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Matt Groening


Il est né le 15 février 1954 à Portland, dans l'Orégon. Qui ça ? L'un des conteurs modernes les plus doués de sa génération, le grand, le génial Matt Groening.

Il était évident, pour un site web d'animation digne de ce nom, aussi récente soit sa création (obligeant donc à des choix prioritaires concernant les articles), de retracer en quelques lignes la fabuleuse réussite d'un artiste d'exception. Il n'est sans doute pas d'exemple plus flagrant d'une carrière brillamment menée -son cachet actuel, s'il reste top secret, est à n'en pas douter mirobolant-, tout en conservant son intégrité artistique. Matt Groening serait presque un animateur indépendant, l'équivalent d'un Bill Plympton, mais dans la sphère des séries télévisées.


L'ECOLE... EN DILETTANTE

Dès son plus jeune âge, Matt Groening avait en lui cette vocation de distraire les autres par le dessin humoristique, et son père, Homer Groening (qui a bien malgré lui inspiré le nom du patriarche des Simpson !), lui-même dessinateur, encouragea son fils à perséverer dans cette voie. Ainsi l'école fut pour lui un lieu de distraction, où il passa le plus clair de son temps à coucher sur papier ses délires animés, ce qui, pour la petite anecdote, a eu des répercussions jusque dans son éducation (actuellement, Matt Groening avoue ne pas connaître le nom des capitales des 50 états des Etats-Unis, et le calcul mental n'est pas son fort). Comme quoi on peut réussir dans la vie professionnelle sans être bardé de diplômes, s'il en fallait encore une preuve...

Du collège, Matt passe au lycée (où il effectue ses études à Portland), et, en parallèle de son travail scolaire obligatoire, commence progressivement à dessiner de plus en plus.




MATT, L'EFFET KISS (BABA-) COOL ?

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Matt fonda à l'aube de son adolescence un parti politique, avec l'aide de ses potes hippies : The Teens for Decency (Les Adolescents pour la Décence). Déjà réac', le Matt... Tout juste sorti de l'Evergreen State College (nous sommes en 1977) où il a tout de même décroché des diplômes en Philosophie et en Cinéma, le jeune Matt a alors l'ambition de marquer l'Histoire, en devenant un écrivain célèbre. Mais l'Histoire, justement, en décidera autrement...

L'anecdote est connue mais continue de surprendre : engagé dans le petit quotidien local L.A. Reader, Matt se rend un jour à Los Angeles en voiture, comme à son habitude. Il est deux heures de l'après-midi (oui oui, Frames connaît tous les détails !), et sa voiture le plante sur l'Hollywood Freeway (une petite aile d'autoroute juste au-dessus de la sortie pour Vine Street). Cette panne inopinée lui offre l'opportunité d'observer les alentours, et germe soudain tout un univers qui constituerait une bonne bédé. Ainsi est inspiré son premier comics à succès : Life In Hell (éditée en France sous le titre La Vie C'est l'Enfer). La vie est faite de situations incongrues qui confinent parfois au hasard le plus heureux !

Life in Hell est publiée l'année suivante dans Wet Magazine, mais il faudra attendre 1980 pour que sa première apparition hebdomadaire régulière ait lieu, par le biais du Los Angeles Reader. Interrogé récemment, l'intéressé confiait : "J'étais très malheureux. Il y transparaît une angoisse incroyable et du stress... et des choses que je regrette avec le recul". Suivant de près les premiers émois d'un drôle de lapin névrosé nommé Binky, Life in Hell est en effet une bande dessinée d'une lucidité cruelle, maniant le dérisoire et l'humour noir avec brio.



The Big Book of Hell : une compilation des séries de Matt Groening à ses débuts : Life in Hell, School in Hell, Sex in Hell...

Or contre toute attente Life in Hell rencontra un vif succès auprès du public, au point que Matt est abordé en 1986 par un certain James L. Brooks (déjà producteur de nombreuses séries pour le compte de la Gracie Films), qui lui demande de considérer une version animée pour la télé de son cartoon. Matt n'approuve pas entièrement l'idée, car le dessin animé risquait d'être un flop, et sonnerait ainsi prématurément le glas de sa carrière de dessinateur.


UNE CHANCE INSOLENTE

Pourtant, pendant les dernières minutes de cet entretien avec Monsieur Brooks, Matt dessine une famille humaine, nommant les protagonistes en se servant des noms des différents membres de sa famille. En seulement cinq petites minutes, Les Simpson sont nés ! Ainsi, Homer est le prénom de son père, Marge celui de sa mère, et Lisa et Maggie ceux de ses soeurs. Le prénom de l'enfant terrible de la famille, Bart, est quand à lui l'anagramme de brat, signifiant "sale gosse" en anglais. Quant à Springfield, c'est la référence directe à la ville où il a passé une bonne partie de son enfance (de nombreux noms de personnages de la série ont d'ailleurs eux aussi été empruntés aux vrais habitants de Springfield). Matt Groening, aujourd'hui encore dessinateur, producteur et scénariste des Simpson, considère cette série comme un hommage global à sa famille.

