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Taram et le Chaudron Magique



Trentième production du studio Disney, Taram et le Chaudron Magique est infligée depuis sa sortie en 1985 d'une réputation vraiment peu enviable, puisqu'elle se voit même reniée par ses propres instigateurs. Un traitement réellement injuste au vu des qualités formelles qu'elle possède. Frames (à l'occasion de sa toute récente sortie DVD) avait donc la lourde tâche de réhabiliter cette œuvre mésestimée.


DÉLICIEUSE NOIRCEUR

Au cœur du pays de Prydain, Taram, un jeune valet de ferme, rêve de devenir un célèbre guerrier. Il se voit confier la mission de trouver un mystérieux chaudron magique avant que le perfide Seigneur des Ténèbres ne puisse tirer profit de ses pouvoirs surnaturels...

Enième transposition littéraire délivrée par le studio, Taram est adapté de la série des Chroniques de Prydain écrite par Lloyd ALEXANDER -édités autrefois par Le Livre de Poche mais aujourd'hui épuisés et introuvables dans la langue de Molière. L'histoire de base, si elle n'est certainement pas originale (ce n'est qu'un archétype du conte et du récit de fantasy) reste on ne peut plus accrocheuse. Le traitement qui lui est réservé pointe directement vers l'essentiel, pour offrir au public une plus grande efficacité : ainsi le contexte et les enjeux dramatiques, présentés en tout au plus dix minutes, sont très clairs et s'avèrent surtout diablement excitants. A partir d'une trame linéaire, et ce sans développer la moindre sous-intrigue ni offrir de fréquents rebondissements, Taram et le Chaudron Magique possède un rythme ne faiblissant pas un seul instant... mais il faut dire que la courte durée du métrage l'aide en ce point.

Les détracteurs du film lui reprochent des personnages peu crédibles et peu attachants. Pourtant, malgré la présence de peu de héros, tous superbement dessinés et animés, les réalisateurs Ted BERMAN et Richard RICH en ont développé deux parmi les plus attachants de l'univers disneyen : la petite bestiole hirsute Gurki (responsable du suspense d'une des scènes finales, pour une fois véritable puisque ce Disney est bel et bien hors-norme, arrivant par la même occasion à être véritablement émouvant !) et l'inénarrable Ritournel (à la base d'un running gag particulièrement cocasse dans certaines situations). Ajoutons à cela un Seigneur des Ténèbres qui, s'il ne s'inscrit pas comme le méchant disneyen le plus réussi, n'en demeure pas moins charismatique.

Mais autant en venir sans tergiverser sur le plus grand atout de cette œuvre, ce pourquoi elle détonne dans la filmographie de la firme : son étonnante noirceur. Rarement un long métrage du studio n'avait à ce point entrepris un changement de ton si radical (l'exception pourrait être le chef d'œuvre l'Etrange Noël de Monsieur Jack de Henry SELICK, si celui-ci n'avait pas un traitement du macabre si opposé au présent film).

Les décors participent amplement au climat du film : impossible d'oublier le magnifique plan où l'on aperçoit pour la première fois le château, ni les courses-poursuites se déroulant dans ses magnifiques décors intérieurs, crépusculaires. Faisant preuve d'audace, ce Taram propose certaines scènes d'anthologie, quasiment morbides et vraiment incroyables tant il semble impensable de les trouver dans un film destiné à un public enfantin (la vente de la VHS en souffrira d'ailleurs, puisqu'elle sera retirée de la vente sous prétexte de sa violence : on aura tout vu !) : animées par Tim BURTON -qui signait là sa dernière collaboration pour le studio, en proposant aussi de nombreux concepts qui n'ont finalement pas été retenus- ces séquences où des armées de squelettes surgissent de terre sont particulièrement impressionnantes ! La bande originale montre aussi clairement l'envie du studio d'attirer un public plus âgé, au minimum adolescent : aucune chanson n'est présente (c'est un des points ayant pu empêcher l'adhésion des plus jeunes spectateurs), et la seule musique entendue, de facture somme toute correcte, reste tout de même bien trop classique par rapport à son sujet.

