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S.O.S. Fantômes



Lorsqu'il sort en 1984, Ghostbusters tient une place à part dans la catégorie des blockbusters. Relatant les exploits de quatre new-yorkais face à des fantômes, il devrait logiquement s'inscrire dans le genre fantastique. Mais il s'agit d’un film inclassable.

Tout d'abord, ce spectacle revêt un aspect familial : les scénaristes font également partie des interprètes principaux et on ressent que l'équipe s'est amusée pendant le tournage. Un amusement communicatif puisque le spectateur ne peut que rire (ou sourire) devant l'humour accrocheur du long métrage (à noter que les traducteurs ont réalisé un travail particulièrement soigné, à l’image des transcriptions françaises des épisodes des Simpson). D'autre part, nous sommes sans aucun doute devant un film de super-héros avec les costumes (comportant même un sigle), les exploits surhumains qu'effectuent les chasseurs (lutter contre des forces surnaturelles), et le schéma de crise dans lequel est enfermé l'être aimé par le justicier (ici, devant la multiplication de super-héros, l'histoire d'amour se déroule entre la belle et le protagoniste le plus mis en valeur auquel s'identifie le spectateur). Enfin, certaines séquences (dont l'incipit) relèvent explicitement du genre horrifique, tandis que d'autres (la séquence finale) évoquent les films de monstres comme Godzilla.

Le mélange des genres étant extrêmement complexe et risqué (l'exemple du Pacte des loups est assez représentatif de ce que peut devenir un film de ce type sans maîtrise), Ghostbusters en ressort d'autant plus comme une perle rare, une œuvre à part entière et non un simple divertissement tant il jongle avec aisance entre différents styles, tirant même sa richesse de ce melting-pot. Il se place ainsi en précurseur d'une nouvelle vague de grands spectacles qui tenteront avec plus ou moins de réussite de reproduire cette synthèse.

S'il est un pionnier dans sa forme, c'est le contenu de ce film qui se révèle le plus intéressant, et sur lequel je vais me pencher pour tenter d'en dégager tous les aspects.


SEXBUSTERS : SAVE OUR SOULS !

Ce qui frappe d'emblée, c'est le fait que dans un spectacle destiné à toute la famille et plus particulièrement aux enfants la sexualité soit évoquée avec autant de lourdeur. Il faut dire qu'aux Etats-Unis le puritanisme domine et les américains finissent par craquer (aujourd'hui Scary Movie démontre plus qu'autrefois à quel point le rire nerveux devant l’évocation du sexe peut faire évacuer un peu de pression pour les habitants de la nation de la liberté économique et du cloisonnement sexuel). Le sexe est omniprésent.

Peter Venkman est un dragueur de la pire espèce, la relation qui va l'unir à Dana Barrett ne pourra être que douteuse. D'ailleurs, si cette dernière l'a très bien compris dès leur première rencontre quand Peter lui déclare sa 'flamme', elle se laisse séduire peu après l'avoir vu à la TV dans ses exploits et son costume de super-héros (autrement dit quand elle voit l’homme fort qui protège, son côté 'mâle'). Elle écoute donc sa bestialité, ses instincts pulsionnels. Le point culminant de la sexualité exacerbée qui ressort de leur couple apparaît au moment où Dana est possédée et que les deux personnages ont une communication on ne peut plus charnelle. La femme est allongée sur son lit, en nuisette, et n'attend que l'acte avec Peter. Bien sûr, du point de vue du récit, ce n'est pas Peter qu'elle attend mais son voisin de palier également possédé, cependant elle semble prête à accueillir n'importe qui pour se laisser aller à une sexualité débridée, et Peter pourrait bien être le premier sur la liste tant sa personnalité correspond à ce genre de proposition de la part d’une femme. Ainsi l'histoire d'amour a cela d'original qu'elle n'en est pas une à proprement parler, même si le personnage principal tiendra sa promise dans ses bras durant l'épilogue et si Dana finira par redevenir prude après avoir craqué devant toute la pression protestante qui envahit sa vie (elle sort à la fin du ventre du 'monstre', elle rejette l'animal en elle).

