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serial experiments lain
2ème partie



Attention !

L'article qui suit tente d'analyser serial experiments lain, son scénario et sa mise en scène, son univers thématique et esthétique. Par conséquent, de nombreux éléments relatifs à l'histoire de la série viennent servir l'argumentation. Si vous n'avez jamais vu les treize épisodes au moins une fois, je ne saurais trop vous conseiller de quitter cette page et de récupérer au plus vite les quatre DVD édités chez Manga Distribution (ou les cinq VHS, ou bien sûr les pauv' fichiers DivX qui traînent dans un coin moisi du Net). Cela dit, l'incroyable richesse, la complexité et l'expérience intellectuelle offertes par Lain méritent (idéalement) plusieurs visions, livré à soi-même dans un voyage initiatique sans réel équivalent.

Avant toute chose, je tiens à remercier ici Lawrence Eng, auteur d'une excellente analyse en ligne sur Lain, qui m'a autorisé à reprendre dans le présent article quelques unes de ses pertinentes pistes de réflexion. J'y ferai référence par des *cf hypertextuels (ah, la magie d'Internet). Le site est autrement consultable à cette adresse : http://www.cjas.org/~leng/lain.htm.


LAYER 07 : SOCIETY

La voix d'Alice accompagne toujours la séquence d'introduction. La phrase prononcée semble poursuivre celle du Layer précédent ("Pour cela…") : "Je ne le dirai qu'à toi. Seulement, tu n'es pas au courant de ce qui arrive à cette société. De ce qui se passe". Prise au premier degré, il peut s'agir d'un constat de la part d'Alice à son amie, peu au fait des choses de la vie sociale comme nous l'avons déjà remarqué à plusieurs reprises. Encore une fois, un autre niveau de lecture se cache pourtant derrière ces mots.

Le début de l'épisode insiste une fois de plus sur le caractère de plus en plus vivant du Navi de Lain. Ainsi, les écrans holographiques volettent autour de leur maîtresse comme de petits animaux ou insectes. Plusieurs plans nous montrent par ailleurs que le Navi baigne désormais dans l'eau (!) et utilise divers liquides dans ses circuits, ce qui évoque fortement le fonctionnement du corps humain. L'analogie homme/machine se poursuit avec la première scène de "l'homme-ordinateur" qui déambule entre les regards troublés de la foule. Une succession de gros plans sur les détails de son attirail souligne l'anormalité du personnage : casque équipé de lunettes spéciales, webcam sur l'épaule, sac à dos débordant de câbles dans lequel on devine la présence d'une unité centrale... Ce drôle de type, à la recherche des Knights, prétend briser la barrière entre le Wired et le monde réel. La mise en image représente ce qu'il voit par des prises de vue réelles brouillées avec du texte en surimpression. Le procédé marque la différence de perception du personnage par rapport à son entourage mais ne rappelle pas vraiment le Wired tel que Lain l'a déjà exploré. On comprend donc déjà à ce stade que l'homme-ordi est à côté de la plaque, aussi bien pour le monde réel que pour le Wired et les Knights.

Les Knights, justement, vont se dévoiler dans cet épisode par l'intermédiaire de leur symbole (déjà aperçu dans le Layer 05, lors de la descente aux enfers de Mika). Le premier d'entre eux se révèle dans une scène très habile qui illustre (à la façon des deux scènes précédentes, avec Lain puis l'homme-machine) la préférence accordée par certaines personnes à leur ordinateur plutôt qu'aux personnes du sexe opposée, imagerie "nerd" d'ailleurs renforcée par la découverte du deuxième Knight, obèse et reclus dans son appartement aux allures de porcherie. Le premier Knight, donc, revêt l'apparence d'un homme d'affaires important, le nez dans ses fichiers informatiques. L'arrivée dans la scène de sa secrétaire ultra sexualisée perturbe légèrement sa concentration. La jeune femme s'avance tout d'abord vers la "caméra", mettant ainsi en avant sa poitrine puis ses jambes nues. Une fois assise, elle effectue un mouvement sensuel de la tête pour faire danser sa chevelure, tandis qu'au premier plan les doigts de l'homme pianotent sur le clavier (idée de concurrence femme/machine). Sourire complice, croisement puis décroisement de jambes, tenue et maquillage sophistiqués, le tout dans une ambiance pour le moins affriolante (fontaine d'intérieur, chants d'oiseau)… L'espace d'un instant, l'homme paraît troublé comme le confirme un gros plan sur son regard, jusqu'à ce que la voix robotique de son ordinateur ne le rappelle à l'ordre : "MAIL".

Retour en classe au collège. Lain ne lâche plus son Navi portable et surfe frénétiquement avec sur le Wired. Alice, l'observant, s'inquiète de plus en plus. La séquence qui suit, sur le toit puis dans le Wired, est peut-être la plus belle de toute la série. Lain, manifestement abrutie par ses incursions répétées dans le Wired (et, pourrait-on dire, discrètement phagocytée par son double maléfique), écoute Alice lui faire part de ses inquiétudes à son sujet. Face aux attentions de son amie, la "fausse Lain" craque complètement : expressions gorge-serrée, tremblements du visage… La progressive froideur robotique de Lain vacille devant la sincérité des sentiments humains d'Alice. Le lien tactile des mains renvoie alors au début du Layer 03 sauf que cette fois-ci, Lain remercie son amie. Le dernier plan de cette "scène du toit" nous montre une Lain visiblement béate, sentiment qui va influer indirectement sur le Wired : dans la séquence suivante, une voix off échappée d'un bulletin d'informations annonce en effet une importante perturbation dans le flot d'informations du Wired, probable résultat de la confusion ressentie par Lain suite aux paroles d'Alice. Or, que voit-on lors de cette annonce ? Deux oiseaux qui volent, une rivière, un poisson doré qui en sort, une fleur humide, un oiseau rouge et doré aux grandes plumes, des gouttes de rosée qui tombent de la fleur (je ne peux m'empêcher d'y voir un symbole sexuel), le tout sur fond de musique étrangement zen. Et en y écoutant de plus près, le message lui-même n'a aucun sens logique. En d'autres termes, le sentiment de bonheur trouble qui s'empare de Lain dans le monde réel se voit brillamment et audacieusement illustré par l'univers métaphorique du Wired.

Juste après, nouvelle séquence de chat en folie sur le Wired, matérialisée entre autres par de nombreux textes graphiques en mouvement. Au centre des débats : les Knights, dont on apprend une appellation allongée (Calculus Knights, les chevaliers du calcul). La découverte des différents membres continuent d'ailleurs avec une nouvelle scène où intervient le personnage du livreur (le même que dans le Layer 02). On remarquera que les trois membres de Knights présentés viennent de contextes sociaux totalement différents : businessman occupé, ado bouffi et ermite, mère au foyer épanouie… Au travers de ce panorama se dessine l'organisation d'une société secrète qui pourrait bien donner son titre au Layer : SOCIETY. Ce qui change sensiblement le sens de la phrase d'introduction ("Tu n’es pas au courant de ce qui arrive à cette société"). Effectivement, Lain ne sait pas encore tout des Knights à ce stade de l'intrigue. Autre élément intrigant dans cette séance de chat : le moteur de recherche du Wired ne trouve aucun résultat au mot-clé "Lain", alors que tout le monde l'évoque dans les discussions anonymes du réseau.

Hallucination collective, disions-nous ?

