Spider-Man
Un grand
spectacle référentiel
Dès
l'amateurisme d'Evil Dead se dessinait la "patte" RAIMI qui
consiste à jouer avec les codes du cinéma de manière
à surprendre le spectateur avec une histoire qu'il connaît
déjà. La maison abandonnée qu'une bande de jeunes
loue à un prix défiant toute concurrence pendant les vacances
sent le réchauffé, et pourtant très vite l'ambiance
du premier film de RAIMI glace le sang.
Dans
la mise en scène soignée de Spider-Man, les relations
entre les personnages, le récit initiatique d'un jeune homme
en pleine maturité, l'histoire d'amour sont évidents et
précalculés par le spectateur. Même le scénario
se devine sans presque forcément connaître le comics.
Pourtant lorsque Spidey poursuit l'assassin de son oncle à travers
les airs, la séquence coupe le souffle et emporte le spectateur,
tout comme la mise en scène intimiste d'Evil Dead le terrifie.
Outre
ce jeu sur les codes, le réalisateur développe dans le
film le thème du double qui fait écho au principe de l'identité
cachée propre au super-héros.
DIGRESSION
SUR L'ART DE LA TRANSGRESSION
Sam
RAIMI n'invente pas. Il reconstruit du neuf dans la matière déjà
épuisée des classiques du genre qu'il traite. Pour ses
anciens films et notamment Evil Dead, cette reconstruction
passe par un jeu sur les codes du film d'horreur en utilisant les éléments
des classiques du genre et en les poussant dans la simplicité
et l'exagération : la maison abandonnée peu coûteuse
louée par des jeunes naïfs ; le collier qui rappelle au
protagoniste que le zombie qu'il doit tuer était sa fiancée
(cf. Night of the Living Deads avec la fille qui se jette dans les bras
de son frère-zombie ou avec la mère qui ne peut réaliser
que sa petite-fille est en train de manger son père).
Dans
Spider-Man, l'entreprise est largement plus complexe. Il s'agit pour
l'auteur de jouer avec les codes du grand spectacle, genre qui n'en
est pas un pour ainsi dire mais qui en regroupe un tas dans un dénominateur
commun, qui est de toucher le public le plus large possible. Ce jeu
passe par le prisme des velléités des producteurs-financeurs
et de la loi du marché qui touchent le film Spiderman, commande
à gros budget faite au réalisateur, et donc grand spectacle
lui-même.
Sam
RAIMI part du principe qu'un spectateur moyen habitué aux grands
spectacles est amené à voir éternellement la même
trame et ressentir les mêmes émotions au lieu d'être
confronté à de nouvelles idées (à noter
d'ailleurs que pour tous les mass-médias actuels cette
répétition existe et le spectateur subit malheureusement
une mise en scène codée sur le mode du grand spectacle
avec des "bons" et des "méchants", et une
résolution d'un problème attendu pour terminer sur un
happy end).
C'est
pourquoi le réalisateur va détourner ce principe du grand
spectacle prêt-à-consommer dans la reprise volontaire d'éléments
des deux précédents blockbusters avec super-héros
: Superman et Batman. De plus, il inclut d'abondantes références
à d'autres blockbusters. Cette surimpression permanente
d'autres grands spectacles démontre implicitement au spectateur
qu'il regarde une fois de plus le même message tout en y trouvant
du plaisir. Les éléments choisis étant de plus
des syntagmes d'autres films, cela met en relief la pesanteur de la
recette américaine.
Ainsi
les ballons de la fête où Spidey et le Bouffon s'affrontent
pour la première fois rappellent ceux de la fête organisée
par le Joker pour accueillir Batman dans le combat final du film de
Tim BURTON. Les photos qu'observe Jameson en s'exclamant "de
la merde" évoquent celles de Vicky Vale que le Joker
feuillette en usant d'une réplique très proche. Certains
plans généraux comme celui sur le labo d'Oscorp rappellent
également l'esthétique du premier Batman.
Sans
compter les références également flagrantes au
Batman Forever avec un Bouffon Vert très proche du personnage
de l'Homme-Mystère dans sa naissance, jusqu'au final qui comprend
le même choix sadique imposé par les deux super-vilains.
Quant aux références à Superman, elles sont évidentes
lorsque Peter ouvre sa chemise en courant et que le costume de Spidey
apparaît, ou quand sa tante s'exprime "Tu n'es pas Superman".
Ce
jeu avec les codes des grands classiques hollywoodiens s'étend
à d'autres grands spectacles avec "super-héros".
Aussi n'est-on pas étonné de découvrir en revoyant
Spider-Man des fragments ou des éléments d'autres films.