L'homme qui aime réellement Dana, c’est à dire son voisin de palier, n'obtient aucune faveur de la part d'une femme visiblement plus attirée par le sexe que par l'amour. Le plus ironique est que Louis Tully va finalement 'conquérir' la belle lorsqu'il sera possédé et pourra ainsi se rapprocher d'elle, bien qu'il ne recherche pas ce qu'il va gagner (il préférerait le Grand Amour à une simple passade sexuelle) et qu'il l'oubliera tant sa conscience refoule un acte qu'il a commis dans un moment de transe et qui ne correspond pas à un désir conscient mais à une pulsion inconsciente, acte qui va par ailleurs engendrer la naissance d'un démon immense menaçant toute la société tant il va à l'encontre des dogmes protestants.

Deux autres couples existent dans le film :

- Egon Spengler et Janine Melnitz, dont la relation tourne explicitement autour du sexe puisqu'ils n’ont rien à partager en dehors (lui est un scientifique allumé et elle une banale secrétaire) et que certaines scènes le prouvent : notamment lorsqu'Egon est agenouillé sous le bureau de Janine et qu'il apparaît, il semble clairement qu'il vient de se passer quelque chose entre les deux personnages...

- Raymond Stantz et Winston Zeddmore, dont la relation connotée se devine quand le second demande une place et que sans réfléchir et au premier coup d'œil l'autre l'embauche et se porte également sur le sexe ("Avec ces gens-là, j'ai vu des trucs à faire rougir un nègre !"). Dans un songe, Raymond rêve à des pulsions plus nobles et plus conformes à sa religion : une femme le déshabille. Cependant cette dernière est un fantôme, une illusion donc.

Ainsi le sexe occupe la majeure partie du long métrage de manière peu implicite et montre un certain malaise d'une société qui le rejette. Les personnages sont tous à la fois attirés et apeurés par l'acte : Dana qui redevient 'pure' à la fin en sortant de ce 'monstre' qui l’envahit, Peter qui prône le sexe et résiste quand l'opportunité se présente avec Dana, Louis qui ne veut pas prendre conscience de ce qu’il a fait avec Dana et le refoule dans son inconscient ou Winston et Ray qui se demandent en évoquant la Bible si la fin du monde n'est pas en train de les menacer à cause de leur union (il s’agit de la scène vers la fin du film où les deux personnages sont en voiture et rejoignent leurs collègues en proie à l'inspecteur de la commission pour l'environnement).

Il s'avère qu'il y a donc une seconde chasse aux fantômes en parallèle à la première, mais une chasse aux démons intérieurs : "J'ai pensé à un machin inoffensif, qui me venait du fond de mon enfance", sous-entendu "ça ne pouvait donc pas être sexuel, comment aurais-je pu deviner que ce serait un démon quand même"… Et ce n’est pas un hasard si le fantôme final, le spectre maléfique assimilé par les héros à Dieu ("Oh ! Mes frères, soyez tout de douceur ! Wôô ! Wôô ! Le messie va arriver !") apparaît sous la forme d’une femme pour punir... Elle est d’ailleurs battue lorsque les chasseurs combattent le mal par le mal en croisant les effluves ("Ne jamais croiser les effluves […] ce serait mal !") et un gigantesque jet blanc de marshmallow apparaît... De là à en déduire que les héros se sont servis de leurs attributs virils pour vaincre le démon-femme il n'y a qu’un pas…


UN GHOSTBUSTER, EST-CE, Ô, EST-CE UN HOMME ?

Derrière cette peur d'affronter la réalité sexuelle se cache une autre frayeur : celle d'affronter le monde adulte.