Qu'on ne s'y trompe pas, même si le film est plus porté sur le macabre, il possède des images nous renvoyant aux plus beaux passages des contes de notre enfance, comme la séquence des marées de Morva, créant ainsi une atmosphère enchanteresse (je pense notamment à la tannière des elfes, absolument sublime). L'humour y est également beaucoup plus fin qu'à l'accoutumée.

Hélas, Taram n'est pas l'œuvre parfaite qu'elle aurait pu être, et ses rares défauts sont d'autant plus regrettables qu'ils sont inhérents au genre qu'il prétend illustrer : ainsi ce cliché rebutant qui décrit les hommes peuplant la demeure du Seigneur des Ténèbres comme d'incapables barbares stupides, et pour le coup, a contrario des autres personnages, sont illustrés de manière douteuse : le trait est plus grossier et enfantin, apparaissant avec le recul horriblement daté. On peut aussi trouver à redire quant à l'aspect graphique des trois sorcières qui, si elles ne sont pas manichéennes (ces créatures maléfiques sont plutôt portées vers l'appât du gain, à l'opposé de leurs représentations habituelles), apparaissent aujourd'hui très typiques des productions des années 80...

Aux antipodes des habituels films d'animation estampillés Disney, Taram et le Chaudron Magique (The Black Cauldron en VO, titre nettement plus révélateur) est surtout le plus susceptible, de par son climat lugubre, de plaire aux réfractaires du studio, car il ne verse jamais vraiment dans "les bons sentiments" si déplaisants aux yeux de certaines personnes, s'autorisant même quelques scènes susceptibles d'apeurer nos chères têtes blondes, notamment au travers de courses-poursuites avec un bestiaire tout droit tiré des récits d'heroic fantasy.

Il ne faut d'ailleurs pas chercher bien loin la raison pour laquelle ce film d'animation est à ce jour le plus gros échec public du studio, car à n'en point douter le fait que la MPAA (commission de censure américaine) ait interdit le film aux enfants non accompagnés a dû provoquer chez les parents une certaine appréhension d'emmener leurs enfants en salles (public qui n'est d'ailleurs pas le premier visé par cette production). Pour un produit qui assume à ce point une réelle évolution, on ne peut que garder un goût amer en pensant au glorieux titre qui lui est attribué ("le Disney maudit"). Alors bien sûr, il n'est pas dénué de quelques scories formelles et aurait pu être encore plus cruel, mais tout cela fait tellement pâle figure face au reste du métrage que l'on peut aisément les oublier le temps de la projection, tellement l'on se sent captivé, suivant avec un bonheur non dissimulé les pérégrinations de nos quatre personnages principaux.

Bref ce Taram est un divertissement vraiment recommandable, un spectacle enthousiasment au possible, n'usurpant en rien le titre de "Grand Classique" qui trônait fièrement sur les anciennes VHS. Vous l'aurez compris, son atmosphère ténèbreuse en fait œuvre incontournable, sublime même par moments : un quasi-chef d'œuvre qui n'attend qu'une seconde chance pour vous séduire.

Johann Gourlet



Fiche technique

- Origine : Etats-Unis - Couleurs - 1 h 17 mn.
- Date de sortie France : 27 novembre 1985.
- Production : Walt Disney Pictures.
- Réalisateur : Ted BERMAN et Richard RICH.
- Scénario : Vance GERRY, Joe HALE, David JONAS, Roy MORITA, Ted BERMAN, Richard RICH et Al WILSON.
- Doublage VO : Grant BARDSLEY, Susan SHERIDAN, Freddie JONES, Nigel HAWTHORNE, John BYNER, John HUSTON...
- Musique : Elmer BERNSTEIN.
- Box-Office France : 3.074.481 entrées.
- Sortie DVD : 2 juin 2004.
- Lien Internet : www.disney.fr/DisneyVideos

 

"L'atmosphère ténèbreuse de Taram en fait œuvre incontournable, sublime même par moments"