L'exemple le plus flagrant est bien sûr Matrix, lorsque la caméra
effectue des ralentis sur Spidey dans l'immeuble en feu (fameux effet
bullet time) ou quand Peter saute de toits en toits en continuant
à courir dans le vide. Quand divers new-yorkais parlent des exploits
de l'homme-araignée devant une supposée caméra
de télévision et que des journaux sont montrés
en alternance avec des actes héroïques du perso pour résumer
l'évolution du protagoniste et de sa notoriété
en une seule séquence, nous repensons aux exploits des chasseurs
de fantômes de Ghostbusters, avec de la même manière
des journaux apparaissant à l'écran, des vues sur le 'quotidien'
de ces "super-héros" dans New-York, assaillis de questions
et de photos de la part des journalistes.
La
séquence de combat final entre Spidey et le Bouffon comporte
un ralenti sur un coup de poing au visage de l'araignée qui ressemble
à s'y méprendre aux ralentis de Rocky lors de son combat
contre Apollo.
LA
RÉFÉRENCE
JUSQU'A L'AUTO-CITATION
Mais
le réalisateur ne se cantonne pas à cette myriade de références.
Dans Spider-Man, le film le plus largement cité est Darkman,
œuvre de RAIMI lui-même.
Si
l'on retrouve dans les deux longs métrages des éléments
comme la romance impossible ou un personnage condamné à
expérimenter sur lui une formule chimique sur laquelle il travaille
et qui n'aboutit pas, ce sont surtout des morceaux de mise en scène
que l'on aperçoit identiques dans les deux œuvres.
Ainsi
les nombreux plans sur l'œil du protagoniste présents dans Darkman
se retrouvent dans Spider-Man à double reprise lors de la transformation
de Peter et avant l'explosion finale dans le bâtiment désaffecté.
L'ombre du "héros" du premier film vue par l'un des
mafiosos ressemble à celle de Spidey aperçue par l'assassin
de l'oncle Ben.
Les
scènes vécues en flash par Darkman et Peter ou Norman
Osborn, la molécule d'ADN des deux films comportant un design
similaire, la longue séquence d'action où Darkman est
suspendu au filin d'un hélicoptère à travers des
immeubles qui s'enchaîne sur une séquence dans un bâtiment
en construction (ce qui fait que les personnages se retrouvent en hauteur
sur une structure métallique comme dans la conclusion de Spider-Man)
dans laquelle le sombre héros doit empêcher sa mie de tomber
avec en plus un plan où il s'accroche à un treuil et attrape
sa femme dans les bras de façon identique à un certain
plan de Spider-Man... jusqu'aux deux épilogues avec en voix off
le protagoniste qui résume sa malédiction et dit "appelez-moi
Darkman / je suis Spider-man", sont autant de similitudes
troublantes entre les deux films.
"Appelez-moi
Darkman"
Toutes
ces ressemblances se révèlent ahurissantes et renforcent
l'idée que Spider-Man est basé dans sa mise en scène
sur une succession de références. Ainsi RAIMI joue avec
les codes du grand spectacle US moyen, démontrant implicitement
que dans cette catégorie il s'agit toujours du même film...
En
poussant cette démarche de réflexion, on s'aperçoit
d'une part que chaque élément de propagande est répété
trois fois et devient donc grossier (le drapeau US, les phrases "Un
grand pouvoir implique de grandes responsabilités" et
"Que Dieu te bénisse") et d'autre part que les
répliques des new-yorkais sur le pont jetant des pierres au Bouffon,
vers la fin de Spider-Man, sont étrangement répétitives
et assommantes dans l'esprit patriarcal. Le drapeau US qui clôt
le film en recouvrant presque tout l'écran fait preuve aussi
d'une certaine lourdeur. Ainsi RAIMI joue avec les codes du grand spectacle
US moyen, démontrant implicitement que dans cette catégorie
il s'agit toujours du même film...
En
effet, le spectateur est constamment distancié de la diégèse
par ces jeux sur les codes, regardant ainsi d'un œil critique les poncifs
qui lui sont assénés dans le film, et par-là même
Spider-Man fait écho aux messages diffusés implicitement
dans tout grand spectacle par l'entremise des références,
et interroge la passivité du spectateur dans l'industrie cinématographique
US.
UN FILM ULTRA-RÉFÉRENTIEL
Cette
réflexion sur les grands spectacles s'étend donc sur les
messages propagandistes qui sont également présents dans
le comics d'origine, avec notamment la représentation
de la famille ou la volonté de dédramatiser les risques
des nouvelles étendues scientifiques (le nucléaire pour
le Marvel ; la génétique, plus contemporaine, pour le
film) qui créent des pouvoirs au lieu d'agrandir les risques
de cancer ou de cloner les êtres vivants.
En
tant que mordu du comics, Sam RAIMI s'est dû de respecter
l'univers, mais rien ne l'a empêché d'inclure des références
(eh oui, encore) aux classiques des films d'épouvante, pour limiter
les dégâts aux yeux des cinéphiles. De fait, les
films d'épouvante US ont pour caractéristique principale
de critiquer les messages typiquement pro-américains, de A Nightmare
on Elm Street (Freddy en VF) à Night of the Living Deads. RAIMI
inclut donc dans la bataille finale une scène où le bras
du Bouffon semble sortir du sol tel un bras de zombie dans un décor
qui, de plus, est glauque.