Au départ, les futurs héros sont encore étudiants alors qu'ils semblent avoir la trentaine. Ce statut reflète leur position dans la société : ils n'ont pas de place dans le monde du travail. Lorsque leur financement pour leurs recherches est retiré, Raymond se demande ce qu'ils vont devenir. Il est clair qu'ils n'envisagent pas leurs études comme une formation pour intégrer un emploi mais l'université est une structure d'accueil pour vivre.

D'autre part leurs travaux s'apparentent à des jeux d'enfants. Raymond et Egon étudient les spectres ou la télékinésie et cherchent ainsi à prouver que les croyances enfantines sont fondées (le spiritisme est une fascination appartenant essentiellement à l'univers de l'enfance). On apprend même qu'Egon a déjà tenté de se percer le crâne ("Ça aurait marché si tu ne m'avais pas empêché de le faire !") ou on voit Raymond heureux comme un gosse dans l'immeuble qui accueillera les locaux de S.O.S Fantômes ("Hé ! Il est encore bien astiqué ce mât !").

Peter utilise un appareil d'origine scientifique comme un charlatan à des fins lucratives. Son égoïsme et son manque de connaissances (ses amis eux-mêmes s'interrogent sur ses diplômes au début de l'histoire) en font un représentant de l'enfance tout comme son plaisir à faire du mal lors de ses "expériences scientifiques" ou son langage familier voire grossier ("Zut ! Flûte ! Caca boudin !" ; "On est venu, on l'a vu, il l'a eu dans le cul !").

Lorsque les quatre ex-étudiants vont enfin choisir leur fonction à l'intérieur de la société, ils décident de combattre des fantômes. Les ennemis auxquels ils vont devoir faire face sont donc liés au monde de l'enfance. Ils se sont incorporés fictivement dans la société. Ils s'enfoncent en fait dans leur imaginaire et refusent la réalité. C'est pourquoi la frayeur que les spectres provoquent sur les protagonistes va augmenter au cours du récit soit à cause de leur démultiplication (la scène où les esprits envahissent la ville après que le conteneur ectoplasmique ait été débranché), soit par leur laideur (les 'chiens' que sont devenus Dana ou Louis), ou encore par leur taille (le bibendum marshmallow) à mesure que les chasseurs sombrent dans leur folie.

Les monstres vont au cours de l'histoire prendre les formes des angoisses enfantines. La mère, c'est-à-dire le représentant de la punition (le premier fantôme dans la bibliothèque que les étudiants viennent déranger) ; le fantôme classique (le revenant du restaurant) ; les 'chiens' (désignés ainsi par Louis et Peter : "Alors, qui a amené le chien ?", "Bon ! D'accord, c'est un chien") ; Dieu, qui punit les fautes tandis que l'enfant se régale du mensonge et des bêtises ("Tu t'es jamais dit qu'au fond […] c'est peut-être que ça y est, que les morts se lèvent vraiment de leurs tombes ?") ; et enfin le bibendum marshmallow qui représente le scoutisme donc les ordres ("On les faisait griller autour du feu de camp quand j'étais scout chez les castors") et qui est gigantesque (donc à la fois monstrueux et semblable à l'autorité parentale de par sa force et sa taille : l'enfant est plus petit et plus faible que ses parents).

La fin montre en outre un double rêve d’enfance : une marée de marshmallow envahit le sol tandis qu'une foule d'admirateurs applaudit les héros, comblant ainsi les désirs de puissance et de reconnaissance propres aux enfants. Les casseurs de fantômes ressemblent de fait à des adultes qui n'auraient pas accepté ce statut et resteraient coincés dans un univers onirique virtuel dans lequel ils se sentent bien.


LOST BUSTERS IN A BITTER WORLD

Pour nombre de grands spectacles d'Outre-Atlantique, et encore plus lorsqu'il s’agit d'une comédie, le pro-américanisme est de rigueur. Nous avons vu que ce n'est pas le cas ici dans la représentation du sexe puisque le film nous montre des êtres opprimés par leur culture et par leur société qui refreinent leurs pulsions ou culpabilisent. En fait, l'univers tout entier de la diégèse confronte le spectateur à une réalité assez glauque malgré la bonne humeur omniprésente dans le métrage.