En 1987, sa nouvelle création est donc lancée dans le Paysage Audiovisuel Américain, via le Tracy Ullman Show (Tracy Ullman que l'on peut, pour info, retrouver dans le rôle de la psychologue d'Ally McBeal). Quarante-huit courts-métrages seront alors diffusés jusqu'en 1989, date à laquelle la série proprement dite a pris son envol, dans le format que l'on connaît encore à l'heure actuelle (26 minutes).

La série a rapporté plus de 500 millions de dollars en merchandising, et a déjà été récompensée par 10 Emmy Awards. Diffusée dans plus de 70 pays à raison de 13 saisons à l'heure actuelle, Les Simpson possède le record absolu de longévité dans l'histoire de la télévision. Rien que ça.



"D'oh !", l'onomatopée-culte d'Homer Simpson



LE FUTUR N'EST PLUS CE QU'IL ETAIT

En 1997, conforté par le succès (constant) des Simpson, Matt Groening travaille sur le projet d'une nouvelle série, Futurama, en collaboration avec David X. Cohen. Ce dernier, passionné de S-F et diplômé en Sciences Informatique, avait déjà travaillé sur la série Beavis & Butt-Head, avant d'intégrer l'équipe des scénaristes sur Les Simpson, en 1991.

Pendant deux ans, ces deux amis de longue date s'immergent donc dans la science-fiction de leur enfance, de Philip K. Dick à Isaac Asimov, en passant par l'incontournable Star Trek, les jeux vidéo des années 80 et les vieilles séries télé comme Perdus dans l'Espace. Fin 98, les deux larrons présentent le projet fini à la Fox. Le premier épisode, diffusé fin mars 99, est un triomphe. La suite, c'est malheureusement l'avortement prématuré de la Fox, décidé récemment. Matt planche donc actuellement sur d'autres projets, qu'on espère tout aussi exaltants.

"Quand je ne travaille pas intensément je suis un incroyable paresseux". Pourtant, lorsqu'il ne dessine pas, Matt Groening fait aussi de la plongée sous-marine et voyage. "J'aime la culture japonaise, déclarait-il récemment. Je reviens tout juste de Tokyo. Je pars loins du stress de Los Angeles en allant dans des grandes villes surpeuplées (rires)".

Possédant un style bien à lui (des personnages aux yeux exorbités, à l'aspect rondouillard et sympathique, mais à l'air peu éveillé), une similitude existe indéniablement : aussi bien au niveau graphique que dans les caractères attribués aux différents personnages de ses univers (Homer est le pendant humain veule et alcoolique de Bender, Leela a le même caractère, féministe et bien trempé, que Marge, ou encore Bart qui raisonne peu et ne se soucie guère des conséquences, à la manière de Fry, etc.).



Matt Groening et la Fox : un mariage de raison ?



GROENING : L'INTERVIEW

Récemment, le Financial Times a eu l'immense privilège de converser avec Matt Groening. En vous épargnant les détails d'ordre techniques, nous tenons à vous préciser que, n'ayant obtenu d'autorisation à l'amiable, car le journal britannique en question a exigé de notre site 12.000 pounds pour diffuser l'intégralité de l'interview (!), Frames retient donc quelques extraits de la rencontre, organisés en chapitres thématiques.

Peu volubile, l'homme n'accepte les interviews au compte-gouttes, aussi savourez celle-ci à sa juste valeur...

De l'art de dessiner

- "C'est comme construire une pyramide, et dans un sens c'est se prendre pour Dieu : donner vie à ces êtres vivants juste avec une plume et de l'encre, en pouvant renchérir leur folie à notre gré, tout en les punissant..."

Le succès des Simpson : le revers de la médaille

- "Au début des années 90 nous avons reçu beaucoup de critiques, mais à présent la série est si populaire que nous avons très peu de problèmes avec la polémique, et quand elle arrive c'est totalement inattendu de notre part. Nous avons fait cet épisode où Homer prenait sur ordonnance de la marijuana, après avoir été attaqué par des corbeaux et souffrant de douleurs... en Angleterre ça n'aurait pas fait une grosse controverse de toutes façons, mais aux Etats-Unis on n'a pas l'habitude de montrer ça à la télé sans que ça ne tourne au vert et déteigne sur la série ! Et pourtant, quand nous l'avons diffusé aux Etats-Unis, on n'a eu aucun problème. Par contre après, avec l'épisode de Rio de Janeiro [ndFrames : dans lequel la famille Simpson est kidnappée, puis attaquée par les habitants, représentés en singes fous et agressifs], nous avons été condamné par le Brésil. Ce n'était pas notre intention de faire du tort à leur fréquentation touristique."

