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There Will Be Blood



Paul Thomas ANDERSON est sans conteste possible l’un des cinéastes les plus doués de sa génération, et un auteur avec qui il va falloir compter dans les années à venir.

There Will Be Blood, nouveau forfait du réalisateur, narre l’ascension et la réussite insolente de Daniel Plainview, qui au début du siècle dernier fit fortune dans le forage de puits de pétrole (un scénario librement adapté de l’ouvrage Oil ! d’Upton SINCLAIR). Un homme prêt à tout pour réussir, écrasant sans remords toute tentative de concurrence… Soyons clair, cette fresque de 2 h 40 est une pépite aussi noire et précieuse que l’or au cœur de l’intrigue du film. Le protagoniste, interprété par un impressionnant Daniel DAY-LEWIS fraîchement oscarisé, possède une envergure propre-ment cinématographique, pour le côté bigger than life. Démoniaque, torturé, foncièrement égocentrique, Plainview est un homme sans foi -un thème-clef du film- ni loi, n’obéissant qu’à sa propre morale. Toute l’œuvre questionne d’ailleurs cette question de la moralité, de savoir ce qui est moral et ce qui ne l’est pas, sondant les tréfonds de l’âme humaine. Une thématique déjà prégnante dans la filmographie d’ANDERSON, que ce soit dans le biopic Boogie Nights (la carrière moralement contestable d’un acteur particulièrement bien gâté par la Nature, dans l’industrie du porno) ou dans le film-chorale Magnolia (portraits croisés de quidams à des tournants de leurs vies, confrontés à des choix d’ordre moraux).

L’implacable Plainview ne voit jamais ses croyances vaciller même lorsqu’il croise la route d’Eli Sunday, un jeune pasteur répandant les dangereux préceptes de l’Eglise de la troisième révélation parmi une communauté toute acquise aux convictions de l’homme de foi. Le film joue sur la dichotomie entre l’industriel au cœur froid, et l’évangéliste débordant de chaleur humaine. Seul point commun entre les deux hommes : une assurance et une foi inébranlable en leurs certitudes. Mais la verticalité de leurs édifices respectifs s’oppose : le derrick pétrolifère s’enfonce au plus profond d’une terre par définition opaque et impénétrable, là où l’Eglise, fièrement dressée vers le ciel, adopte le parti-pris de la transparence.

Il y a de toute évidence dans ce long métrage un parallèle à faire avec l’œuvre de John FORD, pour cette fascination mêlée de rejet pour tout ce qui a trait au domaine religieux, et notamment de la bigoterie ou du charlatanisme à peu de frais. Plainview n’a ni fils (sinon tout juste adoptif et traité de « bâtard » dans une séquence poignante), ni Père (comprendre « Dieu », quelle que soit la forme qu’il revêt). A l’image précisément de la surdité accidentelle de son fils adoptif, Plainview reste sourd au brouhaha de la société et aux mises en garde multiples et variées de ses congénères, n’écoutant que sa morale toute personnelle. C’est un homme profondément solitaire et misanthrope, ce que la longue séquence muette d'introduction illustre à merveille. Faisant parfois preuve d’une compassion passagère souvent trahie, justifiant en partie sa misanthropie (tel cet étrange frère surgi de nulle part), Plainview semble finalement creuser le sol pour s’y réfugier et se retrouver seul face à lui-même, décuplant cupidité et avidité. Tel l’ascension puis la déchéance de Tony Montana dans le Scarface de Brian DE PALMA, Plainview, en faisant corps avec la terre, explore les entrailles de la nature humaine, tout à la fois responsable de sa réussite et de sa déchéance : un self made man et un self destroy man. Clairement, il fait sienne la formule de SARTRE pour qui « l’enfer, c’est les autres ». Et l’Enfer n’est guère compatible avec la Bible…

Enfin, honneur suprême, There Will Be Blood rappelle par bien des aspects le cinéma de KUBRICK, par sa sobriété, son austérité, l’aspect millimétré de chaque séquence. L’économie de dialogues du début du film, l’aridité de la mise en scène, la violence latente, le pessimisme du propos, la fin abrupte refusant une signification simple et réductrice, tout concourt à comparer le nouveau long métrage de P.T. ANDERSON à l’œuvre toute entière de son glorieux prédécesseur. Etant entendu que le jeune prodige n’est guère un usurpateur, mais bel et bien un génie en herbe. L’air du générique final, signé BRAHMS, se montre inspiré et puissant, rappelant là aussi un trait propre à KUBRICK (le recours à un air de musique classique célèbre pour renforcer le propos). Aussi puissant reste ce pétrole qui jaillit de terre, à l’image du torrent de haine qui jaillit tel un venin du cœur de Plainview, à l’âme désespérément aussi noire que l’or en question.

Gersende Bollut



Fiche technique


- Origine : Etats-Unis - Couleurs - 2 h 38 mn.
- Date de sortie France : 27 février 2008.
- Production : Paul Thomas ANDERSON, Daniel LUPI et Joanne SELLAR.
- Réalisateur et scénariste : Paul Thomas ANDERSON.
- Casting : Daniel DAY-LEWIS (Daniel Plainview), Paul DANO (Eli Sunday / Paul Sunday), Dillon FREASIER (H.W. Plainview), Russell HARVARD (H.W. adulte), Ciaran HINDS (Fletcher Hamilton)…
- Sortie DVD : indéterminée.
- Lien Internet : http://paramountvantage.com/blood

 

"Cette fresque de 2 h 40 est une pépite aussi noire et précieuse que l'or au cœur de l'intrigue du film"