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Chuck Jones

Le légendaire dessinateur américain Chuck JONES nous a quitté le 22 février 2002 en Californie, à l'âge de 89 ans (des suites de complications cardiaques), laissant derrière lui des milliers de cinéphiles orphelins. Frames tenait à retracer dans les grandes lignes la carrière prolifique de ce grand auteur, qui fut l'un des piliers de l'animation américaine du siècle dernier.

Après avoir dépoussiéré de vieux cellulos chez Ub IWERKS, le destin lui sourit dans les années trente lorsque lui sont ouvertes les portes des studios de Leon Schlesinger, filiale des célébrissimes studios Warner Brothers, à l'origine des Merry Melodies et Looney Tunes (où Chuck officiera en tout pendant près de trente ans). Il devient alors animateur aux côtés de Bob CLAMPETT (le créateur le plus "cinglé" de la Warner, véritablement à l'origine du terme 'Looney' de Looney Tunes). Sa fascination pour le détail et son côté perfectionniste le distinguent rapidement, et il s'adjoindra le talent de Michael MALTESE, coopération qui aboutira à des petits chefs-d'œuvre d'exubérance tel que Rabbit Fire (1951), totalement impayable, avec des gags visuels inépuisables malgré d'incessantes visions ! Chuck JONES a dessiné plus de 300 films (soit autant de petites pépites d'animation), devenus pour la plupart des classiques, dont la moitié sont des épisodes de Bugs Bunny et de Daffy Duck. Il croisera pour l'occasion la route de Tex AVERY, Friz FRELENG ou encore Walter LANTZ, le géniteur du fameux Woody Woodpecker. Mais notons qu'il fera auparavant ses premières armes sur les inoubliables Porky Pig, Sam le pirate ou Elmer le chasseur (fruits de créations collectives).

Se faisant remarquer, il finira par diriger son propre département au sein de la Warner, ce qui l'amènera dans les années 50 -sa période la plus prolifique- à créer des classiques du dessin animé comme le légendaire tandem Bip-Bip et le Coyote, Marvin le martien ou Pépé le putois (personnage français malheureux en amour mais charmeur en diable...).

En fait, son style, entre révolution des codes disneyens et respect de traditions, est le fruit d'une espèce de tension entre des contradictions flagrantes. Avec Tex AVERY (dont il était, après sa disparition, l'historien attitré de cette période charnière du dessin animé), Chuck JONES était le représentant de l'école d'animation dite du "gag paroxystique". Aussi bien graphiquement que thématiquement, Chuck JONES excellait en outre dans tout ce qu'il entreprenait. Sa représentation réaliste d'émotions subtiles et son souci de la méticulosité résument sa conception artistique, avec une défense ardente de personnages totalement illuminés, et donc forcément allumés ! Les poursuites incessantes entre Bip-Bip et le Coyote, dont l'issue est toujours connue d'avance, contredisent la morale du Lièvre et de la Tortue (pour notre plus grand bonheur). Pris d'affection pour le Coyote, éternellement malchanceux malgré tous ses efforts deséspérés, le spectateur n'en est pas moins amusé de voir triompher l'oiseau -à la vélocité désarmante-, taquineur et faisant la nique au pauvre coyote par-dessus le marché !

D'ailleurs, selon Chuck, les acteurs qui plaisent et qui font le plus rire sont à la fois "ceux qui savent brosser nos erreurs, nos malheurs, nos dégringolades et qui, en les sublimant, nous rassurent et nous démontrent ainsi par le rire que nous ne sommes pas seuls". La malchance de Pépé le putois fait figure d'exemple flagrant. Combien de fois nos tentatives de séduction se sont révélées vaines ?... [ND Pierre, rédac chef : ouh, ça sent le vécu, ça...] C'est sur cela que se fonde plus globalement toute la philosophie des dessins animés de la Warner : empreints de mélancolie, les films mettent en évidence la "mécanique du gag" (alors que Disney ne montrait que l'utilisation qui en était faite).

A la fermeture de la Warner en 1962, Chuck JONES prendra alors la suite de HANNA et BARBERA sur la série Tom & Jerry, au sein de la MGM, et se tourne vers divers projets plus ambitieux, telle que l'adaptation télévisée Comment le Grinch A Volé Noël ! (sorti en DVD en décembre 2001, conjointement au film de Ron HOWARD). On ne peut plus arrêter son irrésistible ascension, et la fondation de sa propre société [Chuck Jones Enterprises] se fera alors tout naturellement (à ce jour, celle-ci est déjà productrice de neuf films d'animation de 30 minutes).

En soixante ans de carrière, Chuck JONES a notamment été directeur de l'animation sur Madame Doubtfire, Gremlins 2 ou Qui veut la peau de Roger Rabbit ?... Des participations toujours remarquées pour un génie de la créativité débordante, ex nihilo. Maître de l'animation, Chuck JONES a vu sa carrière couronnée par quatre Oscars (un en tant que producteur, deux en qualité de réalisateur, notamment en 1965 pour The Dot and the Line, Palme d'Or du Meilleur court métrage au Festival de Cannes en 1966, et un dernier, pour l'ensemble d'une prolifique carrière de plus de 60 ans, totalement dédiée au cinéma d'animation, en 1996).

Dans la liste des 50 Meilleurs Cartoons Américains, Chuck JONES réussit le tour de force d'occuper cinq des dix meilleures places pour les meilleurs cartoons de tous les temps… "Pas mal pour un homme qui avoue être secrètement très proche de Daffy Duck" juge avec pertinence l'ouvrage de référence Warner Bros., Secrets et Tradition de l'Animation (Dreamland éditeur).

Partout sur le web, les réactions de part et d'autre ont afflué suite à l'annonce de sa disparition, ce qui est fort légitime. Des hommages amplement mérités, pour un animateur-clef dans l'histoire des cartoons, et plus globalement dans l'Histoire du cinéma d'animation. Si le vil Coyote n'aura jamais réussi à rattraper Bip-Bip (pas faute d'avoir essayé !), la grande faucheuse aura vaincu la course effrénée de Chuck JONES après la créativité débordante qui caractérise ses films.

Gersende Bollut



LIENS INTERNET


- Site Officiel : www.chuckjones.com
- Chuck Jones Fondation : www.chuckjones.org/entry2.htm

 

"Mes influences ? Chuck Jones, bien sûr. C'est le plus grand de tous ! Il ne fait pas des films pour les enfants, mais pour lui ! Voilà pourquoi il séduit tout le monde"

John Lasseter pendant la promo de Monstres & Cie, quelques jours avant la disparition de Chuck Jones