Sommaire

L'essence de l'Animation


Le soleil se lève sur la majestueuse savane africaine. Quelques jeunes motards jouent les caïds dans les rues d'un Tokyo post-apocalyptique. Dans une chambre d'enfant, des jouets prennent vie et règlent l'ordre du jour lors de leur réunion quotidienne. Plus loin, un hérisson apeuré se perd dans le brouillard, un squelette décharné joue les Père Noël trublion, et une bande de sales gosses conseillent à leur professeur d'aller "se faire mettre" (sic).

Toutes ces saynètes, le passionné d'animation les a déjà vus un jour ou l'autre, ou ne saurait ignorer leur existence (ne serait-ce que par ouïe dire). Le Roi Lion, Akira, Toy Story, le Hérisson dans le Brouillard, l'Etrange Noël de M. Jack ou South Park ne sont pourtant qu'un infime échantillon de la formidable diversité créatrice du cinéma d'animation...

Genre tout à fait distinct dans le domaine de l'art cinématographique, pour ne pas dire cinéma à part entière, l'Animation souffre pourtant d'une trop grande méconnaissance auprès du grand public, souvent prompt à le réserver aux bambins, quand il ne le bannit pas purement et simplement. Au milieu de cette ignorance patente, la question de déterminer le potentiel artistique de l'animation relève pourtant de l'incongru. Ou plutôt ne se pose pas dans ces termes.

La question qui nous intéresse ici est de tenter de déterminer ce qui fait la spécificité de l'art de l'animation. Quels sont les plus brillants artisans dans le domaine, équivalents d'un Orson WELLES ou d'un Ingmar BERGMAN, à mêmes aptes de capter l'essence de l'âme humaine ? Au travers de ce dossier-fleuve qui fait la part belle aux interventions de lecteurs internautes passionnés comme vous et moi, Frames tenait donc à revenir à la source-même d'un engouement commun pour un domaine unique en son genre, en tentant d'en expliquer les tenants et aboutissants.


DES PASSIONNÉS PRENNENT LA PAROLE !

Un sondage a été soumis début septembre 2003 sur différents forums du Net. Ce petit questionnaire contenait trois questions aussi concises que précises. D'une part, d'où vous est venue votre passion pour le monde de l'Animation ? D'autre part, comment définiriez-vous l'Essence de l'animation ? Et enfin, quel est votre film-culte dans le domaine ? (avec un certain nombre de restrictions concernant cette dernière interrogation, à savoir qu'étaient exclus les OAV, séries télé et autres courts-métrages)...

Les réponses ne se sont pas faites attendre, aussi longues qu'intéressantes, et grosso modo, pour les japanophiles acharnés comme les disneyphiles convaincus, une passion indéfectible pour une animation de qualité est notable. Avant d'entrer plus en avant dans le vif des réponses et de l'analyse de celles-ci qui s'impose, il convient donc de remercier ici chaleureusement tous les sympathiques internautes qui ont pris le temps de faire chauffer une partie de leurs neurones sur notre petit sondage. Un franc et grand Merci à vous, donc.


AU DÉBUT ÉTAIT LE COMMENCEMENT

Forcément. Toute passion part d'un point de départ, parfois flou pour les passionnés les plus âgés d'entre nous, mais il est clair qu'elle n'apparaît pas comme par enchantement, ex nihilo. Un film vu étant jeune, une image furtive aperçue sur un écran... et c'est parfois un électrochoc, souvent un déclic, toujours un je-ne-sais-quoi de curiosité, une invitation à pousser la porte vers tout un nouvel univers, qu'avec l'expérience personnelle on apprendra à défricher. Concrètement, des exemples viennent étayer cette source de satisfaction extrême (une série télévisée, un long métrage vu en salles...), et les internautes interrogés dans le cadre du sondage viennent à point nommé pour illustrer cet état de fait. Trois sources principales ayant été décelées, nous avons regroupé les expériences personnelles par thèmes pour davantage de clarté.

- LA TÉLÉVISION

En premier lieu il y a bien sûr la fameuse génération Gloubiboulga, nourrie au sein des séries télévisées (d'origine nippone principalement). Une frange de spectateurs qui constituent les adulescents -ces adultes qui n'ont pas tout à fait grandi, ou du moins ne renient pas leur enfance. Témoignages.

- "J'ai découvert la japanime par le biais des rediff' de Dragon Ball Z, City Hunter, etc. du Club Dorothée quand j'avais quatre ans. Et puis comme beaucoup de gosses j'ai découvert les Disney. Mais cet intérêt pour l'animation n'existait pas pour moi à l'époque : après tout, quand on a 4-5 ans, tout ce qu'on demande d'un DA c'est qu'il nous divertisse. Depuis tout petit, et encore plus maintenant -j'ai découvert leur véritable richesse- je suis fan des Simpson du père GROENING (...). Après il y a bien sûr les Wallace et Gromit de Nick PARK, dont j'ai toujours adoré l'humour. Maintenant je pense que j'ai vraiment découvert qu'un film d'animation pouvait être totalement splendide en revoyant en salles il y a trois ans, dans un petit cinéma d'art et d'essai à Amiens, un film de Don BLUTH qui m'avait marqué étant petit, et que j'avais vu bon nombre de fois : Brisby.
Mais il a fallu attendre un certain temps (deux ans pour être précis) pour que ma passion pour l'animation se déclenche avec Le Voyage de Chihiro. Ce film m'a totalement hypnotisé et enchanté. D'ailleurs la vision de ce bijou s'est faite à quelques mois d'intervalle de ma découverte du site de Gersende et Pierre, et j'imagine que ça va paraître bête, mais c'est en voyant le sommaire de l'époque de Frames, que je me suis rendu compte à quel point l'animation pouvait être riche
(...). A partir de là, j'ai commencé à m'intéresser à ce domaine sérieusement. Et j'en ai découvert des perles, depuis !" (Johann)