Lorsque l'on retrouve Lain à l'extérieur de sa maison, les tâches mauves semblent désormais plus importantes que les rouges dans les zones d'ombres. Il s'agit à n'en pas douter d'une autre manifestation de son "innocence" retrouvée suite aux déclarations d'Alice. Seulement, un problème subsiste : dans l'esprit des gens, la fausse Lain a toujours une raison d'être, comme le montre la vision de l'homme-ordinateur qui, cherchant à contacter les Knights, l'aperçoit dans sa représentation faussée du monde. Une lutte intérieure commence alors dans l'esprit de la jeune fille, provoquée par le discours de l'homme assis dans les locaux Tachibana (apparemment employeur des deux MIB). Lain tente de résister aux mauvais souvenirs tout juste effacés par son entrevue avec Alice (KIDS, les Knights…) ; puis après la "coupure" de l'homme-ordi, on remarque que le soleil a disparu et que les néons au plafond éclairent la pièce des locaux Tachibana. L'ambiance devient plus sombre pour s'accorder aux ténébreux tourments de Lain, maintenant confrontée à son passé qui, semble-t-il, n’existe même pas réellement. Ce dernier constat, qui la laisse seule au monde car sans famille, achève de l'anéantir moralement et de laisser la fausse Lain reprendre le dessus, ce qui se traduit immédiatement par un nouveau changement d'attitude brutal et agressif.


LAYER 08 : RUMORS

"Est-ce que toi aussi tu veux te blesser ? Est-ce que tu veux que ton esprit soit éraflé par un grincement ? Si c’est ça que tu veux, ne détourne jamais ton regard". Décidément, les phrases d'introduction semblent de plus en plus opaques. Pour mieux en cacher les richesses ? Sans doute, mais ne soyez pas si impatients…

Ce Layer démarre dans le Wired, et plus précisément dans un jeu en ligne : personnage réel (Taro, le môme du Cyberia) pixelisé, codes du Role Playing Game genre Final Fantasy avec gros monstre qui ne ressemble pas à grand chose, arme irréaliste et démesurée, jaillissement de points d'expérience à la mort de l'ennemi… Toujours en quête de savoir et de compréhension, Lain se heurte ici à la philosophie très cooliste de Taro : "Qu'est-ce qu'il y a d'amusant [à tuer les autres joueurs] ? Personne n'en a la moindre idée on dirait". Dans le même ordre d'idées, les joueurs du Wired prétendent se moquer de la possible existence d'un Dieu. Lain voit ensuite jaillir sur l’écran de son Navi une publicité pour un site a priori pornographique (l'incitation à visiter "C'mon in" remplacée par le grivois jeu de mots "CUM ON IN"). La strip-teaseuse que rencontre Lain renvoie effectivement bien à l'imagerie des sites pornos. La voix masculine qui sort de cet avatar femme illustre dans cet esprit un phénomène du Net et des chat-rooms, celui du travestissement implicite.

Après ces quelques recherches, Lain descend dans la cuisine pour se servir un verre d'eau (ou de lait, ou de jus d'oranges… je ne sais plus). Elle parle à cette occasion, à ses parents curieusement amorphes, de la discussion dans les locaux Tachibana. Dans un premier temps, monsieur et madame Iwakura ne réagissent pas. Puis lorsque Lain s'apprête à rejoindre sa chambre, ils la regardent avec un air malveillant, presque accusateur. Je vois deux explications possibles à cette attitude : soit Lain doute de ses parents et les voit donc comme des êtres vides (inexistants) puis agressifs, soit il s'agit d’une façon pour les "acteurs" de l'intimider, de la mettre en garde. De la même manière, ses amies vont sembler agressives à Lain, comme le laisse penser l'expression de Julie et Reika devant le collège, la même que celle des parents la veille. Ces événements suggèrent que la rencontre avec l'employeur des MIB dans les locaux Tachibana a complètement chamboulé Lain, qui doute de l'authenticité et de la sincérité de ses parents et même de ses amies, ce qui tranche radicalement avec la scène du toit du Layer 07. Mais face aux questions d’Alice, Lain perd pied et ne peut s'imaginer avoir fait quoi que ce soit de mauvais dans le Wired. La vraie Lain reprend le dessus et la réplique d'Alice souligne à nouveau la confiance que celle-ci place en elle : "Je te fais confiance… moi" (sous-entendu : "pas comme tes parents, Julie ou Reika").

Nouvelle séquence de chat avec cette fois-ci Lain "physiquement" présente dans le Wired. Une fois encore, la série nous gratifie d'un parti-pris esthétique très épuré, figuratif, avec notamment cette sorte de surface infinie habillée de lignes perpendiculaires, perdue au milieu d’un nulle part noir, et des avatars symboliques (avec une bouche animée malgré l'absence de tête pour la soutenir) représentant les innombrables bavards anonymes des chat-rooms qui parlent de tout et n'importe quoi (ce qui pousse Lain à crier, excédée : "Fermez-la, c'est pas intéressant !"). La mise en scène s'avère ici judicieuse à plus d'un titre tant elle parvient à "animer" une scène pourtant assez statique par une grande variété de plans et de mouvements de "caméra". Dans l'ordre : zoom arrière, deux panoramiques coupés, plan fixe montrant Lain qui commence à marcher, trois travellings avec rapports de plan différents, travelling sur les bouches, plan fixe sur Lain remuant la tête et criant, trois travellings avec rapports différents, zoom avant partant d'une vue d'ensemble, retournement de tête de Lain enchaîné avec un zoom arrière, travelling, plan fixe mais rapide pour accompagner le mouvement de tête de Lain, deux travellings opposés, dernier plan fixe mais troublé lorsque Lain s'effondre.

Lain se retrouve alors dans sa salle de classe, agressée du regard par toutes ses camarades et sa prof. Malgré les nouveaux encouragements d'Alice, Lain doute de plus en plus du monde qui l'entoure, aidée en cela par Dieu qui, lors de la scène de chat, en a rajouté une couche en validant l'hypothèse d'une "autre Lain" (la fausse dont je parle depuis pas mal de paragraphes maintenant). D'ailleurs, le message qu'elle reçoit sur son Navi portable, "Lain est une voyeuse", est à l'opposé de sa situation présente, puisque tout le monde l'observe elle, jusque dans les couloirs du collège et la cour de récréation. Encore une fois, Alice vient apporter un certain réconfort par un message sur le Navi portable de Lain : "N'écoute pas les rumeurs". Puis nous voyons la fausse Lain, manifestement dans le Wired (fond psychédélique qui rappelle les apparitions textuelles du Layer 01). Elle esquisse un petit sourire qui laisse penser que la fausse Lain, plus que jamais, cherche à écarter la vraie et se réjouit de la panique qui l'envahit à ce moment-là. Lain (la vraie) tombe alors à genoux devant une vitre du couloir, et celle-ci se fissure d'un seul coup. Que penser de cette nouvelle manifestation surnaturelle (une de plus ou de moins, au point où on en est) ? Une fêlure dans l'âme du personnage, métaphorisée visuellement ? On peut le croire en repensant à la phrase d'introduction de l'épisode ("Est-ce que tu veux que ton esprit soit éraflé par un grincement ?"), le bruit que fait le verre en se fissurant ressemble justement assez à un grincement. Je serais pour ma part tenté de croire à une référence à De l'autre côté du miroir de Lewis CARROLL, la suite d'Alice au pays de merveilles. Même si le motif emprunté n'apparaît pas de façon claire (du moins pour moi), le scénariste Chiaki KONAKA prétend avoir créé le personnage d'Alice Mizuki à partir de l'Alice de Lewis CARROLL, comme dans la plupart de ses travaux d'ailleurs *cf.

Réfugiée à proximité d'un entrepôt de matériel sportif pour pleurer, Lain se saisit de son pocket mailer sur lequel est toujours affiché le message d'Alice. Une explosion surgit alors du corps de Lain, rappelant celle déclenchée par KIDS dans le Layer 06. On peut ainsi interpréter cette nouvelle explosion comme un trop plein d'énergie psychokinésique que Lain, dans sa détresse, ne parvient plus à contenir. Le plan qui suit montre Lain marchant sans vie dans les flammes (de l'Enfer ?), réduite à l'état de marionnette pour la fausse Lain qui par ce subterfuge part à la recherche d'Alice (d'où l'inscription "Searching", juste après).