La méthode de travail sur Les Simpson

- "Chacun lance des blagues et on retient ce qui vaut le coup pour le travailler. En fait j'étais loin de croire qu'un travail fructueux pouvait jaillir en comité, mais c'est génial de se dire que chaque détail vient parfois d'une toute petite amélioration, qui bonifie la série. Parfois il y a une blague qui est marrante la première fois, mais on la change et on la peaufine 50 fois pour qu'elle ait plus d'impact."

- "Parfois je fais une référence qui ne renvoit à rien pour l'équipe, et à d'autres moments les scénaristes font un tas de blagues en rapport avec les séries télévisées des années 70. Je n'en regardais aucune à cette époque, donc toutes ces blagues d'ordre culturelle m'échappent, et en parallèle je fais référence à des choses dont les scénaristes n'ont pas eu l'expérience... donc on supprime ce genre de gags."

- "C'est devenu beaucoup plus coûteux les années passant : nous avons des acteurs en guest-stars, et des scénaristes et des animateurs qui veulent devenir aussi malheureux que tous les autres de l'industrie de Hollywood. Chacun demande toujours plus d'argent..."



Exemple récent de produit dérivé (de qualité) : ce comics, cross-over entre les séries Simpson et Futurama. Deux cuites pour le prix d'une !

Le secret de la longévité des Simpson

- "C'est devenu de plus en plus difficile avec les années, non seulement de conserver la surprise de façon constante auprès du public, mais surtout de continuer à se surprendre nous-mêmes. Je crois réellement que l'animation exige un processus très soigneux et exigeant si on ne veut pas lasser le public. Et l'audimat a toujours besoin de nouveautés et de surprises pour cartonner. Quand un personnage est aussi stupide que l'est Homer Simpson, il est difficile de chercher à surprendre le public, car désormais sa stupidité est attendue. Elle est connue."

Au sujet d'un film sur les Simpson

- "Nous avons discuté de cela entre nous. Nous avons déjeuné une fois et en sont sorties plusieurs idées, mais nous sommes très prudents quant à l'idée d'en faire un long métrage."

Le futur des Simpson

- "Je pense que nous allons arrêter la série en remontant le temps. Bien que ce qui se passe généralement, lorsque l'on gagne un Emmy Award pour la meilleure série d'animation, donne d'autres idées pour rester dans les programmes télé au moins deux années supplémentaires."

Le futur de Futurama

- "Je ne crois pas que la Fox comprenne la série, elle ne l'a jamais vraiment supporté, mais je considère que c'est le digne compagnon des Simpson et nous sommes vraiment très fiers de cette série (...). La Fox lui a donné une case horaire médiocre, et strictement aucune promotion ces trois dernières années."

- "Nous aurions aimé faire un long métrage. Sur Internet il y a une pétition qui circule pour sauver la série : nous n'avons aucun rapport avec son existence. Elle a déjà quelques 105.000 signatures. Il y a un enthousiasme très fort autour de cette série. Il y a tant de sites web consacrés à la série Futurama que je n'ai pas encore pu tous les voir. Je compare cette enthousiasme du public à l'engouement original pour Star Trek... une série-culte. Mais je suis sûr que la Fox n'aura pas la sagesse de revenir sur sa décision."

Projets de nouvelle(s) série(s)

- "J'ai d'autres projets à l'esprit. Mais je crois que ce que j'essaye de faire, c'est de toujours garder à l'esprit mon contact avec le public... C'est à cela que je suis réellement attaché."

- "J'ai deux autres idées pour des séries télévisées, je suis en train de les mettre en forme en ce moment, en faisant quelques recherches... et nous verrons bien. C'est vraiment difficile d'inventer tout un univers, de le vendre et de descendre sur le terrain. Donc je verrai bien si l'une ou l'autre intéresse la Fox. Ca serait assez proche, dans la sensibilité, des Simpson et de Futurama. Notamment au niveau des personnages, avec toujours ces yeux exorbités."

Matt Groening : anti-capitaliste ?

- "Je pense qu'il y a beaucoup d'irresponsibilité dans les institutions... Les consommateurs sont bombardés de choses purement commerciales avec du battage et de la propagande, et je crois qu'il est sain de délivrer de la contre-publicité ! C'est toujours marrant. Le fait est qu'il y a beaucoup de nourriture bon marché ou de jouets de mauvaise qualité, or vos journaux sont remplis d'articles où des personnes vous vantent les méritent de ces trucs."



