Peter
Pan
Prestance
visuelle de tous les instants, verve scénaristique intarissable, parmi
les nombreux classiques de Disney, Peter Pan s'affirme nettement comme
le mètre-étalon d'une perfection trop rarement atteinte.
La magie du graphisme Disney n'est
plus à défendre, tant les générations de petits et grands enfants se
sont succédées à la célébrer dans le monde entier. Mais les plus exigeants
parmi les grands enfants n'auront pas manqué de remarquer qu'avec le
recul, la plupart des grands classiques de l'oncle Walt souffrent d'une
cruelle anémie scénaristique, Cendrillon ou Blanche Neige en tête. 1
h 10 pour nous raconter deux ou trois petits événements, entrecoupés
de chansons guimauves. De quoi refroidir les plus émerveillés des ex-petits
galopins cinéphages que nous étions. Pourtant, la longue filmographie
Disney, indépendamment des divers réalisateurs qui se succédèrent, recèlent
quelques exceptions qui, comme on dit, confirment la règle. Parmi ces
perles rares, Peter Pan est sans nul doute la plus éclatante.
D'abord par son graphisme somptueux,
qui avec ceux de Blanche Neige et Pinocchio, constitue le sommet de
l'art Disney. La densité des couleurs alliée à la discrétion des traits
donnent une sensation de luminosité et de rondeur presque palpable qui
sont un régal pour l'œil. Il faut dire que Peter Pan fut réalisé au
début des années 50, soit l'âge d'or de l'animation hollywoodienne (voir
les Tom & Jerry ou Tex Avery de cette époque pour s'en convaincre).
Et, de fait, dès les années 60, des films comme Les 101 dalmatiens ou
Le Livre de la Jungle apparurent affligés de gros traits noirs et de
couleurs incroyablement fades, qui ne lassent pas d'irriter quand on
les compare à leurs glorieux aînés.
Fort de ce brio visuel, Peter
Pan apparaît comme la plus aboutie des œuvres Disney dès qu'on se penche
sur son scénario et ses personnages. Et là, le mérite en revient bien
sûr d'abord et avant tout à James Matthew Barrie, auteur du roman original,
paru en 1911. C'est à lui en effet que l'on doit le flot d'imagination
déchaîné qui irrigue cette histoire. Partant d'une petite chambre d'enfants
londonienne, Peter Pan et ses amis vont vivre de grandes aventures baroques
et totalement délirantes dans le fameux Pays Imaginaire, où se côtoient
un équipage de joyeux pirates, des indiens, des sirènes ou encore la
bande des Garçons Perdus, un groupe d'orphelins vêtus de peaux d'animaux,
libres comme rêvent de l'être tous les petits garçons. Sans oublier
bien sûr la mythique Fée Clochette, pin-up miniature amoureuse de Peter
et caractérielle en diable. Une faune réellement enthousiasmante, où
chacun côtoie les autres dans un délire permanent, et qui constitue
en réalité l'incarnation des héros imaginaires de tous les enfants.
Car après tout, on ne sait jamais si tout cela n'existe en fait que
dans l'imagination de Wendy, l'aînée des trois enfants Darling que Peter
emmènent au Pays Imaginaire.
Ce contexte riche et original
permet l'existence d'un vrai scénario, certes simplifié par rapport
au récit de Barrie, mais avant tout dans l'intérêt du rythme et de la
limpidité du dessin animé. Ainsi, dans Peter Pan, Disney échappe au
schéma systématique de la Princesse enlevée par le Méchant, finalement
sauvée par le Prince et ses petits amis rigolos. Ou en tout cas en fait
exploser les convenances, donnant au méchant, le Capitaine Crochet,
une dimension burlesque qui le rend franchement sympathique, et introduisant
un méchant parmi les gentils, la Fée Clochette, qui par jalousie envers
Wendy n'hésite pas à collaborer avec l'ennemi. Une complexité de réactions
et de sentiments rarissimes chez Disney, qui évidemment attise l'intérêt
du spectateur adulte. Un spectateur également ravi du soin apporté aux
personnages secondaires, tels Lyly La Tigresse ou l'hilarant crocodile,
ennemi juré du Capitaine. Tout cela aide grandement à se laisser porter
par un récit très dynamique, qui avance de nouvelle rencontre en nouvelle
rencontre (les pirates, les sirènes, les Indiens, etc...), nous proposant
à chaque fois de féeriques nouveaux décors, tout en suivant l'avancée
des plans du Capitaine Crochet pour capturer Peter. Mais c'est surtout
l'ambiance fabuleuse du Pays Imaginaire qui retient notre attention,
Crochet constituant plus une source de gags qu'une menace pour les héros
!
