Monstres
& Cie
En cent ans d'existence, le cinéma d'animation a enfanté un nombre important de chefs-d'œuvre incontestables, toutes nationalités confondues (Blanche-Neige, Brisby et le secret de N.I.M.H., Ghost in the Shell ou la Planète Sauvage), mais un certain ronronnement risquait au bout du compte d'installer les animateurs dans une routine certes confortable, mais à court terme inquiétante pour les passionnés que nous sommes. Le 27 mars 1996 pourtant, la révolution est déjà consommée. Depuis l'invention des frères Lumière, aucun long métrage n'avait eu l'audace (et les moyens) de se composer intégralement de plans conçus par ordinateur. Film à la gloire des images de synthèse, Toy Story fait naître une société (Pixar) et connaître un génie (John LASSETER), tout en amorçant un nouveau genre à part entière, à l'intérieur-même du cinéma d'animation. De ce succès foudroyant, les projets pullulent comme autant d'abeilles sur du miel, et aboutissent dans les salles de cinéma avec plus ou moins de bonheur. Dinosaure marque une avancée graphique mais déçoit au niveau de l'histoire ; Shrek amuse mais n'emballe pas totalement ; et l'Age de Glace distrait tout en pêchant par une animation balbutiante dans certains aspects... et que dire des sympathiques Jimmy Neutron et Final Fantasy, tour à tour surprise inattendue ou œuvre ambitieuse, mais au résultat bien en-deçà des espérances (et flops hélas retentissants) ? Pourtant
pendant ce temps-là, vaillamment, Pixar continue tranquillement
son ascension artistique. Après un 1001 Pattes génial
damant le pion au Fourmiz de DreamWorks, et un Toy Story 2 plus réussi
encore que l'original (fait rarissime dans l'Histoire du cinéma
pour une suite), voici que nous accueillions en début d'année
2002, sans grande inquiétude, la quatrième production
du studio affilié au studio Disney... un certain Monstres &
Cie. Et autant le dire sans plus traîner : la réussite
est totale. Monstres & Cie est de ces films qui ne se raconte pas, au risque de gâcher l'effet de surprise pour les personnes qui n'auraient pris connaissance du scénario aussi inventif que diablement malin (quant à ceux l'ayant vu, inutile de leur re-présenter la situation !). Une chose est sûre, le premier long métrage de Pete DOCTER est habilement mené, très brillamment construit, dans une succession de séquences d'une cohérence qui semble si naturelle qu'elle en frise l'indécence. Tant de génie ferait presque peur, davantage en tous cas que Bob Rasowski et Jacques Sullivent, les deux monstres du film auxquels l'histoire s'attache principalement. Dans l'esprit perpétuellement novateur des longs-métrages Disney, l'équipe de développement de Monstres & Cie a une fois de plus repoussé les limites de ce qui peut être créé par ordinateur (les images de synthèse renflouant les comptes de Disney, soit le mulot au service de la souris -ah ah). Il suffit pour s'en convaincre d'observer le pelage de ce cher Sullivent. Quelques millions de poils gérés indépendamment, c'est déjà étourdissant, mais rajoutez à cela les séquences enneigées où Jacques est recouvert d'une fine bruine de neige... elle aussi créée ex nihilo ! Et ne parlons même pas du vent qui rajoute à la complexité de la scène. L'autre
problème de taille posé aux animateurs concernait le pyjama
de Bouh, qui devait se mouvoir de façons naturelle. Tâche
vertigineuse lorsque l'on prend conscience que les plis d'une veste
ou d'une robe sont d'une complexité phénoménale.
Aussi invraisemblable que paraisse cette maxime, le naturel n'est donc
pas à la portée du premier venu. Intelligent mais farfelu, fin mais déjanté, Monstres & Cie reste surtout un divertissement brillant qui renoue avec l'âge d'or des classiques disneyens. Rien que ça. Après l'espace d'une chambre d'enfant (Toy Story -l'infiniment petit) et les grands espaces verdoyants (1001 Pattes -l'infiniment grand), Pixar s'est intéressé à une dimension purement abstraite (un espace intemporel), et réinvente le conte à La Belle au bois dormant avec brio. Ces contes où le rêve est roi, où l'imagination n'a nulle limite, et où le thème angoissant de la fuite du temps n'a aucune emprise. Avec
davantage d'idées que son aîné Toy Story, plus de maîtrise technique
qu'un fadasse Age de Glace, et une irrévérence aussi salutaire qu'un
Shrek (et cette fois assumée jusqu'au bout). Le secret d'un bon film
est connu : des héros charismatiques, une trame scénaristique solide
avec des enjeux, et des rebondissements inattendus... Monstres & Cie
réunit toutes ces qualités et même plus puisque, pour rajouter
au plaisir du spectateur, on dénombre au moins mille idées géniales
par séquence.
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"Après l'espace d'une chambre d'enfant (Toy Story ou l'infiniment petit) et les grands espaces verdoyants (1001 Pattes ou l'infiniment grand), Pixar s'est intéressé à une dimension purement abstraite (un espace intemporel)" |
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