De
la même manière, il clôt son film dans un cimetière
qui n'est pas sans rappeler celui de l'incipit de Night of the
Living Deads. Plus qu'un simple clin d'œil au début de sa carrière,
il s'agit d'entériner définitivement le message caché
du film avec une référence à un chef-d'œuvre qui
critique au plus haut point les Etats-Unis (ROMERO s'attaque à
la politique US de guerre avec une dénonciation du Vietnam, et
une armée responsable de l'émergence des morts-vivants),
et une conclusion qui déteint avec le reste du film, dans ses
décors d'épouvante et le refus du happy end.
Plus
que de critiquer une recette emplie de propagande ou effectuer un clin
d'oeil à la naissance-même du super-héros (Spider-man
est né à partir de deux super-héros préexistants
-Superman et Batman), Sam RAIMI invente avec cette structure basée
sur un calque d'autres films un nouveau type de cinéma, inspiré
par la tendance actuelle dans laquelle les grands spectacles sont devenus
de véritables pompes à idées d'autres œuvres et
notamment dans le genre science-fiction (Evolution, Godzilla, Independence
Day, Matrix...).
LE
DOUBLE JEU DE SPIDER-MAN
On
remarque que la plupart des références à d'autres
films évoquées précédemment sont répétées
deux fois dans Spider-Man. Le spectateur assiste de fait à une
véritable mise en abyme référentielle et RAIMI
invente une figure de style cinématographique.
En
effet on trouve deux références différentes pour
Batman, Batman Forever, Superman, Matrix, Nights of the Living Deads
(j'ai évoqué toutes ces doubles références
de façon disparate plus haut) et bon nombre de fragments de mise
en scène repris de Darkman sont répétés
deux fois (les plans sur l'œil ou par exemple lorsque Spidey tape la
tête de l'assassin de son oncle contre les vitres de l'entrepôt
et que par la suite le Bouffon Vert effectue la même action avec
Spidey contre les vitres d'un immeuble : il s'agit de la répétition
d'une action qui est issue de Darkman lorsque les mafiosos éclatent
le crâne du protagoniste contre des vitres de son laboratoire).
D'autre
part, l'action globale du film apparaît elle-même deux fois
de manière quasi-identique. Les deux combats entre Spidey et
le Bouffon se ressemblent comme deux gouttes d'eau : le héros
doit sauver un enfant et plonger dans le vide pour rattraper M.J. puis
à la fin il doit sauver des enfants et plonger à
nouveau dans le vide pour récupérer sa dulcinée.
Ce
thème du double présent dans la mise en scène se
double (sic) au niveau des personnages. Peter ou Norman sont, bien sûr,
des êtres à double facette. Harry Osborn l'est également
de façon moins évidente car il cache sa liaison avec M.J.
à Peter et effectue un double jeu. M.J. possède un côté
mûr et un autre où elle est assouvie au joug masculin puisqu'elle
sort avec un personnage qui a une certaine réputation au College
(le cliché du sportif de l'école US tant convoité)
puis avec Harry, fils de riche. Elle tient donc à son apparence
(elle veut être actrice) et a besoin qu'on la remarque au prix
de sa vraie personnalité puisqu'elle en vient à se retrouver
avec des hommes qu'elle n'aime pas.
Spider-Man
s'avère donc être un grand spectacle atypique, faussement
mièvre et particulièrement riche, aussi bien dans son
respect quasi-maladif du comic book et dans son faux respect
de la tradition hollywoodienne que dans sa structure complexe et novatrice,
dénonçant au passage un écueil d'un pan de la science-fiction
contemporaine au cinéma.
Guillaume
Briquet
Fiche technique
- Origine : Etats-Unis - Couleurs - 2 h 01 min.
- Date d'arrivée en France : 12 juin 2002.
- Production : Stan LEE / Columbia Pictures.
- Réalisateur : Sam RAIMI.
- Scénario : David KOEPP, d'après
l'œuvre de Stan LEE.
- Casting : Tobey MAGUIRE (Peter Parker
/ Spider-Man), Willem DAFOE (Norman Osborn / le Bouffon Vert), Kirsten
DUNST (Mary Jane Watson), James FRANCO (Harry Osborn), J.K. SIMMONS
(J. Jonah Jameson)...
- Musique : Danny ELFMAN.
- Box-Office France : 6.410.615 entrées.
- Sortie DVD : 12 décembre 2002.
- Lien internet : http://www.spiderman-lesite.com
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"Sam
RAIMI n'invente pas. Il reconstruit du neuf dans la matière déjà
épuisée des classiques du genre qu'il traite"
"Spider-Man
s'avère donc être un grand spectacle particulièrement
riche, aussi bien dans son respect quasi-maladif du comic-book que dans
son faux respect de la tradition hollywoodienne"
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