La richesse visuelle que contient
en germes le Pays Imaginaire dans le roman de Barrie trouve en effet
dans l'Art de Disney l'opportunité de s'incarner plus superbement que
dans nos rêves les plus fous. Quant à la Fée Clochette, elle apparaît
plus magique que jamais, sexy comme plus aucune autre femme Disneyenne
n'osera l'être après elle, et dotée de cette force de séduction imparable
qui est l'apanage des jolies emmerdeuses. Il faut la voir devenir rouge
de colère quand Peter la délaisse au profit de la mielleuse Wendy, faisant
s'embraser une feuille d'arbre sur son passage ! C'est sans nul doute
le personnage le plus intéressant de tout le film, hantée par un amour
impossible et limite contre-nature (une fée de 10 cm et un jeune homme
de taille moyenne, vous imaginez la nuit de noces !), privée de la faculté
de parler, ce qui lui donne immanquablement une classe et une poésie
de tout premier ordre, et capable de tout au nom de la passion (Quand
Wendy arrive au Pays Imaginaire, elle trompe les Garçons Perdus sur
la nature de celle-ci, dans l'espoir qu'ils la tuent !). Au final, une
version du personnage au charme incroyablement fort, sans doute largement
impliqué dans le succès durable du film auprès du public adulte mâle.
On notera aussi, pour ce qui est
de l'impact contemporain de l'œuvre, l'importance de la dimension mythique
du personnage de Peter Pan, l'enfant qui ne voulait pas grandir. Celui-ci
s'avère être en effet en étroite correspondance avec l'archétype du
jeune homme urbain et cultivé de l'an 2000, fana de Star Wars et de
Mac Donald's. Cet aspect visionnaire de l'œuvre de Barry, que Disney
a su garder intact (comme dans le roman, c'est la dernière nuit que
Wendy doit passer dans la chambre d 'enfant, et Peter est l'enfant éternel
qui lui permet d'échapper à cette fatalité) est assurément l'un des
éléments clé de la modernité et de la portée affective de ce chef d'œuvre
animé.
Comme dans tout Disney, on a droit
aussi à un lot de chansons au bon goût largement discutable, mais qui
ici parvient à bien s'intégrer à la logique du récit (on chante lors
d'un voyage, d'une chasse à l'Indien où d'une grande émotion) et surtout
dont deux des titres, La vie d'un pirate et A la file Indienne, figurent,
aux côtés de On rentre du boulot et Joyeux Non-anniversaire, parmi les
plus délirantes et enjouées salves lyriques de l'oncle Walt. Le genre
de trucs qu'on se plaît à chanter joyeusement entre copains, en chœur
avec l'autoradio.
Riche de tous les points positifs
qu'on a vus, aussi divers que complémentaires, Peter Pan a véritablement
imposé au sein de l'œuvre de Disney un standard de qualité, malheureusement
bien au-dessus de la plupart des autres films, qui souvent ont soit
la plastique sans la verve scénaristique (Blanche Neige, Pinocchio),
soit le contraire (Les Aristochats). Seul Alice aux Pays des Merveilles,
et plus récemment Mulan et Toy Story, peuvent véritablement soutenir
la comparaison. Ce qui, eu égard au laps de temps restreint qui sépare
ces deux dernières œuvres, rassure grandement sur ce qu'on peut encore
attendre de Disney.
Sacha Povse
Fiche technique
- Origine : Etats-Unis - Couleurs
- 1 h 14 min.
- Date de sortie France : 1953.
- Production : Walt DISNEY.
- Réalisateurs : Clyde GERONIMI, Wilfred
JACKSON et Hamilton LUSKE.
- Scénario : Milt BANTA, Bill COTTRELL
et Winston HIBLER, d'après le conte de Sir James Matthew BARRIE.
- Doublage VO : Bobby DRISCOLL, Kathryn
BEAUMONT, Paul COLLINS…
- Musique : Oliver WALLACE.
- Box-Office France : NC
- Sortie DVD : 09 janvier 2002.
- Lien Internet : www.disney.fr/DisneyVideos
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Pan apparaît comme la plus aboutie des oeuvres Disney dès qu'on se penche
sur son scénario et ses personnages"
"La
richesse visuelle que contient en germes le pays imaginaire dans le
roman de Barrie trouve dans l'art de Disney l'opportunité de s'incarner
superbement"
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