (de par sa production). Le point de départ excite aisément : deux hommes (Leigh WHANNELL et Cary ELWES) qui ne se connaissent pas se réveillent dans une salle de bains délabrée. Ils sont enchaînés aux murs et apprennent rapidement que l'un des deux doit tuer l'autre dans les huit prochaines heures, sous peine d'être abattu. Une situation de huis-clos qui rappelle Cube (Vincenzo NATALI, 1997), mais WAN et son acteur scénariste WHANNELL utilisent judicieusement les flash-back et les événements extérieurs (avec notamment la présence de Danny GLOVER en… flic) pour faire progresser leur diabolique intrigue. La technique agressive et la bande son djeun's peuvent irriter, mais Saw peut se vanter d'être un rejeton de Seven qui n'en est pas qu'une pale copie. On pense également à The Game (toujours FINCHER) pour la logique jeux vidéo des énigmes et situations, mais le dénouement tient ici toutes ses promesses. Saw remportera le prix spécial du jury et une suite est déjà en chantier avec WAN aux manettes, celui-ci comptant ainsi obtenir son billet pour réaliser d'autres films plus personnels.

Saw, redoutablement efficace

Enfin, Trouble, troisième long métrage du Belge Harry CLEVEN a remporté le grand prix du jury, composé en très grande partie de personnalités francophones. La présence de comédiens locaux (Benoît MAGIMEL, très convaincant, et la sublime Natacha RÉGNIER) et le traitement relativement sage du sujet ont probablement fédéré les avis favorables dans une sélection au final proprette et consensuelle. Comme s'il fallait absolument prouver que le fantastique est un genre respectable et sympathique. Le jury présidé par Barry LEVINSON récompense donc Trouble plutôt que le traumatisant Calvaire, qui se rattrapera néanmoins avec un prix spécial (ex æquo avec Saw), le prix de la critique internationale et le prix Première attribué au film le plus innovant de la compétition. Sur le thème de la gémellité, Trouble n'en reste pas moins un film honnête et digne, qui cite CRONENBERG et De PALMA sans en atteindre la classe.

Plus intéressant est donc le cas de l'autre franco-belge de la sélection : Calvaire de Fabrice Du WELZ. L'histoire d'un médiocre chanteur itinérant (Laurent LUCAS) qui tombe en panne au milieu de nulle part et se voit contraint de passer la nuit dans une auberge tenue par l'intriguant Bartel (Jackie BERROYER, génial). Malgré une première partie plutôt drôle, le film tombe progressivement dans une ambiance sordide, cite ses classiques (Délivrance, Psycho, les premiers Craven…) et plonge le spectateur dans un récit finalement glaçant. Mais derrière sa parenté survival qui pourrait le rapprocher de Haute Tension (Alexandre AJA, 2002, Philippe NAHON étant également au générique), Calvaire se permet d'offrir plusieurs niveaux de lecture. Tout le monde pourra y voir un film sur l'amour (ou plutôt son absence) tandis que les multiples références à la Bible donne un relief tout particulier à la fin. En poussant le bouchon un peu loin, on pourrait même décrire Calvaire comme une Passion du Christ en plus subtil. Malsain au premier degré, passionnant au second.

Quant au fantastique pur et dur, il fallait le chercher du côté de l'Asie, avec Bunshisaba du Coréen Ahn BYUNG-KI et One Missed Call du stakhanoviste japonais Takashi MIIKE. Inutile de s'attarder sur le premier qui n'est qu'une énième copie de Ring matinée de Carrie. Le second reprend également les recettes du film-de-fantôme-aux-cheveux-noirs (remplacez la vidéo par les téléphones portables), mais MIIKE maîtrise suffisamment son cinéma pour lui insuffler un supplément d'âme. Pour la première fois au commande d'un "gros budget", le japonais fou évite tout débordement outrancier, fout la frousse et respecte toutes les figures imposées du genre. Un semblant de critique sociale perce même sous l'horreur lorsque MIIKE met en scène une émission de télé délirante à base d'exorcisme en direct.

