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Lilo & Stitch


Imaginez : une bestiole ingérable, fruit d'expériences génétiques, débarque sur Terre (sur l'île d'Hawaii plus exactement), et se lie d'amitié avec une autochtone... A la vue de ce script, deux solutions : où vous me prenez pour un gars qui a de graves problèmes psychologiques -merci !-, ou vous avez déjà eu connaissance du postulat de Lilo & Stitch, le dernier film passablement barré de chez Disney.


TAZ-WARNER / STITCH-DISNEY : MÊME COMBAT

Ne tournons pas autour du pot : Stitch est l'un des personnages disneyens les plus réussis de ces dernières années. Création originale, la sale bestiole est charismatique, et son comportement foutraque la rend irrésistiblement attachante. Elle semble toujours vouloir s'échapper, sortir du cadre : elle ne peut rester en place ; à l'inverse de Lilo, jeune fille solitaire qui ne demande qu'un peu de stabilité dans sa vie quotidienne (grande soeur tyrannique en guise de mère, amies fuyantes...). Toujours dans le registre des personnages, il conviendra aussi de signaler le couple d'extraterrestres chargé de ramener Stitch -alias l'Expérience 626- sur sa planète d'origine, sans pertes ni fracas. Cause perdue d'avance, il va sans dire... S'il n'est pas sans rappeler le duo Sulli-Bob de Monstres & Cie (le grand un peu bourru et le petit cyclope maladroit), ces Laurel et Hardy d'un nouveau genre nous offrent deux séquences mémorables, absolument hi-la-rantes. Sans en dévoiler trop si vous n'avez pas encore vu le film, sachez qu'une prend place dans un resto, et l'autre dans la maison de Lilo... et que toutes deux ont cela de commun qu'elles franchissent allégrement les limites de l'humour poussé à l'extrême. A l'image de cette séquence anthologique d'Alice au Pays des Merveilles, où la reine, en furie, demande qu'on lui passe le pot de la confiture pour calmer la souris !

Malgré cela, Lilo & Stitch reste globalement plus sage que Kuzco, ce qui ne l'empêche pas d'avoir sa patte bien à lui. Une patte toute particulière.

En adoptant un cadre aussi atypique (l'île d'Hawaii), le film sort déjà des sentiers battus et apparaît d'emblée rafraîchissant et sympathique. Aussi (agréablement) surprenant, le parti-pris du registre musical : l'ombre d'Elvis plane tout du long, changeant ainsi des éternels airs pseudo-branchés du moment. Enfin. Et, cerise sur le gâteau, le film se permet quelques références cinématographiques peu usitées d'ordinaire, échappant encore une fois aux parodies éculées de Matrix ou Star Wars... Ainsi, c'est de façon parfaitement intégrée qu'on savoure des clins d'oeil lancés en direction des Gremlins, d'E.T., et même de Men in Black. Au moment où le deuxième opus de ce dernier débarque en salles, on peut dire que Disney a eu le nez creux.

Encore plus fort (et gonflé) : l'originalité de la promotion du film. Anti-héros sans vraiment d'aspect positif, Stitch s'est amusé à détourner quelques-unes des plus célèbres bandes-annonces de la firme aux grandes oreilles. La Belle et la bête, Aladdin, puis La Petite Sirène et Le Roi lion ont écopé de la présence de la sale bestiole, au cours d'une campagne promotionnelle totalement débridée... en tous points réussie. Un bon point supplémentaire pour Disney (qui change, "une fois encore" -au risque de se répéter-, de la concurrence, à l'image des bandes-annonces navrantes de DreamWorks, telle celle de Spirit : "Cette année, l'aventure a un nouveau nom..." -aaargh).


DE L'ART DE CULTIVER LE PARADOXE

Derrière ces aspects résolument comiques transparaissent en filigrane des enjeux fondamentalement réalistes. En permanence, Lilo prend le risque d'être séparée de sa grande soeur. Précarité, chômage persistant, parents absents... bref, tout un discours latent sur une exclusion "légale" (puisque basée sur des lois engendrées par la société), qui nous éloigne considérablement des contes de fées 'de notre enfance', par trop idylliques. Inutile de le nier : Disney prend conscience des problèmes actuels, s'adapte, et par voie de conséquence se modernise.

Dans le fond. Car, et c'est là tout le paradoxe de ce film, la forme adopte le shéma inverse : Lilo & Stitch marque le grand retour à l'aquarelle ! Entièrement conçu dans les studios Disney de Floride, quelques 300 artistes ont planché sur ce long métrage afin de lui donner un rythme parfaitement calibré, mais surtout une touche graphique particulière. Dès la phase des croquis préparatoires, le réalisateur Chris SANDERS a imposé l'aquarelle, une technique guère plus utilisée depuis un demi-siècle ! Depuis Dumbo, Blanche-Neige ou Pinocchio, la gouache et la peinture à l'huile (sans parler des images de synthèse) avaient progressivement pris le dessus, et le retour de l'aquarelle en 2002 semblait improbable, inespéré, puisqu'hélas passé de mode. Un retour aux sources que nous devons à l'intelligence des exécutifs de chez Disney, loin des considérations purement lucratives et opportunistes de DreamWorks et consorts (les Shrek et Age de Glace à tire-larigot...). Merci Disney.

En définitive, sans être transcendant (on aurait espéré autant de délires que dans Kuzco), Lilo & Stitch s'en sort avec les honneurs, bénéficiant d'une ambiance sympathique et de personnages haut en couleurs. Le seul bémol concerne sans doute le scénario, dont l'inconsistance oblige à délayer les situations, avec une deuxième moitié de l'histoire qui traîne en longueur. Malgré cette réserve, le Disney estival cuvée 2002 est d'un niveau tout à fait honorable, la firme de Mickey ayant accumulé les bons points autour de ce projet (parti-pris graphique risqué, univers peu commun, fer de lance du film anti-héros, etc.), pouvant réconcilier les irréductibles fans de japanimation avec les productions outre-Atlantique. Rien que ça.

Gersende Bollut




Fiche d'identité


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Origine : Etats-Unis - Couleurs - 1 h 25 min.
- Date de sortie France : 22 juin 2002.
- Production : Clark SPENCER/Walt Disney Pictures.
- Réalisateurs : Chris SANDERS et Dan DeBLOIS.
- Scénario : Chris SANDERS.
- Doublage VO : Daveigh CHASE (Lilo), Chris SANDERS (Stitch), Jason Scott LEE (David Kawena), Tia CARRERE (Nani), Ving RHAMES (Cobra Bubbles) David Ogden STIERS (Jumba)...
- Musique : Alan SILVESTRI et Elvis PRESLEY.
- Box-office France : en cours d'exploitation.
- Spécial : précédé du court-métrage "Mickey Perd la Tête".

- Sortie DVD : fin 2002.
- Lien Internet : www.disney.fr/lilo

 

"Cadre atypique (l'île d'Hawaii), registre musical surprenant
(l'ombre d'Elvis plane tout du long), et références ciné peu usitées d'ordinaire : le film sort des sentiers battus et apparaît d'emblée rafraîchissant et sympathique"