Arrive alors la scène de l'intimité d'Alice. Celle-ci se masturbe dans sa chambre en fantasmant sur son professeur, jusqu'à ce qu'elle ne se rende compte que la fausse Lain l'observe (bien que dans son esprit, il n'existe qu'une seule Lain, d'où sa réaction incrédule puis outrée). Plusieurs éléments identifient clairement la fausse Lain dans cette scène : rictus, yeux exagérément plissés, voix espiègle, rire sadique… elle apparaît finalement comme une sorcière de conte chinois. Dans le même temps (ou peu après ?) on découvre la vraie Lain (dans son pyjama ourson) horrifiée dans son lit, comme si elle venait de faire un cauchemar (ce que constitue vraisemblablement la scène précédente pour elle). De l'autre côté de sa fenêtre, des éclairs au son effrayant parcourent les câbles électriques, symbole récurrent de la série au même titre que le feu clignotant pour piétons qui apparaît également subrepticement dans cette séquence. Puis on voit Lain composée graphiquement des fameuses tâches rouges et mauves, signe qu’elle prend totalement conscience de la situation et de l'existence d'une autre "elle" antagoniste.

Cette autre, Lain l'affronte ensuite dans le Wired. Le dialogue qu'elles échangent dans cette bagarre nous amène à nous interroger : et si, en réalité, la fausse Lain (enfin, celle que je désigne ainsi depuis le début) était… l'originale, la vraie ? Après tout, l'attribution vraie/fausse ne fonctionne-t-elle pas dans les deux sens ? Nous y reviendrons.

En tout cas, Lain revient dans le décor perdu du chat qu'elle a visité quelques séquences plus tôt dans cet épisode, mais des têtes de… Lain ont remplacé toutes les bouches des avatars (encore un symbolisme pertinent pour signifier l'omniprésence de Lain dans le Wired). Pour la première fois, Dieu se matérialise sous les yeux de Lain, de manière encore informe toutefois. La symbolique n'en reste pas moins éloquente : quand il parle de la liberté de l'information, il projette de petites lumières sur le sol, comme des projecteurs qui éclairent la moindre information circulant sur le réseau. Interprétant les paroles de Dieu, Lain croit pouvoir effacer sa mauvaise réputation (causée par la fausse Lain) des mémoires de son entourage, ce qu'elle entreprend comme en témoigne une nouvelle inscription en forme de commande informatique : DELETING.

Retour à une scène du Layer 01, lorsque Lain arrive au collège et voit un mouvement hallucinatoire dans son ombre. Si la scène débute dans les décors du monde réel, elle bascule rapidement dans ceux du Wired, ou du moins dans le blanc immaculé de Lain. Celle-ci pense d'abord avoir réussi son opération de retour en arrière en voyant ses trois amies courir vers elle en l'appelant avec le sourire dans la voix. Malheureusement, la fausse Lain a toujours autant d'importance dans l'esprit des gens, au point même de remplacer la vraie. Visuellement, graphismes et animation épurés permettent une mise en scène pertinente, comme le dédoublement de Lain (identicité apparente du dessin qui se décompose en deux personnages distincts) ou sa décolorisation à la fin de la scène (même les contours du personnage deviennent blancs et se confondent avec le vide des décors) qui, dans un sens, rend compte de sa dématérialisation.

De retour chez elle, l'héroïne en perte d'identité a tout de même droit à un "Hello Lain" de la part de son ordinateur. Plus personne ne la reconnaît, sauf son Navi.


LAYER 09 : PROTOCOL

"Si tu veux échapper à la souffrance, tu dois croire en Dieu. Que tu y crois ou non, Dieu est là, près de toi". Toujours la voix d'Alice, mais vous devriez commencer à deviner de qui viennent réellement ces messages. Non, vraiment pas ? Courage, la GRANDE RÉVÉLATION arrive (j'en fais pas un peu trop là ?).

Bien des fans de serial experiments lain considèrent le Layer 09 comme le plus marquant et le plus important de la série. En effet, le spectateur visionnant l'intégralité des épisodes pour la toute première fois y apprend ENFIN des éléments susceptibles d'expliquer rationnellement (oui, enfin…) les événements bizarroïdes du Wired. Comme pour insister sur la vérité définitive qu'apporteraient ces fameux éclairages, les créateurs de l'anime distillent au fil de ce Layer des bouts d'un documentaire qui pourrait préexister à la série. Dès le début, des prises de vue réelles servent cette voix off qui nous parle de la ville de Roswell, au Nouveau-Mexique (Etats-Unis) et du fameux OVNI qui y aurait atterri. Afin de renforcer le caractère authentique des faits exposés, l'image "saute" régulièrement et le film semble de mauvaise qualité ou en tout cas fixé sur une vieille pellicule (le crash de Roswell ayant eu lieu en 1947).

Juste après cette première séquence documentaire, Lain reçoit dans sa chambre la visite de… euh… et bien, de ce qui ressemble fort à l'une des créatures de Roswell, vêtue d'un pull rayé rouge et vert (le très coté Freddy Krueger style). S'agirait-il d'une hallucination de Lain, celui-ci disparaissant littéralement sous ses yeux ? On peut le penser, d'autant que lors de la première scène de chat du Layer 08, une voix parlait en présence de Lain d' "un type qui ressemble à un gamin avec un pull rayé rouge et vert qui apparaît dans la chambre de cette fille tous les soirs".

Hallucination collective, disions-nous ?

En y réfléchissant, en quoi les visions d'OVNI par divers individus aux quatre coins du globe diffèrent-elles dans l'absolu des apparitions divines ? Personne ne peut concrètement prouver leurs existences, mais cela n'empêche nullement beaucoup de gens d'y croire, à commencer par… des sectes. Or, une société secrète comme les Knights aurait certainement, dans notre monde, quelques difficultés pour se faire reconnaître comme une religion officielle.

Admettons que tout cela tienne à peu près debout. Rassurez-vous, ça va encore se compliquer.

Suite du documentaire. Nous apprenons cette fois-ci la création, suite à l'incident de Roswell, d’un organisme secret chargé d'enquêter sur les ovnis et sur la possibilité d'une vie extra-terrestre. Son nom : Majestic-12. Le procédé scénaristique ici appliqué avec brio consiste à puiser dans des faits historiques afin d'alimenter la fiction. Que tous les faits récupérés soient authentiques ou non importe peu (la véracité de Majestic-12 reste discutée dans la communauté ufologue). La mise en image nous permet d'y croire par de nombreuses dates et images d’archives. La fin de cette séquence évoque un personnage, bien réel lui, qui aurait donc fait partie de Majestic-12 : Vannevar Bush. Une nouvelle séance de chat symbolique entre Lain et les avatars du Wired plus tard, un autre morceau du documentaire nous présente l'un des plus fameux travaux de Vannevar Bush : le Memex, outil de stockage d'informations dont le fonctionnement se base sur l'instinctivité de la pensée humaine. En d'autres termes, l'ancêtre du multimédia et de l'Internet.