D'abord, il y a la précarité de la situation d'origine des protagonistes. Du jour au lendemain on leur annonce la fin de leur statut sans qu’il n'y ait d'échappatoire. C'est toute l'iniquité du système d'études américain qui est ici dénoncée. Raymond doit hypothéquer ses biens pour permettre au groupe de survivre.

Le bien et le mal semblent toujours liés. Les super-héros agissent pour le bien mais portent "en toute illégalité des accélérateurs nucléaires sur [leurs] combinaisons". Pour vaincre le spectre final ils utiliseront le mal en croisant les effluves... Peter veut sauver Dana non pas en raison d'un amour profond ni d'un réel attachement mais parce qu'elle lui plaît physiquement dans une volonté égoïste : il déclare l'aimer le jour de leur rencontre sans la connaître et après avoir dragué une autre femme dans l'incipit ("Je vais ramener mademoiselle dans son appartement et lui faire une fouille complète").

S.O.S Fantômes est une société à la fois humanitaire (elle sauve New York d'une apocalypse) et intéressée (les tarifs des captures de revenants sont élevés et l'agence s'inscrit dans une logique capitaliste avec l'utilisation de publicité télévisuelle).

Le représentant de l'environnement, qui dans son questionnement fait écho à la remarque de Peter concernant l'usage du nucléaire pour le matériel de capture des spectres, est sournois. Il use de la force pour arriver à ses fins. S'il rappelle les ambivalences d'une équipe qui nettoie les rues des esprits tout en en polluant l'air, il apparaît également tel un être auquel on ne peut pas faire confiance et qui accélère le processus d'apparition de Gozer... Lorsque Louis se retrouve acculé contre la vitrine d'un grand restaurant et appelle à l'aide, les gens le regardent se faire dévorer avant de reprendre à leur tour le repas sans se tourmenter. Enfin le maire, donc le représentant de toute la ville, est une figure égocentrique. Une seule phrase suffit à le convaincre de laisser agir les chasseurs de fantômes face à la débâcle finale : "Lenny, toi et toi seul aura sauvé la vie de millions d’électeurs inscrits". Quant au représentant ecclésiastique, il apparaît dépassé par la situation comme le souligne Peter ("Ouais, t'as raison de pas t'mouiller Mike !") et n'est que surface puisque après s'être fait baiser la main par le maire les deux hommes se parlent en amis de façon familière.

La réplique de Winston à la fin du film, "J'ADORE NEW YORK !", revêt un sens bien différent que celui dénoté à la lumière de la perversité de cette ville telle qu'elle nous est montrée. Si New York est une ville qui lui a donné la chance de participer à des actes héroïques et d'être reconnu, elle est aussi fausse comme l'indique les réactions de son dirigeant (devant lequel Winston se rabaisse et se définit "nègre") et elle est synonyme d'exclusion (les noirs-américains sont reclus pour la plupart dans des quartiers en banlieue). Winston d'ailleurs ne débarque dans la bande des casseurs de revenants que tardivement ; il n'a qu'une fonction subalterne : il est uniquement chasseur tandis que les autres sont en plus soit inventeur (Egon), mécanicien (Raymond) ou trésorier (Peter) dans la société ; de plus il n'a que très peu de fois l'occasion de s'exprimer.

Aussi Ghostbusters comporte des aspects du genre comédie, mais c'est une comédie noire : l'humour bien souvent ne fait que mettre en relief le côté préoccupant d'un univers relativement sinistre.


S.O.S SUITE FANTÔME

Cinq ans après le succès du film, toute l'équipe se lance dans une suite. Cependant, curieusement, et ce malgré le fait que réalisateur et scénaristes soient identiques, le deuxième volet s'avère être une antithèse de l'original, bien que brodé sur une variation de l'histoire du premier (d'ailleurs peu inspirée).

