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Pourquoi l'animation a déjà révolutionné le cinéma



A l'aube des années 90, l'animation assistée par ordinateur a bouleversé le cinéma en prises de vue réelles : l'extraterrestre translucide et polymorphe d'Abyss, le T-1000 en métal liquide de Terminator 2, les dinosaures de Jurassic Park sont autant de créatures fictives extraordinaires dont la seule présence suffit à mettre dans l'ombre leurs partenaires de chair et d'os. Dans le numéro de mai 1999 du Première américain, David Dozoretz, superviseur des effets spéciaux de Star Wars : Episode 1, prophétisait : "Ce que nous appelons aujourd'hui effets visuels, demain nous l'appellerons montage. Cela va faire glisser le cinéma d'un médium photographique vers un médium de peintres. Je crois que ce Star Wars va être le premier film de l'histoire où le réalisateur va obtenir son exacte vision".

Bien qu'elle utilise le même langage que le cinéma, l'animation possède des spécificités : n'étant pas asservie aux contraintes du réel, elle offre au créateur une maîtrise plastique et une liberté totales. Quand George Lucas a réalisé sa nouvelle trilogie Star Wars, il a disposé du pouvoir, inédit jusqu'alors, de modifier par ordinateur et sans entraves chacun de ses plans jusqu'à ce que le moindre élément à l'écran corresponde très précisément à ce qu'il avait imaginé. Au point que ces nouveaux Star Wars ressemblent d'abord à des films d'animation dans lesquels sont incrustés des acteurs réels. Cette émancipation artistique du cinéaste est la plus belle et la plus profonde conséquence du mariage entre le cinéma et l'animation. Les exemples ne manquent pas. Dans le Fight Club de David Fincher, l'état mental du héros est traduit par des séquences hallucinatoires en images de synthèse. Dans Avalon de Mamoru Oshii, les retouches à la palette graphique transcrivent idéalement la facticité des univers virtuels que parcourt l'héroïne. Certaines séquences synthétiques de Blade II, Hellboy ou la trilogie Spider-Man évoquent, par leur découpage virtuose, leurs chorégraphies furieuses et leurs mouvements de caméra impossibles, les meilleurs films d'animation japonais (notamment ceux de Yoshiaki Kawajiri, l'auteur de Ninja Scroll). Quant à la trilogie Matrix, elle agrège les grands courants de la pop culture. La scène de combat infographique entre l'agent Smith et Néo qui conclut Matrix Revolutions est un assaut cinétique estomaquant : elle associe, dans des plans à la composition monolithique, les postures iconiques des meilleurs comic-books, les affrontements en apesanteur de Dragon Ball Z et les destructions urbaines du manga X de Clamp et de son adaptation animée par Rintarô.

La dernière étape de la fusion entre animation et cinéma ouvre des perspectives encore plus folles : il s'agit de la performance capture, procédé qui révolutionne la manière dont on fabrique un film. La motion capture (capture de mouvement), qui restitue sur l'écran les mouvements d'acteurs réels, est une technique couramment utilisée par le ciné, l'animation et le jeu vidéo. Employée par Robert Zemeckis pour Le Pôle Express et le terrassant Beowulf, la performance capture (capture d'interprétation) est une évolution extrêmement sophistiquée de la motion capture. Elle permet de transcrire dans leurs moindres nuances, grâce à des capteurs innombrables, les gestes et surtout les expressions du visage des comédiens. Les données obtenues servent à animer des personnages dont l'apparence peut être totalement différente de celle des acteurs. Dans Monster House, Kathleen Turner joue... la maison. Dans Beowulf, l'acteur Ray Winstone, âgé de 50 ans, a l'apparence d'un colosse athlétique de 25 ans, et incarne également un nain ou... un dragon.

Pendant le tournage, les acteurs peuvent jouer leur scène d'une traite, sans se soucier d'aucune caméra, longueur de prise ou marque au sol. Et le réalisateur modèle sa mise en scène pendant la post-production, et sans aucune contrainte. Virtuelle, la caméra se faufile partout et autorise des plans hallucinants à partir de véritables performances d'acteurs : au début de Beowulf, un long, magnifique et invraisemblable travelling arrière part de la salle où festoient bruyamment les guerriers, traverse la forêt et les landes et s'achève sur une partie du visage atroce de Grendel, rendu fou par le vacarme de la célébration qu'il perçoit à des kilomètres de distance.

Comme le résume le critique de cinéma Rafik Djoumi sur son excellent blog, "Les deux grands gagnants de la méthode de performance capture sont le réalisateur et ses comédiens. Pour le premier, cela revient à séparer distinctement le travail de direction d’acteur et le travail de mise en scène, car le choix des angles, des objectifs, du mouvement de caméra, du découpage ne se font qu’à posteriori, en fin de chaîne, lui offrant une maîtrise inimaginable à la prise de vue qu’aucun plateau traditionnel n’aurait pu permettre. Pour les seconds, cela libère entièrement le jeu et le rapproche en fait du travail théâtral. Ainsi, la performance capture permet conjointement la rigueur absolue dans la technique de mise en scène et la liberté d’interprétation d’un cinéma plus naturaliste". Certains des projets les plus importants des prochaines années se fonderont sur la performance capture, comme le space opera Avatar de James Cameron (2009) et les deux adaptations de Tintin par Peter Jackson et Steven Spielberg.

En 1999, Dozoretz avait raison : les répercussions de l'hybridation des images sont aujourd'hui si énormes que la nature même du septième art a changé.

Pierre Gaultier

 

"Les effets numériques vont faire glisser le cinéma d'un medium photographique vers un medium de peintres"

David Dozoretz

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Bien qu'elle utilise le même langage que le cinéma, l'animation possède des spécificités : n'étant pas asservie aux contraintes du réel, elle offre au créateur une maîtrise plastique et une liberté totales"