A mon humble avis, la double évocation de Majestic-12 et du Memex rattachés au seul Vannevar Bush ne peut que sous-entendre quelque chose de bien précis. Passons rapidement sur la courte scène du Cyberia où l'on croit comprendre que la fausse Lain a fricoté avec les Knights dans le dos de la vraie (cf. la puce oubliée, frappée du sceau de la société secrète), et progressons encore dans le documentaire. Ce dernier nous parle désormais d'un certain John C. Lilly, authentique scientifique connu pour ses travaux sur la communication des dauphins. Avant de s'intéresser aux mammifères marins, Lilly menait des expériences sur le subconscient humain, substances hallucinogènes et isolation sensorielle à l'appui. Au cours d'un "voyage", le scientifique crut entrer en contact avec une intelligence extra-terrestre. Il en tira la théorie ECCO (pour Earth Coincidence Control Office), selon laquelle une intelligence extra-terrestre supérieure détermine l’évolution de notre planète.

Pour moi, le rapprochement avec Majestic-12 et les travaux de Vannevar Bush signifie clairement que Bush a "inventé" le multimédia moderne sous l'influence (consciente ou non) d'une intelligence extra-terrestre. Pour dire les choses plus directement (et pour anticiper un peu sur la suite) : le Wired est une création d'origine extra-terrestre. Comme, par conséquent, autre chose, si vous me suivez. Mais n'en dévoilons pas trop d'un coup.

Nouveau retour au Cyberia. Lain retrouve Taro et ses acolytes pour lui réclamer le rendez-vous évoqué lors du Layer 03. Mais le jeune geek refuse, prétextant qu'il n'accepterait qu'avec l'autre Lain. L'héroïne lui rétorque : "Il n'y en a qu'une, une Lain". Se produit alors un événement intéressant, une fois de plus parfaitement servi par la mise en scène. Un gros plan sur les yeux de Taro met en évidence une expression de surprise soudaine dans son regard ; retour sur les quatre personnages, Lain de dos, les trois autres tous interloqués ; puis gros plan sur les yeux, le regard de la fausse Lain. Une hypothèse se forme dans mon esprit surchauffé par la vision image par image des neuf premiers épisodes : y aurait-il, depuis le début, trois Lain ? La Lain de base, celle qui sort au tout début de sa maison et que j'appelle jusqu'ici la vraie Lain ; la fausse Lain, qui n'existe que dans le Wired, double maléfique de la vraie Lain ; et enfin une autre Lain, intermédiaire, "créée" par… la vraie ou la fausse Lain ? Une Lain un peu agressive, un peu méchante, mais pas fondamentalement mauvaise.

A moi mon aspirine !

Une fois dans la chambre de Lain pour le "rendez-vous", Taro ne cesse de s'ébahir devant tout ce qu'elle a compris ou découvert par elle-même. Un plan illustre à merveille l'admiration qu'il ressent pour la déesse vivante que Lain devient peu à peu : après la chute de Taro au sol, un mouvement vertical part de lui vers Lain en contre-plongée, ses écrans serviteurs apparaissant derrière elle les uns après les autres dans un mouvement rapide et harmonieux. Sans parler du regard perçant et autoritaire de leur maîtresse. A l'étage du dessous, les parents semblent conscients que leur rôle touche à sa fin. Le geste de la mère vers la père (elle l'embrasse) et la réplique qui l'accompagne ("S'il te plaît, avant qu'il ne soit trop tard") peut nous amener à conclure que les trois membres de la famille Iwakura n'avaient en réalité aucun lien avant l'arrivée de Lain dans leurs vies. Et là, si vous ne dormez pas encore devant cet article interminable, vous allez me dire "Oui, mais Mika, elle, elle croyait pourtant être la fille des deux adultes, là". Certes, mais ne peut-on pas envisager son introduction, des années auparavant et sans qu'elle n'en sache jamais rien, dans cette fausse famille ? Pourquoi, comment ? Une petite "coïncidence" déclenchée par une force supérieure, peut-être. Et là, vous pouvez déjà comprendre pour qui travaille réellement la famille Iwakura.

Mika, justement, réapparaît non loin du salon. Amorphe et parlant un langage incompréhensible, elle mime soudain le geste du téléphone avec ses doigts et lâche quelques mots intelligibles à… à qui au fait ? Difficile à dire mais si l'on s'en tient aux événements du Layer 05, je pense que Mika occupe désormais un rôle d’espionne pour Masami Eiri ou la fausse Lain.

Nouvel extrait du documentaire, qui évoque maintenant Ted Nelson, figure importante dans l'histoire de l'Internet. Cet éclairage supplémentaire vient assimiler assez explicitement le Wired à l'Internet que nous connaissons, le désignant là encore comme sa version supérieure.

Dans la séquence suivante, Lain parvient à revoir des morceaux de son passé par l'intermédiaire d'un auto "memory check" dans le Wired. On la voit ainsi amenée, visiblement pas plus jeune et dans son uniforme de collégienne, chez ses parents (et Mika) par des hommes en costumes sombres. Quelqu'un ou quelque chose a donc bien placé Lain dans une fausse famille. La société Tachibana qui emploie le même genre d'hommes en noir ? Certainement pas, puisque nous comprendrons plus tard que les deux MIB ne travaillent pas du tout pour le compte de Tachibana contrairement à ce qu’ils croyaient (et nous par la même occasion). Autre interrogation pour le moins troublante (même si on ne peut se poser la question qu'à la troisième ou quatrième vision, arf) : pourquoi Lain ne peut-elle pas remonter plus loin dans son passé ?

Dernière séquence du documentaire. Au programme cette fois : un truc extrêmement compliqué appelé Résonance Schumann. Pour faire court : la fréquence des ondes magnétiques émises par la Terre, mesurée à une moyenne de 7,83 Hz entre la Terre et la ionosphère par le physicien allemand W.O. Schumann. La voix off rattache cette "onde cérébrale de la Terre" à la théorie de Rushkoff sur une conscience globale de la planète. Celle-ci se réveillerait à l'aide des similitudes entre les fibres optiques et les connexions neurales du cerveau humain et par un nombre d'humains équivalent au nombre de neurones dans leurs cerveaux respectifs (sachant qu'on trouve cent petits milliards de neurones dans un cerveau, il y a encore de la marge cela dit).

La fiction proprement dite de serial experiments lain commence avec le personnage imaginaire de Masami Eiri, employé de Tachibana qui réussit à intégrer au Protocol 7 du Wired un moyen d'exploiter le phénomène de la Résonance Schumann. Ayant agi sans l'aval de ses supérieurs, l'informaticien se retrouve à la porte et meurt quelques jours plus tard d'un "accident", écrasé par un train. Masami Eiri apparaît finalement dans la rue, face à Lain, le corps grossièrement rafistolé. Malgré des cheveux plus longs et un maquillage théâtral, le spectateur reconnaît sans mal son visage, révélé peu avant dans le documentaire. "Dieu est là, près de toi". On ne croyait pas si bien entendre.


LAYER 10 : LOVE

Rupture dans le rituel de la phrase d'introduction : aucune voix ne parle ce coup-ci. Sur les habituelles images de foules et de câbles électriques, quelques bruits bien audibles (comme en évidence) de ce qui ressemble à des ondes. La fin du précédent Layer nous laissait, il faut le reconnaître, dans une excitation curieuse non négligeable. Sentiment qui stimule apparemment tout autant le flot d'informations du Wired.

Retour dans la rue où Lain et Masami "Dieu" Eiri se tiennent face à face, à une distance importante cependant. Encore une typologie qui rappelle les scènes de duel dans les westerns, impression renforcée par les quelques très gros plans sur les visages des deux opposants. Cette disposition paraît sous-entendre (là encore, connaissance de la suite aidant) dès leur première confrontation que Lain et Eiri sont ennemis. Mais le dialogue qui s'engage, très ambigu, vient chambouler totalement ce constat : Lain parle à la place d'Eiri et inversement (comprenez que les répliques ne correspondent pas à celui qui les énonce). Cet échange assimile donc d'une certaine manière les deux personnages, signifiant un lien encore trouble entre eux. Ce dialogue s'avère toutefois extrêmement subtil et très bien écrit, à tel point que l'on peut parfaitement le prendre au premier degré jusqu'au moment où Eiri se nomme.