En effet les héros traversent à peu près les mêmes épreuves :

- L'arrivée du démon passe par l'intermédiaire de Dana, qui subit des manifestations paranormales avant que la ville n'en soit remplie.

- Les héros sont d'abord enfermés (dans un asile au lieu d'une prison) puis relâchés par ordre du maire, avant d'être appelés à la rescousse à la fin.

- Un géant traverse la ville à l'image des films de monstres asiatiques (la Statue de la Liberté). Peter compare même la statue avec le bibendum : "Continue à avancer, Liberté chérie, si tu réussis on t'emmène passer un week-end à Las Vegas avec le bibendum en gelée".

- Les super-héros se font applaudir par une énorme foule d'admirateurs et sauvent New York.

Certains détails s'apparentent aussi au premier opus : Egon demande à Peter de prélever un échantillon des selles du bébé tandis qu'il lui sommait de prélever un échantillon de slime cinq ans auparavant ; Winston se trouve figé face à l’arrivée du train-fantôme là où Peter restait scotché sur place dans l'hôtel quand Bouftou lui fonçait dessus ; lorsque les héros débutent leur activité une séquence retranscrit différents exploits des ghostbusters à la manière du résumé présent dans l'épisode précédent ; enfin l'adjoint au maire ressemble à une caricature de l'inspecteur de la commission pour l'environnement.

Mais toutes ces similitudes se déroulent dans une autre ambiance et ont une connotation inverse à ceux du Ghostbusters premier du nom. Ainsi les héros ne sont plus à la base dans une situation précaire étant donné l'argent qu'ils ont sûrement amassé cinq ans auparavant, Egon et Peter sont respectivement chercheur en sciences et présentateur TV, donc vivent dans une certaine aisance, Raymond est un antiquaire spécialisé dans le paranormal (Winston est à nouveau délaissé, il est le collègue de l'agence S.O.S Fantômes mais son activité sociale n'est pas montrée). L'environnement dans lequel évoluent les quatre nettoyeurs de revenants semble fort sympathique, le spectre venu d'un lointain passé est risible et absolument pas impressionnant, aucun élément particulier ne fait ressentir que derrière la surface se cache une réalité peu enthousiaste, car dans ce film tout est surface. Ainsi, si les new yorkais sont responsables de l'émergence des spectres de part leur méchanceté ou leur bêtise, non seulement tout est dénoté dès le début (lorsque Dana avance dans la rue avec sa poussette on voit des gens se disputer, tous de mauvais poil) mais surtout à la fin grâce à un symbole pro-américain les habitants se mettent à chanter et à s'unir naïvement devant le musée, aidant ainsi les chasseurs à vaincre le "fléau des Carpates".

Bien et Mal sont deux entités séparées de façon manichéenne. Il n'y a pas de représentant de l'environnement pour questionner les ambivalences de la société S.O.S Fantômes. Le nucléaire n'est pas évoqué, la pollution des canalisations est la faute non pas uniquement des protagonistes mais de tous les résidents de la ville. Les nuances disparaissent donc. Si les héros utilisent le mal pour vaincre le mal (ils se servent du slime), c'est par l'intermédiaire d'un gigantesque symbole américain : la Statue de la Liberté.

Peter est cette fois amoureux de Dana, le spectateur sent qu'il a fui ses responsabilités, ce qui est en accord avec le personnage d'origine, mais il paraît regretter son acte. Dana n'est plus simplement une femme qui lui plaît, un trophée de plus dans son tableau de chasse, elle est la femme de sa vie et Peter et elle sont liés par un enfant, que Peter ne tarde pas à considérer comme sien.

L'argent que réclame l'agence de capture des spectres est secondaire. Les chasseurs semblent se concentrer sur l'enquête autour de Dana dans un but uniquement amical et désintéressé. Bien sûr ils utilisent la publicité, cependant l'accent est mis sur leurs tarifs réduits (divisés par deux) et sur l'offre de cadeaux pour les enfants.