Enfin, la Peau blanche de Daniel ROBY, malgré un manque de moyens évident, retient l'attention par la qualité de ses dialogues et de son scénario. Deux jeunes Québécois y décident de s'offrir les services de prostituées. L'un d'eux manque de se faire égorger par l'une d'elles, rousse à la peau très claire. Quelques jours plus tard, son comparse tombe fou amoureux d'une jeune fille timide et… rousse. Un film malin et sans compromis qui tient l'intérêt sur la longueur.


RÉJOUISSANCES EN OFF

La douzième édition de Fantastic'Arts a rendu un hommage à Roger CORMAN, l'homme aux cinquante films souvent surnommé le "pape de la série B" (voire Z). Quelques images d'une courte rétrospective auront effectivement bien fait marrer les spectateurs présents le soir de l'hommage, mais tous savaient que l'homme a également tourné de véritables joyaux comme la Chute de la maison Usher (d'après Edgar Allan Poe) et lancé en tant que producteur des gens comme COPPOLA, SCORSESE, DANTE ou DEMME. A tel point qu'une standing ovation l'accueillera au moment de recevoir un prix d'honneur.

Gérardmer a également donné l'occasion de découvrir des films inédits. Le magazine Mad Movies a ainsi parrainé une compétition parallèle destinée aux direct-to-video avec des titres aussi évocateurs que la Mutante 3 et Hellraiser 6. La nuit Home Sweet Home a permis de voir le fameux House of 1000 corpses de Rob ZOMBIE, le classique Amityville de Stuart ROSENBERG et le très nul Hantise de Jan de BONT. Côté "sortira, sortira pas", c'est mal barré pour le coréen Save the green planet, encourageant pour Arahan, parodie de films d'arts martiaux drôle et techniquement très au point, et à espérer fortement pour Bubba Ho-Tep de Don COSCARELLI.

Le surréaliste Bubba Ho-Tep...

Le réalisateur de la tétralogie Phantasm adapte ici une nouvelle de Joe R. LANSDALE et raconte l'histoire pour le moins farfelue d'Elvis Presley, retiré du monde dans une maison de repos, aux prises avec une momie ressuscitée et fringuée en cow-boy texan (!) Comme si cela ne suffisait pas, Elvis traîne aux côtés d'un afro-américain qui se prend pour… John F. Kennedy. Difficile de ne pas s'attendre à un pur nanar des familles avec un synopsis pareil si Elvis n'était pas interprété par Bruce CAMPBELL, l'inoubliable héros d'Evil Dead ! De plus, COSCARELLI a le bon goût de traiter l'intrigue momifiante par-dessus la jambe et se concentre sur ses personnages. Dialogues à mourir de rire, comique de situation irrésistible… Le film a de plus un charme rétro indéniable avec sa musique bluesy-rock et son évocation de la vie du King. Car Bubba Ho-Tep s'avère au final un beau film sur la vieillesse.

Sky Captain and the world of tomorrow, quant à lui, est certain de sortir chez nous malgré son échec aux Etats-Unis. Jude LAW, Gwyneth PALTROW et Angelina JOLIE ont joué sur fond bleu leurs rôles puis intégré les décors en images de synthèse. Un film d'aventure à l'ancienne qui mange un peu à tous les râteliers référentiels. Techniquement, c'est beaucoup mieux qu'Immortel de BILAL et les personnages ont une vraie consistance comparés aux fantômes de Final Fantasy.

Si du côté des organisateurs, on se félicitait déjà de remettre ça l'année prochaine pour la symbolique treizième édition du festival, des rumeurs faisaient état durant ces cinq jours d'un retour à Avoriaz (ou d'un déplacement dans une autre localité). La tenue relativement faible de la compétition officielle ajoutée à l'absence de véritables stars ou people pourraient bien attiser le feu de la fumée spéculative. Effrayant ? Moins que de voir "des gens qui sont morts"…

Laurent Camite


Fiche technique

- FESTIVAL DU FILM FANTASTIQUE DE GÉRARDMER.
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Dates de cette 12ème édition : 26 au 30 janvier 2005.
- Lien Internet : http://www.gerardmer-fantasticart.com/

 

"La technique agressive et la bande son djeun's peuvent irriter, mais Saw peut se vanter d'être un rejeton de Seven qui n'en est pas qu'une pale copie"