Par ailleurs, le début de ce Layer relance encore la narration de la série par un nouvel enjeu dramatique de taille, puisque l'énigmatique personnage de Dieu, latent depuis le début, apparaît enfin. Une musique particulièrement inquiétante souligne d'ailleurs cette rencontre attendue. Pour ne pas trahir sa réputation de Dieu, Eiri expose quelques uns de ses pouvoirs divins (voire devins, sans mauvais jeu de mots) en anticipant les répliques et questions de Lain. D’abord surprise et décontenancée, celle-ci rentre finalement dans son jeu et parvient à tenir le dialogue comme un joueur tient un échange au tennis. Dans un sens, Lain en sait peut-être autant qu'Eiri. N'a-t-elle pas déjà fait preuve de quelques pouvoirs elle aussi ?

Au cœur du débat entre Lain et "Dieu", des interrogations assez complexes sur la nature de la religion et de la croyance. En créant ses adorateurs (les Knights), Masami Eiri ne ressemble-t-il pas au bout du compte à un vulgaire gourou de secte ? Lain tente de s'en persuader en le traitant de menteur lorsqu'il parle de l'inutilité du corps. Juste après, l'ombre des maisons qui s'étend sur la rue, avec les tâches rouges et mauves, la recouvre. Façon de rappeler que la lutte entre la vraie Lain (physique) et la fausse (numérique) continue, à la plus grande satisfaction d'Eiri.

Le "physique" se retrouve dans la scène suivante, en classe. Lain y entre tandis que ses camarades discutent en ricanant d'affaires de leur âge (le sexe quoi, domaine physique par excellence et par définition). Bien loin de ces préoccupations, Lain marche vers son pupitre avant de s'apercevoir que celui-ci a purement et simplement disparu. L'élève Iwakura n'existe plus pour les autres. La voix de la prof semble de plus lointaine, comme venant d’un mégaphone (alors qu'elle se trouve juste à côté). Lorsqu'elle ne peut attraper la copie que tend la prof, Lain se rend compte que son corps ne lui sert plus à rien s'il ne peut interagir avec le monde physique. La "caméra" adopte alors un point de vue des trois quarts de haut, englobant les élèves autour de Lain, afin de mettre en exergue son rapport avec la vie sociale codifiée (ici par le biais de l'école). Elle prononce enfin ces mots : "J'ai pourtant toujours essayé d'éviter quelque chose comme ça. J'ai toujours essayé de ne rien dire d'étrange". A trop vouloir rester discrète, Lain a fini par se faire réellement oublier. Alice renchérit : "On a simplement pas besoin de toi dans le monde réel". Autrement dit, si Lain est bien une hallucination collective comme nous le supposons depuis le début, ce qui lui arrive présente une forme de logique : sa vraie place se trouve dans les légendes, les croyances… ou dans un lieu fantasmatique, le Wired.

Attristée par ce qui vient de lui arriver, Lain rentre chez elle, et trouve sa maison abandonnée depuis (curieusement) plusieurs jours (comme le "prouvent" les plantes mortes dans les pots). Dans la chambre de sa sœur, Lain découvre un désordre comparable à celui que laissent les cambrioleurs une fois leur forfait accompli. Un plan nous rappelle alors très brièvement le "bip… bip… bip…" de Mika (Layer 09), laissant penser que quelqu'un a répondu à cet appel saugrenu et a ainsi provoqué cette pagaille. Qui donc ? Ceux qui employaient la famille Iwakura ? Masami Eiri par l'intermédiaire de ses hommes de mains, les Knights ou d'autres MIB croyant travailler pour le compte de Tachibana ? Dans tous les cas, les concepteurs de la série ne nous montrent pas tout et préfèrent parfois solliciter notre imagination pour combler quelques trous dans l’histoire.

Dans le dialogue qui suit, le "père" de Lain lui avoue le rôle qu'il jouait et son "travail" désormais terminé, utilisant un vouvoiement sans équivoque. "Ne me laisse pas seule" le supplie Lain en désespoir de cause. Mais le faux père la renvoie immédiatement à sa véritable nature : "Sur le Wired, tout le monde vous accueillera".

Le Wired. Lain s'y rend une fois de plus, décidée à en finir avec les Knights. Elle y apprend (et nous avec) leur appellation intégrale : Les Chevaliers du Calcul de l'Est. Ils seraient en outre des descendants des Chevaliers du Temple (ou Templiers), dont le but consistait également à imposer à l'inconscient collectif humain la croyance en un Dieu unique (se souvenir ici de la phrase de Taro dans le Layer précédent : "Knights est la seule vérité, c'est un serviteur idéal qui combat pour la vérité, la vérité unique (…) La vérité est forte parce qu'elle est vraie. La vérité est justice parce qu'elle est vraie. Tu ne trouves pas ça convaincant ? Tu ne veux pas, toi aussi, d'une telle vérité ?"). J'en profite pour signaler, également dans cet ordre d'idée, certaines ressemblances entre le symbole des Knights et celui des francs-maçons (eux-mêmes héritiers des Templiers). Analyse en profondeur (et en anglais) ici.

Par sa recherche, Lain parvient à révéler les Knights au grand jour. Sous couvert de suicides, les deux MIB les éliminent. Cela confirmerait que les deux agents travaillent bien pour la société Tachibana, celle-ci voulant se réapproprier le Protocol 7 tout en se débarrassant une fois pour toute de son créateur. Or, sans les Knights, Masami Eiri peut-il encore prétendre au statut de Dieu ?

Retour dans l'antre du Navi. Lain, connectée à son ordinateur par tout un tas de câbles sortant de son corps, a visiblement mis le paquet pour retrouver les Knights. Tournant autour d'elle, les écrans holographiques rappellent pour certains d'entre eux des formes d'insectes ou de créatures marines qui protègent leur reine. Les deux MIB s'invitent dans la chambre. Le barbu, avant de repartir, lancera à Lain : "Nous n'avons toujours pas compris ce que tu es". Pourtant, son collègue a eu peu avant une réplique à double sens : "Ce doit être un Dieu ou quelque chose qui te protège", prononcée sur le ton de la plaisanterie alors que les deux en savent suffisamment au sujet de Masami Eiri (une scène du Layer 12 en attestera). Les derniers mots du barbu à Lain ("… mais je t'aime.") auraient pourtant pu lui faire comprendre : après l'hallucination, le fantasme collectif ?

Dernière explication (enfin, pour cet épisode) entre Lain et Eiri. Ainsi, ce que nous prenions jusqu'ici pour la fausse Lain était donc bien la vraie, l'originale. La "vraie Lain", l'initiale dans le chronologie de la série, n'étant finalement qu'une créature de Franken-Eiri (cf. bla-bla sur le ribosome) envoyée dans le monde réel. De ce fait, si Masami Eiri a effectivement créé Lain, alors celle-ci se voit bien obligée de croire en lui comme en Dieu. Malheureusement pour lui, il évoque en ces termes la Lain du Wired : "C'est la vraie Toi". Or, si cette affirmation s'avère exacte, alors Lain est capable d'être aussi maléfique que son double, et par conséquent de renier son créateur. Ce qu'elle fait de suite. Abandonné par tous ses croyants, "Dieu" disparaît. Momentanément seulement.