Le maire apparaît relativement sympathique, son pouvoir ou les enjeux politiques en lien avec le sauvetage de la ville ne sont jamais évoqués. S'il refuse la proposition initiale des protagonistes, c'est dans un but citoyen en respect par rapport à la liberté individuelle ("Qu'est-ce que vous voulez que je fasse […], dire à dix millions de personnes qu'elles doivent être gentilles entre elles ?... Mais être un misérable con et traiter son prochain comme de la merde est le droit que Dieu a donné à tous les new yorkais !").

Si Winston est toujours une figure négligée, ici rien ne critique cette position. Il est présent dès le début de l'aventure et pourtant son rôle est tout aussi limité que dans l'épisode précédent. Il bénéficie de plus de répliques, mais il reste uniquement un collègue de travail et occupe une position secondaire (il apparaît dans l'incipit mais dans le costume de super-héros, puis il disparaît dans toute la recherche autour des problèmes de Dana et jusque dans le tribunal où il n'est pas jugé bien qu'il s’agisse de réprimandes faites aux chasseurs de fantômes et que l'enjeu soit l'arrêt de leurs activités). Il représente le quota de noirs-américains nécessaire dans une grosse production américaine sans que cela ne soit démontré implicitement.

Les protagonistes ne sont plus assimilables à des adultes plongeant dans un univers onirique de l'enfance. Peter assume ses responsabilités : il suit les conseils de Dana qui dans le premier film le compare à un présentateur TV ("Vous faites plutôt présentateur de show télévisé") et il s'occupe de son rejeton aussitôt que le danger le menace. Le spectateur sent qu'il ne courtisera plus d'autres femmes.

Raymond gère une boutique dédiée au paranormal et Egon effectue des recherches mais à son propre compte. Les trois amis envisagent clairement l'agence S.O.S Fantômes comme une fonction secondaire qu'ils occupent, et dans un registre purement humanitaire donc responsable. Le monstre qu'ils combattent n'a rien à voir avec les peurs enfantines : il sort d'un tableau donc d'une œuvre d’art, ce qui constitue un intérêt purement adulte. Les éruptions fantomatiques issues du spectre Vigo n'ont pas le caractère amusant (le squelette dans le taxi du premier opus) ou ne sont pas en relation avec les frayeurs de l'enfant (les 'chiens' qui ramenaient Gozer sur terre). Au contraire, elles se manifestent dans des lieux sérieux appartenant au monde adulte (le tribunal) ou évoquent de grands drames de l'Histoire (le Titanic).

A la fin, on imagine que les super-héros doivent retirer leur costume et retourner assumer leur responsabilité au sein de la réalité sociale.

Le sexe enfin est suggéré de façon chaste. Peter n'est plus un coureur, Dana est devenue une mère et ne cherche plus l'acte avec n'importe qui. Egon semble se désintéresser des femmes suivant l'imagerie conventionnelle du savant. Quant à Raymond et Winston, ils forment certes un couple au commencement du récit mais un couple qui s'assume dans une Amérique tolérante : on peut voir les enfants de la fête d'anniversaire comme leurs propres enfants adoptifs. Louis s'est trouvé une femme qui l'aime, Janine, et peut assumer ses pulsions cette fois pures et amoureuses (certes Janine reste une femme libidineuse, toutefois avant l'acte elle déclare vouloir un bébé donc former une famille avec Louis).

Le monstre est vaincu par une giclée rappelant une éjaculation mais cette fois contrairement à l'attaque du bibendum il s'agit d'une éjaculation contrôlée par les chasseurs de fantômes devenus adultes. Le slime qu'ils lancent sur le démon constitue un jet précis et les héros ne souffrent plus de contrition face au sexe et d'une retenue qui les a conduit à éructer d'un coup tout leur désir sur la femme-démon dans une explosion de marshmallow. Ici ils empêchent le mauvais père de pénétrer l’enfant en le castrant, ils abordent l'acte sexuel avec maîtrise et en sont au stade où le fils tente de castrer le père pour affirmer son statut d'adulte. Le fait que l'éjaculation de slime ait lieu auparavant à l'intérieur de la Statue de la Liberté n'est pas anodin, ils traversent fièrement la ville en la dominant, libérés des peurs de l'enfance par rapport au sexe (et délivrés des pressions sociales, puisque c’est le couple Raymond/Winston qui utilise le slime). Chasseur de fantômes est ainsi synonyme de liberté sexuelle, et Louis endosse le costume après avoir perdu sa virginité une deuxième fois (dans une totale conscience).

