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Le Roman de Renard


Les films de l'entre-deux guerres demeurent aujourd'hui des curiosités atypiques, faute d'être souvent catalogués de vieilleries totalement surannées (sic). C'est un fait : le cinéma, comme tout art, possède désormais son lot d'antiquités. Faut-il en déduire qu'elles sont moins dignes d'intérêt pour le spectateur du troisième millénaire ? Ou au contraire que leur statut de vénérables ancêtres n'a pas à subir nos plumes parfois assassines ? Que nenni !

Le Roman de Renard est l'adaptation cinématographique du vénérable Ladislas STAREWITCH (assisté de sa fille Irène), d'après le roman français éponyme écrit dans le courant du Moyen-Age. Ses innombrables animaux, personnifications de la hiérarchisation en classes sociales comme l'approfondira par la suite Monsieur de la Fontaine, conviennent parfaitement à une transposition animée. Le Roman de Renard, projet alors ambitieux d'une heure d'animation de marionnettes, faisait suite dans la carrière du cinéaste à plusieurs courts-métrages directement inspirés des Fables de la Fontaine : le Rat des Villes et le Rat des Champs (1926), la Cigale et la Fourmi (27)... et sera suivi par la désopilante série des Fétiche, encore une fois anthropomorphique !


UN RÉCIT HYPERBOLIQUE

Réalisée en 1931, cette fable sur les méfaits d'un renard peu scrupuleux a valeur d'universalité. Avec le respect propre au régime monarchique, et eu égard au rang de chacun, chaque personnage occupe sa place avec dignité. Lapin et Coq sont simples sujets du royaume, Ours protège la famille royale, tandis que Lion et Lionne trônent au plus haut rang. Parmi cette société ô combien structurée et où chacun obéit sans broncher aux ordres du roi, un trublion sème pourtant la zizanie parmi les habitants, dupant ici un marchand de poissons, s'obstinant là contre le Loup, ou jouant un bien mauvais tour à l'épouse du Coq. Chaque coup est fomenté avec une belle ingéniosité... d'où cette réputation nullement usurpée du renard rusé.

Au bord de l'insurrection populaire les sujets du royaume se soulèvent, et n'y tenant plus Lion fait venir Renard dans la demeure royale, où il doit être pendu publiquement pour toute punition. Mais ce brave Goupil n'a pas dit son dernier mot et réussit l'outrage suprême : berner le roi en insinuant qu'un complot se trame à la Cour, et en lui faisant miroiter l'existence d'un fabuleux trésor... Le libérant sur-le-champ, le Lion s'empresse de vérifier les dires de Renard (dont la parole n'est même pas remise en question), et s'aperçoit avec rage de la supercherie. Prêt à en découdre une fois pour toutes avec ce provocateur sans limites, le roi ordonne donc le siège de la demeure de Renard (vivant là avec toute sa petite famille, élevée à bonne école).

Chef-d'œuvre du film de marionnettes, le Roman de Renard façon STAREWITCH est techniquement très abouti, et conserve malgré les années une incroyable modernité. "Papillons mélomanes, grenouilles monarchistes, libellules cinéphiles, mouches fugueuses, araignées boursicotières, rats mondains ou prolétaires, lionnes lascives, film après film, STAREWITCH redessine le monde" soulignait en 1992 (à l'occasion de la ressortie en salles du film) le magazine Télérama. Ce cher Ladislav a en effet structuré tout un univers autour d'une filmographie où le maître-mot reste la magie. Qu'il porte les empreintes du passé rajoute au charme du long métrage. Elégance des dialogues, structure ultra-classique et donc efficace de la narration, technique de la stop-motion à son apogée (aux côtés de l'Œuvre de Ray HARRYHAUSEN), tout atteint ici un niveau de perfection absolu, à mille lieux des films en images de synthèse d'aujourd'hui, trop maîtrisés pour être totalement convaincants. Ici, les ficelles sont parfois grosses, les mouvements un peu saccadés, les points de vue de la caméra quelquefois hasardeux (gestion des gros plans et du flou perfectibles), et pourtant quiconque oserait reprocher quoi que ce soit à ce Roman de Renard essuierait rapidement une volée de bois verts !

Ajoutons à cela le charme de La Romance du Chat, superbe mélodie interprétée par Jaime PLANAT (alias le Chat...), une fluidité narrative irréprochable, la magie ineffable d'un récit intemporel (le film s'ouvre, tel un conte, par un livre où les personnages sont tour à tour présentés) et une mise en scène magistralement théâtrale (ici l'association théâtralité-cinéma n'est pas malvenue ou bancale), et vous comprendrez pourquoi STAREWITCH fut l'un des grands dans le domaine de l'Animation.

L'assaut final contre le château de Malpertuis est par exemple savoureux, Renard déjouant une fois encore les attaques du roi Lion. Au point que ce dernier, admettant finalement que Goupil est le plus astucieux sujet de son royaume, le couronne et en fait son ministre ! Loin d'être consensuelle, la morale est elle aussi d'une modernité à toute épreuve, le chef-d'œuvre ultime du grand STAREWITCH conservant à l'aube du XXIème siècle une belle santé. Un classique parmi les classiques.

Gersende Bollut



Fiche d'identité

- Origine : France - Noir & Blanc - 1 h 05 mn.
- Date de sortie France : 1939.
- Production : Roger RICHEBÉ et Louis NALPAS.
- Réalisateurs : Ladislav et Irène STAREWITCH.
- Scénario : Ladislas et Irène STAREWITCH, Jean NOHAIN, Antoinette NORDMANN et Roger RICHEBÉ.
- Doublage : Romain BOUQUET (Renard), Laine (Lion), Léon LARIVE (Ours), Robert SELLER (Coq), Claude DAUPHIN (le singe), ...
- Musique : Vincent SCOTTO.
- Box-office France : NC.
- Sortie DVD : 23 avril 2000.
- Lien Internet : http://www.doriane-films.com/films/dvd/roman.htm

 

"Chef-d'œuvre du film de marionnettes, le Roman de Renard façon Starewitch est techniquement très abouti, et conserve malgré les années une incroyable modernité"