LAYER 11 : INFORNOGRAPHY

Comme pour le Layer 10, aucune voix ne parle sur la séquence d'introduction, désormais entrecoupée de très gros plans sur la "connectic Lain" que nous avions laissée à la fin de l'épisode précédent. L'écran-titre diffère lui aussi des autres, puisqu'il regroupe tous les écrans-titre déjà vus, traduction de ce que Lain s'apprête à faire : charger le disque dur de son Navi dans son cerveau, autrement dit son existence du Wired dans son corps réel (à vrai dire, son existence numérique correspond à ce qu'elle a "vécu" sous nos yeux depuis le début de la série, puisque comme le lui soufflera Eiri ensuite, elle est un software, un programme exécutable dans un corps, une intelligence artificielle et non une machine. Vous n'y comprenez plus rien ? En fait, moi non plus). La question que Lain pose avant de se lancer dans le transfert, "La mémoire, n'est-ce vraiment rien de plus ?", contient presque sa propre réponse : rien de plus que de l'information ? Le mot renvoie au titre du Layer auquel il donne son préfixe "INFOR", contracté avec le terme "PORNOGRAPHY", suggérant la nature presque sexuelle de la quête frénétique d'informations à laquelle se livrent les nerds, geeks et autres hackers. *cf.

Le spectateur embarque ensuite dans une séquence d'environ dix minutes qui ressemble à une longue bande-annonce de la série avec son mélange de plans venant des différents épisodes. A la manière des bandes-annonces de films, des enchaînements relient presque narrativement des plans a priori sans rapport entre eux : le feu pour piétons avec le feu de signalisation de la voie ferrée, Lain se retournant après la disparition de Mika pour apercevoir la scène du train, Lain dans le Wired après la séquence KIDS qui se transforme (par un fondu enchaîné) en Lain immobile au milieu de la foule… De nombreux effets graphiques apportent en sus un nouveau point de vue sur toutes ces images : animation accélérée, superposition, dédoublement, couleurs retouchées, brouillage, floutage, parasitage, télé-visages… La très Apple inscription Think Different achève de nous convaincre qu'il faudrait peut-être réviser nos premières impressions sur les événements survenus.

Le plus troublant réside cependant dans l'apparition de "scènes coupées" comme celles que l'on trouve souvent dans les bonus DVD d'un film. On découvre notamment le fameux trajet du retour effectué par Lain et Chisa ensembles, évoqué dès le Layer 01. Mais surtout, et c’est énorme, la scène du suicide de Chisa enrichie d'un plan supplémentaire qui révèle que Lain (ou du moins un de ses pendants numériques) était présente sur le toit du drame. Commencez donc à repenser aux mystérieuses phrases d'introduction des épisodes 1 et 4 à 9.

Dans un procédé similaire, les nombreux plans d'Alice qui concluent la séquence comportent quelques répliques légèrement différentes comme s'il s'agissait de "prises" non retenues au montage (ce qui rapproche encore l'anime d'un film live). "Un peu plus sociable" devient ainsi "un peu plus positive", "c'est tant mieux" devient "c'est chouette"… Pour tout dire, je ne saisis pas très bien la signification profonde de ces changements. La séquence se termine néanmoins par l'inscription "alice LOVE needs you…", rappelant le titre du Layer 10. Si l'amour du MIB n'aurait su suffire à tirer Lain de sa léthargie, il en va autrement de celui d'Alice.

Ce qui suit, avec Lain en nuisette dans la rue, se passe vraisemblablement dans le Wired, l'espèce de gros fantôme sortant de derrière un poteau faisant la transition en passant de droite à gauche de l’écran, révélant… Chisa Yomoda. Lain croit avoir compris ses premières paroles, lorsqu'elle prétendait (à l'instar de Masami Eiri) que le corps était inutile. Mais Chisa, maintenant de l'autre côté, renie ce qu'elle avait dit. D'abord par un non de la tête puis par une réplique face au garçon fou du Cyberia (dont l'arme évoque là encore les codes du western) revenu du Layer 02 : "Mourir, ce n'est pas facile du tout". Pour la première fois, le spectateur entend Chisa s'exprimer directement de vive voix, et reconnaît le timbre de… Alice. Chisa aurait donc bien énoncé les différentes introductions de la série, Lain effectuant d'ailleurs le rapprochement mentalement, puisqu'elle se rend immédiatement après dans la chambre d'Alice.

Rendons-nous dans cette chambre avec elle. Alice discute par webcam interposées avec Julie au sujet de la rumeur propagée dans le Wired par la fausse Lain. Puis Lain apparaît dans l'entrebâillement de la porte, avec le corps de la créature de Roswell et le même pull rayé rouge et vert. Mais qu'est-ce que c'est qu'ce délire, encore ? Cette représentation sert peut-être à signifier que Lain est bien une hallucination collective comme Roswell et les ovnis *cf. Cela dit, je pense plutôt qu'il s'agit d'une nouvelle "preuve" de l'origine extra-terrestre de Lain, comme le laissait penser le Layer 09. De même, sa façon de "tout arranger" dans la réputation d'Alice rappelle un peu le modèle ECCO de John Lilly. En outre, le plan intrigant qui précédait la scène de la chambre d’Alice, avec les lucioles, la rue transformée en ravin et des tours à l'architecture extravagante exprime à mon avis un souvenir (inconscient) de Lain pour sa planète d'origine.

Le lendemain au collège, Alice se rend compte au contact de Julie et Reika que Lain a tenu sa promesse et a effacé la rumeur dans l'esprit des gens. Puis un soudain changement d'expression sur son visage indique qu'elle sent quelque chose sans le voir. Elle se retourne, de gros plans focalisent notre attention sur ses tremblements (inquiétude) tandis qu'autour d'elle, personnages et décors disparaissent. Deux sons de percussions lourdes, semblables à des détonations, retentissent. Retour sur les yeux, puis plan sur ce qu'ils voient : Lain. Inversion des rôles : Alice ressent peur et angoisse face à son amie.


LAYER 12 : LANDSCAPE

Pour la première fois, Lain prend la parole sur la séquence d'introduction. "Je vois. Le monde est aussi simple que ça. Je n'avais pas réalisé. Pour moi il était vaste et effrayant. Maintenant que j'ai compris, je me sens plus légère". Une autre voix, celle de l'introduction du Layer 02, lui répond : "Je te l'avais dit non ?". A la réflexion, cette voix qui conseillait à Lain d' "en essayer un peu" venait peut-être tout simplement d'une correspondante du Wired. Mais de quoi parlait-elle, au juste ? Qu'a essayé Lain depuis cet encouragement ? Les relations humaines (Alice, Taro) ? Les drogues technologiques (Psyche, mémoire volatile) ?

Le plan d'ouverture illustre immédiatement le titre LANDSCAPE (paysage en anglais) avec une vue éloignée du collège d'abord flouté par les câbles électriques au premier plan, avant qu'un changement de focale ne laisse apparaître l'établissement scolaire. Désormais, Lain voit au-delà du Wired (les câbles) et s'ancre réellement dans le monde physique (le collège et ses codes sociaux), comme l'atteste la scène suivante. Lain y provoque le rire de Julie et Reika et leur bref échange nous permet de comprendre qu'elles parlent de choses plutôt frivoles. Lain s'adresse ensuite à Alice restée en retrait : "Tu peux réécrire les mauvais souvenirs". Problème : malgré l'intervention de Lain, Alice n'a pas oublié tout ce qui s'est passé de néfaste, contrairement à… tout le monde. Deux Alice coexistent donc à présent : une pour Lain, et une pour tous les autres, exactement comme il y a eu plusieurs Lain. Celle-ci l'exprimera d'ailleurs en ces termes : "En réalité, il n'y a qu'une Moi, mais dans l'esprit de plein de gens", ce qui poussera Taro à fanfaronner à ses amis : "Vous pouvez me croire, j'ai embrassé un ange !". Il aurait très bien pu dire une déesse, mais le néophyte croit pour l'instant que Lain est la "fille" de Masami Eiri, le Dieu du Wired.

