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La planète sauvage


Réalisée dans des studios d'animation tchèques, La Planète Sauvage n'en constitue pas moins une oeuvre estampillée française, et pour cause puisque son réalisateur n'est autre que le célèbre René LALOUX.

Ce film, qui lorgne du côté de la science-fiction dite adulte, est un long métrage qui doit en grande partie sa réputation au Prix spécial du jury qu'il a reçu au festival de Cannes de 1973 (en tant que film tout court, et non d'animation). Passablement alambiqué et tortueux, le scénario conte l'histoire des Draags, humanoïdes bleus (à ne pas confondre avec les Schtroumpfs !), êtres ayant atteint un haut degré de connaissance, et menant depuis lors une existence faite de méditation. Ceux-ci possèdent de minuscules animaux familiers, les... Oms. Il s'agit de petits êtres nous ressemblant trait pour trait, à la différence près qu'ils sont ici mis en esclavage. Plus concrètement, en visionnant le film, on se surprend à imaginer une telle situation dans notre réalité, en inversant notre rapport dominant-dominé, par exemple avec les chiens ou les chats. Et on se met à leur place, en les plaignant sincèrement !

Tiwa, une fille Draag, adopte un bébé Om qu'elle baptise Terr, et la relation qu'elle a avec ce dernier n'est pas sans nous rappeler parfois celle que nous avons avec nos animaux de compagnie (idée de jouets, tentations de plaisirs masochistes consistant à les faire souffrir pour s'amuser...). La force du film réside dans cette métaphore (explicite) latente dans tout le long métrage. Au-delà, la notion d'esclavagisme et de supériorité de races peut aussi être soulignée, attribuant au film une portée politique qui ne serait pas étonnante. Réputé pour son franc-parler, René LALOUX rencontrera ainsi des difficultés pour mener à terme d'autres projets, après cette Planète Sauvage...

Le film n'étant pas exempt de défauts, il pêche dans le graphisme général adopté. Car si les dessins de Roland TOPOR (qui fut aussi responsable de l'émission Téléchat, entre autres) sont esthétiquement irréprochables, et possèdent une "patte" résolument française et chiadée, l'animation est décevante, au-delà de toutes nos espérances. Le film a réellement vieilli, et les attitudes des personnages quelque peu figées agacent rapidement, surtout au vu de la production japonaise de l'époque, qui excellait déjà en la matière. En fait, pour être tout à fait franc, le 'maître' René LALOUX surestime son talent, et, pour parler trivialement, a pris la grosse tête. Il suffit pour s'en convaincre de visionner l'entretien donné à voir sur le DVD, distribué par Arte (édition superbe, soit dit en passant), pour voir que le réalisateur des Maîtres du Temps et de Gandahar n'a pas l'humilité qui sied. Lorsque l'on pense à l'attitude effacée d'Hayao MIYAZAKI...

Seul le contraste entre la naïveté empreinte de cruauté des dessins de TOPOR et le lyrisme de la mise en scène de LALOUX force le respect, et témoigne de l'attention toute particulière portée au film. Une attention d'autant plus touchante que l'oeuvre a donc pris de l'âge, et s'inscrit définitivement dans son époque, à mi-chemin entre un film expérimental et un essai aux enjeux métaphysiques. Une oeuvre qui détonnerait complètement dans la production cinématographique des années 2000 ! D'autant qu'un tel projet appelle des investissements financiers plus qu'onéreux (il s'agit de la technique dite du papier découpé en phases, et non des celluloïds, demandant une implication énorme en terme de temps et d'efforts graphiques).

En réalité, si La Planète Sauvage se regarde sans déplaisir, c'est plus par intérêt pour le traitement d'un sujet atypique que pour l'animation même (finalement misérable en comparaison de productions américaines) ou le rythme (chaotique et à mille lieux de la maestria de productions nippones). Pour autant, ne voyez pas là une critique facile du cinéma d'animation français, qui par ailleurs a largement éprouvé son talent dans d'autres genres cinématographiques (Le Roi et l'Oiseau, Kirikou et la sorcière, etc.). La Planète Sauvage semblerait-il donc devoir son statut de film-culte au prix prestigieux reçu à Cannes ? Rien ne semble moins sûr...

Il reste une oeuvre à voir pour ce qu'elle est : une date incontournable dans l'Histoire du cinéma d'animation français. Mais que de chemin parcouru depuis !

Gersende Bollut



Fiche technique

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Origine : France - Couleurs - 1 h 08 mn.
- Date de sortie France : 06 décembre 1973.
- Production : André VALIO-CAVAGLIONE et Simon DAMIANI.
- Réalisateur : René LALOUX.
- Scénario : René LALOUX et Roland TOPOR, d'après le roman de Stefan WUL, "Oms en série".
- Doublage : Jennifer DRAKE, Sylvie LENOIR, Jean TOPART...
- Musique : Alain GORAGUER.
- Box-Office France : 809.945 entrées.
- Sortie DVD : 27 novembre 2001.
- Lien Internet : www.arte-tv.com/boutique

 

"La révolution du monde moderne est née avec Emile Reynaud et l'invention du dessin animé. Pas avec celle de l'acteur. Le travail avec l'acteur, c'est une pâle copie ; ce n'est que de la photo qui bouge"

René Laloux