Le sexe n'est plus le mal qu'il faut combattre, les personnages ne souffrent plus intérieurement à cause de leur société, ils s'épanouissent au contraire dans un univers qui passe pour idéal. La réalité diégétique s'éloigne de la réalité référée, le sigle que les super-héros portent sur leur costume et affichent sur la façade de leur agence le prouve puisque le fantôme représenté n'est plus un spectre terrifié mais un revenant qui sourit et arbore de ses doigts le chiffre deux, renvoyant au fait que nous sommes devant une suite et donc rappelant également que nous sommes devant un film, à l'image de la fin dans laquelle le portrait de Vigo est remplacé par une représentation des super-héros dans un style Renaissance.

C'est ainsi que S.O.S Fantômes 2 n'est qu'une pâle copie de son prédécesseur, d'une part car les effets spéciaux n'ont plus la même envergure qu'auparavant tout comme la mise en scène, d'autre part à cause d'un scénario trop identique au spectacle initial, et enfin parce que le fond est devenu le miroir du chapitre primitif faisant basculer l'observation de la société américaine de la critique vers la tolérance. Les créateurs paraissent chasser leurs propres démons intérieurs de lucidité face à leur environnement à l'instar des protagonistes du premier long métrage qui refoulaient leurs pulsions sexuelles réelles pour s'accommoder des coutumes en vigueur.

Ghostbusters est une œuvre riche de significations. Derrière le divertissement familial se cache le portrait d'une nation défectueuse polluée aux niveaux politique, sexuel, et de la nature. Le film est également la représentation de la nostalgie des scénaristes pour l'enfance. S'il n'est pas forcément considéré comme tel, ce long métrage est le film de super-héros le plus abouti à ce jour aux côtés de Spider-Man. Tout dans ces deux récits est distillé que ce soit les apparitions du ou des héros ou les effets spéciaux, et le spectateur doit faire intervenir son imaginaire puisque certaines évolutions du ou des personnage(s) sont amputées (c'est le cas notamment des actes héroïques du début de carrière qui sont montrés dans une sorte de résumé au style journalistique dans les deux films).

Même avec une suite qui le renie, S.O.S Fantômes reste un très joli conte désenchanté contemporain, et le dernier grand spectacle américain à avoir pu intégrer un certain jugement en demi-teinte sur la société aux Etats-Unis.

Guillaume Briquet

Fiche technique

- Titre original : Ghostbusters.
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Origine : Etats-Unis - Couleurs - 1 h 50 mn.
- Date de sortie France : 12 décembre 1984.
- Production : Ivan REITMAN / Rhino Films - Columbia.
- Réalisateur : Ivan REITMAN.
- Scénario : Harold RAMIS et Dan AYKROYD.
- Casting : Bill MURRAY (Peter Venkman), Dan AYKROYD (Raymond Stantz), Harold RAMIS (Egon Spengler), Sigourney WEAVER (Dana Barrett), Rick MORANIS (Louis Tully), Annie POTTS (Janine Melnitz)...
- Musique : Elmer BERNSTEIN.
- Box-Office France : 2.939.369 entrées.
- Sortie DVD : 30 septembre 1999.
- Lien Internet : http://www.erreursdefilms.com/sf/erreurs.php?idf=SOS1

 

"Ghostbusters comporte des aspects du genre comédie, mais c'est une comédie noire : l'humour bien souvent ne fait que mettre en relief le côté préoccupant d'un univers relativement sinistre"