Dans la séquence qui suit, nous retrouvons les mystérieuses tours à l'architecture extra-terrestre, accompagnées à l'image de voix étranges qui semblent appeler Lain. Mais reprenons plus attentivement. Quelques plans récurrents de la foule, des voitures, puis les images des tours ayant surgi dans la ville désertée. Et s'il s'agissait davantage d'une diffusion que d'un appel, conformément à la logique du modèle ECCO ? Confirmation dans la plan brouillé intermédiaire, dans lequel Lain n'a pas l'air de réagir à un appel mais plutôt de constater le déclenchement d'un phénomène attendu. Le surréaliste journal télévisé à l'image cryptée et instable qui arrive derrière conforte cette hypothèse avec son présentateur qui se met à répéter d'une voix possédée "AIMEZ LAIN !". A côté de cela, il évoque le nouveau Protocol 7, qui va permettre ce qu'accomplissait déjà Lain : abolir les frontières entre le monde réel et le Wired. L'exact contraire, donc, de ce que recherchait l'homme des locaux Tachibana ou les deux MIB à la fin du Layer 10.

Retour sur les quelques plans consécutifs à la mort de Masami Eiri, alors que sa voix explique que le corps limite l'évolution humaine. Ce qui nous pousse à en déduire qu'Eiri a appliqué sa croyance sur lui-même. Jugeant son corps inutile depuis sa mise au point du Protocol 7 dans lequel il a placé ses mémoires résiduelles, Masami Eiri aurait mis volontairement fin à ses jours. Suivent quelques plans fixes à base de photographies retouchées montrant des êtres "inférieurs" à l’homme (pigeons, baleine) et diverses structures typiquement humaines (immeubles, rues, escalators, boutiques, tunnel, colonnes). Au milieu de tout ça, représentés en "3D fil de fer", les humains n'apparaissent que comme une structure parmi d'autres. Puis la voix de "Dieu" qualifie Lain de "lien restauré entre les humains". En d'autres termes, une hallucination/croyance collective et commune qu'ils partagent tous. Hop, petit détour intellectuel du côté d'ECCO et des extra-terrestres, merci, vous allez tout comprendre. Au passage, on remarque que seule Lain distingue les circuits électriques qui apparaissent épisodiquement dans le ciel (puisqu'elle seule peut envisager les individus dans leur globalité).

On retrouve Lain dans la rue, éclairée par une lumière blanche très accentuée qui donne aux couleurs (variées : jaune, rose, bleu, vert) une teinte pastel qui traduit son sentiment de légèreté fraîchement acquis. Dans cette optique, les tâches rouges et mauves ont disparu. Lain se retourne alors vers la ville, son regard orienté par un mouvement de "caméra" vertical de haut en bas, qui nous conduit tout naturellement dans un parking souterrain. A travers la vitre teintée d’une voiture, on croit deviner le faisceau rouge des MIB mais il s'agit en réalité d'une cigarette qui s'allume. Les deux agents, s'ils se tiennent bien dans le véhicule, sortent déjà de leur rôle depuis la fin de leur mission. Dans son discours, le barbu semble avoir compris que leur client entretient des liens avec Masami Eiri et ne pouvait donc pas travailler pour Tachibana contrairement à ce qu'il voulait faire croire. On peut d'ailleurs se souvenir des locaux Tachibana dans le Layer 07, qui ne faisaient pas très "vrais" pour des laboratoires de haute technologie. Ou alors, peut-être que la société Tachibana a fini par devenir à son tour adoratrice du Dieu Eiri, le sourire du client dans le parking rappelant celui de la "sorcière Lain" du Layer 08.

Avant de mourir, l'agent barbu voit dans l'œil de son collègue agonisant l'image de Lain. Je pense que celle-ci essaie d'effacer les mauvais souvenirs que représentent les deux MIB dans son esprit en les éliminant. Eiri ne lui a-t-il pas dit "Tu peux faire tout ce que tu veux" avant qu'elle ne regarde en direction du parking ? Pour mener à bien sa macabre besogne, Lain utilise des programmes exécutants (des serviteurs si vous préférez) du Wired, incarnés par les fantômes difformes qu'aperçoit le barbu avant de pousser son dernier cri et semblables à plusieurs créatures du même genre déjà croisées dans les interférences du Wired (voir Layers 2 et 11).

Retour dans le monde réel, de nouveau atteint par les tâches rouges et mauves dans les ombres à l'approche de la maison de Lain, annonçant une nouvelle lutte imminente entre les deux Lain antagonistes. Alice arrive donc chez son amie et trouve portail et porte restés ouverts. Etait-elle attendue ? A moins que quelqu'un ne soit reparti sans fermer ? En effet, Alice croise dans l'escalier Mika en plein "bip… bip…", celle-ci aurait probablement encore appelé quelqu'un comme dans le Layer 10, ce quelqu'un ayant tout laissé en désordre après son passage. La séquence qui voit Alice pénétrer dans la maison remplit plutôt bien son office en créant la tension avant la "confrontation finale", fonctionnant sur les codes du cinéma d'horreur : tâches rouges sur les murs, musique angoissante, gros plans sur le visage apeuré d'Alice, pénombre, brume, fantôme (Mika s'évapore soudainement), porte qui grince…

Dans la discussion qui s'engage entre Lain et Alice dans l'antre du Navi, Lain reconnaît en partie ce que lui a dit Masami Eiri : elle n'était "qu'un" programme créé pour détruire la frontière entre le Wired et le monde réel. Mais QUI a créé ce programme ? Au terme de ma première vision de la série, je croyais qu'il s'agissait des laboratoires Tachibana pour piéger Eiri, mais cette théorie balbutiante ne colle pas avec la scène du parking. Si l'on s'en tient à tout ce que j’ai dit jusqu'ici, alors Masami Eiri a bien créé Lain dans un sens puisqu'en fin de compte, Lain est le Protocol 7. Mais elle finira par provoquer son créateur autoproclamé en sous-entendant qu'il n'a pas vraiment créé le Protocol 7 lui-même. Allez, on ressort de ses souvenirs Majestic-12, Vannevar Bush, ECCO et les extraterrestres. Vous saisissez ? A titre personnel, je pense que dans l'intention de faire accéder l'humanité au stade supérieur (celui de la religion définitivement transférée vers la technologie, du Deus ex machina), une intelligence extra-terrestre a créé Lain en se servant de l’informaticien Masami Eiri. Persuadé d'avoir inventé par son propre génie le Protocol 7 et le monde qui en a découlé, celui-ci a alors cru juste de se proclamer Dieu. Emporté par son élan de savant fou, il donne une existence physique à sa "fille" et la place dans une fausse famille pour mieux la manipuler. Mais un détail lui échappe : tout cela, le contrôle des coïncidences (ECCO) des extraterrestres l'a prévu. La véritable déesse amenée à régner sur Terre reste donc Lain, qui reprendra finalement sa place au faux Dieu Masami Eiri. Lors de l'affrontement, elle s'éveille d'ailleurs à la notion de Dieu, mais difficile de savoir si elle y croit vraiment ou s'il ne s'agit que d'une ruse contre Eiri.

Encore quelques mots sur la mise en scène décidément très maîtrisée de l'œuvre. Lorsqu'Alice contredit Lain sur l'inutilité du corps, elle réactive le lien tactile de la main déjà utilisé dans les Layers 03 et 07, souligné par successivement : un plan serré, un plan serré sur la joue de Lain et un travelling étroit main/regard. Vient ensuite un plan des deux jeunes filles de profil, Lain partagée entre ses câbles qui partent vers la droite de l'écran (vers la machine) et le bras d'Alice qui, lui, part vers la gauche. Puis deux plans montrent le lien main d'Alice / main de Lain et celui entre la main de Lain et le cœur d'Alice. Dès lors, les plans s'enchaînent par des fondus : visage de Lain, sa main posée sur le cœur de son amie, visage d'Alice, vue de haut des deux. Retour du plan de profil : cette fois, Lain tend le bras, illustrant l'échange instauré entre les deux personnages, composantes d'une relation à deux sens.