Matt Groening vous présente le merchandising officiel de Futurama :
c'est ça, et rien d'autre... méfiez-vous des contrefaçons !

Processus de création difficile avec une compagnie à diriger ?

- "C'est étrange car j'endosse deux casquettes. Une fait de moi un dessinateur farfelu, mais je dois aussi m'inquiéter du sort de pas mal de personnes en dirigeant, en remontant le moral et tout ça... Je ne suis pas spécialement ravi de cette situation qui m'éloigne sensiblement du côté créatif, pour des réunions, des réunions d'affaires surtout. J'ai assisté à suffisamment de réunions d'affaires pour souhaiter m'en éclipser aussi vite que possible."

Chiffres d'audience de Futurama

- "Quand nous avions une bonne case horaire -après Les Simpson-, nous étions les premiers en ce qui concerne les séries pour adolescents, tous prime time confondus. A présent on est le dimanche à 7 heures du soir, sans aucune promotion, et les chiffres ne sont pas aussi bons."

- "Je ne prête pas beaucoup d'attention aux courbes d'audience. Des gens viennent et me disent 'nous avons une hausse de 10 %', et je dis (sur un ton las) 'hmmmm, super'."

Un irréductible fan d'Astérix

- "Fan ? Définitivement, et je suis vraiment content que mes enfants s'intéressent à Astérix en ce moment. Avec Les Simpson on essaye de récompenser les gens qui regardent avec attention la série. Il y a des tas de gags dedans, et des gags que les enfants ne saisiront pas. Je crois que c'est l'un des secrets de la longévité de la série : les enfants peuvent grandir et regarder la série à nouveau, une fois qu'ils ont lu quelques ouvrages et vu quelques classiques du cinéma."

Son personnage préféré

- "Homer. Je l'adore parce qu'il libéré de toute culpabilité de façon basique, il aime ce qu'il aime, déteste ce qu'il déteste de tout son être, mais sa dépendance aux côtes de porc et sa paresse impénitente sont quelque chose dans lesquelles je me retrouve."

Au sujet des mangas

- "J'aime certains mangas, mais certains ne servent à rien. Il y a quelques titres très violents et vulgaires que l'on ne pourrait jamais importer aux Etats-Unis ou en Angleterre... certains titres sont vraiment très grossiers et stupides."



Une référence amusante, en résonnance avec une actualité récente.

Conseils adressés aux jeunes animateurs

- "Je reçois des demandes toutes les semaines de la part de dessinateurs, et toujours ils disent 'J'ai été contacté par un gros studio d'Hollywood... ils veulent faire un film ou une série télé sur la base de mon travail', et toujours ils demandent 'puis-je simplement prendre une grosse somme d'argent, rester à la maison, et être assuré qu'ils ne trahiront pas ma créativité, en la détruisant ?'. Et toujours je leur réponds, 'Ne croyez pas toucher une grosse somme d'argent tant que vous ne l'avez pas dans vos mains', et aussi 'si, ils vont détruire votre créativité'."

Une série propre à Itchy et Scratchy ?

- "Mes fans la réclament sans arrêt, ils veulent la série avec Itchy et Scratchy, et seulement eux. J'ai fait un montage des meilleures séquences issues des courts-métrages d'Itchy et Scratchy (ceux présents dans la série), et je l'ai montré à un public-test. Ils ont éclaté de rire vraiment très fort les trois premières secondes, puis rapidement le rire a laissé place au calme, et finalement à la fin le public était juste assez content, une fois que tout ça était fini. Les gens pensent qu'ils veulent cette série, mais ils ne la veulent pas vraiment."


UN MOT DE CONCLUSION

On pourrait vanter des heures durant le génie comique de Matt Groening, mais ce seraient vaines louanges puisque d'aucuns s'accorde à reconnaître son talent... visiblement inné ! Nous terminerons donc ce portrait de l'artiste en lui souhaitant bonne chance dans ses futurs projets, ainsi que longue vie aux Simpson. Et d'accorder un carton rouge à la Fox, pour sa décision scandaleuse au sujet de Futurama (décision d'autant plus stupide qu'elle semble irrévocable).

Conteur des temps modernes et génie du rythme (un épisode de 26 minutes en semble 10, avec lui !), Matt devrait sans peine continuer à nous distraire pendant de longues années encore. Et sa place au Panthéon des plus grands animateurs lui est d'ores et déjà assurée.

Matt Groening : ceux qui n'ont pas fini de rire te saluent !

Gersende Bollut



La famille américaine la plus célèbre au monde...

 

"Dessiner, c'est comme construire une pyramide, et dans un sens c'est se prendre pour Dieu : donner vie à ces êtres vivants juste avec une plume et de l'encre, en pouvant renchérir leur folie à notre gré, tout en les punissant..."

Matt Groening