On revient pour la fin à la typologie du film d'horreur fantastique avec Lain qui parle à une présence invisible (Eiri), la main fantomatique qui apparaît, la musique de nouveau angoissante, le monstre campé par le Navi qui devient réellement un mutant ou plus exactement la tombe de Eiri tentant de se matérialiser, les pouvoirs psychokinésiques de Lain (merci KIDS) et les cris et pleurs d'Alice déclenchés par tout ça.


LAYER 13 : EGO

Avant même le traditionnel générique et la chanson de bôa, Lain remplace le "present day, present time" et s'adresse au spectateur dans l'image brouillée de la télé. Pas de trace non plus de la séquence d'introduction avant l'écran-titre mais un retour sur l'affrontement avec Eiri, remonté plus ou moins dans le désordre. Dans la confusion qui suit et sous le choc, Alice blesse Lain au visage avec un ongle. Celle-ci prend alors conscience de tout le mal qu'elle a causé à son amie : si la relation physique entre elles va jusqu'au sang, le mal est forcément quelque part (non, bande de vicelards, pas de symbole sexuel ce coup-ci). Lain se résout donc en dernier recours à effectuer une réinitialisation totale des événements, d'où l’inscription "ALL RESET". Quelques images accélérées opèrent alors un très rapide retour en arrière jusqu'au tout début de la série.

Nous revoilà à la première scène de Lain dans le Layer 01. La porte de la maison s'ouvre, mais personne n'en sort. Dans la cuisine, on retrouve la lumière blanche accentuée d'une scène du Layer 12, qui éclaire la scène d'un jour nouveau. Huit plans sur la table et le déjeuner se succèdent sans montrer les visages présents autour. Les voix identifient Mika, sa mère et son père qui apparaissent finalement tandis qu'aucun plateau n'attend à la place de Lain. Puis reviennent les plans de la rue, du train et du collège, tous sans Lain et accompagnés d'une musique beaucoup plus enjouée, genre pop. Dans le même ordre d'idée, le paysage du collège aperçu après l'écran-titre du Layer précédent apparaît cette fois tout de suite net, sans que les câbles au premier plan ne viennent rappeler l'existence du Wired. Dernier changement de taille : Chisa n'est pas morte.

Le spectateur assiste ensuite à un défilé de plusieurs personnages de la série en situations alternatives, si Lain (ou la Lain du Wired) n'avait jamais existé dans leurs vies. Masami Eiri, notamment, décide lui-même de démissionner de Tachibana sans avoir créé le Protocol 7 (du moins le devine-t-on), ce qui tend à valider l'hypothèse selon laquelle il n'aurait pas pu l'inventer sans l'intervention extra-terrestre et sa "missionnaire terrestre" Lain. Les pions réagencés sur l'échiquier, le "present day, present time" peut retentir, ouvrant la voie à la séquence d'introduction classique, sans aucun commentaire.

Lain se tient maintenant hors du monde, au milieu d'une ville déserte, situation de solitude et d'isolement mise en évidence par une alternance de plans très larges et de plans plus serrés. Comme Jésus Christ (retour à l'imagerie biblique), Lain se retrouve littéralement dans le désert, ayant choisi de sacrifier son existence terrestre pour le bien de tous. Puis avec son double, elle traverse des scènes dans le train, au Cyberia, au collège, en bas de l'immeuble où Chisa se suicida… "Et Lui, où se connecte-t-il ?" demande-t-elle. Lain continue de croire qu'il existe un vrai Dieu. Or, si les humains ont créé des Dieux depuis des milliers d’années, alors ils ont aussi bien pu créer Lain, postulat qui ne lui plaît guère. Elle préfère donc croire en l'existence d'un Dieu au-dessus d'elle, pour ne pas avoir à assumer ce rôle. De retour dans les rues désertes, les deux Lain s'opposent comme dans un duel de western (décidément… ne faiblissez pas et notez au passage le motif du vent balayant la poussière). Ce nouveau double est donc négatif, et Lain l'élimine comme le Christ se débarrassant définitivement de son vice dans le désert. Mais par cet acte, elle entérine sans retour possible son statut de déesse.

Dans son désespoir, Lain a la vision de "Dieu le Père" (haha, excellente celle-ci) qui la renvoie lui aussi à l'allégorie christique lorsqu'il tire de ses pensées le lapsus "Que tu aimes tout le monde". Malgré ses larmes, Lain ne peut plus échapper à son destin. Dernière facétie du scénariste : une référence ma foi subtile à Du côté de chez Swann de Marcel PROUST avec les madeleines promises à Lain par son père imaginaire (métaphore de la mémoire, donc *cf).

Réapparition de la séquence d'introduction classique, légèrement retouchée (couleurs, effet de flou). La voix de Lain annonce la dernière scène : "Les souvenirs, il n'y a pas que ceux du passé. Il y a aussi le présent, le futur".

La dernière scène, donc. Alice, devenue adulte et prof, marche au bras de son fiancé. Elle aperçoit Lain (qui n'a pas du tout vieilli) sur une passerelle et la rejoint en pensant avoir reconnu quelqu'un. Après un bref échange, Lain la regarde partir et pense : "Et oui, je peux te rencontrer quand je veux". Puis la nouvelle déesse de la Terre apparaît une dernière fois dans l'image brouillée de l'écran et dit : "Je suis là, avec toi, pour toujours". Lain aurait-elle trouvé quelques satisfactions à jouer les omniprésences ?

Le tout dernier plan du film, euh, de la série, zoome sur le ciel et les câbles électriques pour donner le plan qui précédait la plupart des écrans-titres, enrichi de bruits d'ondes (les câbles) et de vent (le ciel). Avec la somme d'explications que nous venons d'amasser, nous pouvons enfin voir dans ce plan a priori anodin une assimilation entre le Ciel divin traditionnel et le Wired. Lain, déesse de la Terre (Gaïa ?) et du Wired (qu'elle habite totalement depuis le début) relie les deux. Serial experiments lain. Les créateurs de Lain, la série ou le personnage dans celle-ci, ont donc pratiqué plusieurs expériences sur elle, avant d'en déterminer au bout du compte la nature exacte.

Une déesse. Ce que se dit le spectateur acquis à sa cause.

"Je suis là, avec toi, pour toujours".

Un mois passé à écrire, à penser à elle nuit et jour. Pour moi, il est temps de la quitter.

Enfin, devant vous, pour toujours.

Laurent Camite

Fiche technique

- Origine : Japon – Couleurs – 13 épisodes de 24 mn env.
- Première diffusion au Japon : juillet à septembre 1998.
- Date d'arrivée en France : 2001 (sur Canal +).
- Production : Pioneer LDC.
- Réalisateur : Ryutaro NAKAMURA.
- Scénario : Chiaki KONAKA.
- Chara Design : Yoshitoshi ABe.
- Doublage VO : Kaori SHIMIZU (Lain Iwakura), Yoko ASADA (Alice Mizuki), Sho AYAMI (Masami Eiri)…
- Musique : Reiichi "CHABO" NAKAIDO.
- Sortie DVD : Edités par Manga Distribution.
- Lien Internet : http://www.wired.free.fr (non officiel).

 

"Si personne ne se souvient de ce qui s'est passé, alors cela ne s'est jamais passé"

In Lain