- "C'est vrai que c'est loin d'être simple comme question ! Comme beaucoup de notre génération Gloubiboulga je suppose que ça vient du visionnage répété et immodéré de dessins animés de tous horizons, notamment la vague franco-japonaise (Ulysse 31, Albator, Les Cités d'Or...). Mais ce qui m'a vraiment fait prendre conscience que je pourrai faire de l'animation c'est l'émergence de la 3D ! Je ne sais pas pourquoi exactement, mais c'est surtout les films en 3D qui m'ont poussé dans cette voie ! Peut-être j'imaginais que c'était plus facile de faire des persos en 3D plutôt que d'avoir à les dessiner ! Et voilà, une fois embarqué dans ce vortex, impossible d'en sortir ! Maintenant je sais que je ferai probablement de l'anim' jusqu'à mon dernier souffle !" (Roberto Chicachico)

Goldorak, les Mystérieuses Cités d'Or et Albator
Trois séries-cultes de la petite lucarne...

- "Dans mon enfance et mon adolescence, je regardais quotidiennement les dessins animés sur TF1, Antenne 2 et FR3, puis Canal +. Mais ma passion a réellement débuté depuis que je ne peux plus pratiquer de sport, à cause d'une pubalgie persistante en 2000. Depuis, je m'informe régulièrement via les sites sur Internet et les magazines. J'entretiens la découverte et la redécouverte d'animes grâce à la télévision et la vidéo. Ma préférence va à l'animation japonaise, très prospère, mais je suis ouvert à toute autre style d'animation" (BenBecker)

- "Je n'ai pas de passion pour l'animation à proprement parler. Mais ça m'intéresse et me distrait. Comme la plupart des gens, une partie de ma filmographie est composée de films d'animation, mais une partie minoritaire. J'ai tout de même passé mes quinze premières années à regarder des dessins animés à la télévision et certains sont aussi forts que des souvenirs d'enfance !" (Elfiriond)

- "Question toute simple !?... C'est la question qui m'interrogationne le plus, c'est comme demander pourquoi on respire... mais bon, en ce qui me concerne, on va dire que j'ai grandi en regardant peut-être trop de dessins animés et que les Chapi Chapo, Goldorak, Thunderbirds et Disney m'ont vu grandir... et que ayant eu la chance de tomber sur des boîtes qui ont bien voulu me payer pour faire des anims... bah je n'avais pas de raison de faire un boulot 'chiant'... ah si tiens ! un déclic, pas en ce qui concerne l'animation en elle-même, mais en ce qui concerne la synthèse, c'est une revue que j'avais eu étant plus jeune dans laquelle on decouvrait des images de Tin Toy (Pixar), c'était en 88-89 je crois..." (Yagan)


-
LE CINÉMA

Autre facteur à l'origine de cette passion pour certains d'entre vous : la découverte du formidable potentiel de l'animation par l'expérience cinématographique.

- "Ayant été privé de télé pendant mon enfance, mes premiers émois animationistes prirent la forme des sacro-saintes séances de projections 8 mm at home d'extraits du Livre de la Jungle et autres petits dessins animés de Walt. Merci Tonton. Le déclic du dessin, toujours à gribouiller dans mes cahiers et puis à 15-16 ans la découverte de la 3D et mes premières animations de vaisseaux spatiaux et autres robots texturés façon "maison américaine...". Bien sûr la claque Toy Story. Et puis la découverte d'alternatives superbes, celle de PLYMPTON dans un vieux CD-Rom de magazine, puis deux animations sur pelloche gràçe à Cellofan'. Flash aussi...: l'animation mis à la portée des caniches. Touche-à-tout, je me dois de toucher à l'anim' " (krocui)

- "Quand j'étais petit, je n'étais pas un Jedi mais ma mère était infirmière et travaillait donc souvent les week-end. Du coup, pour passer les longs après-midi de grisaille le dimanche, mon père nous emmenait au cinéma, moi et mon frère. Mes tous premiers films ont donc été des dessins animés. Il y avait un Tintin puis Le Baron de Munchausen. Des trucs qui marquent. Puis il y a eu un deuxième choc, quelques années plus tard : Akira. J'avais à peine dix ans quand il est sorti en France, ils en avaient parlé dans Player One et j'avais donc convaincu mon père de nous y emmener. Alors bien sûr, je n'ai rien (mais alors rien) compris à l'affaire et pourtant, sorti de la salle, j'étais persuadé d'avoir vu un truc énorme, que je ne pouvais pas encore m'expliquer. Je pense que ce n'est pas totalement un hasard si je me suis autant intéressé aux mangas une fois adolescent" (camite)

Akira

- "Aussi loin que je puisse me souvenir, j'ai toujours été fasciné par l'animation stop-motion et D.A. Mes premiers souvenirs d'animation, c'est Chapi Chapo ! Je devais avoir 3 ans, et je trouvais ça dément. J'y comprenais rien, mais je les adorait. Ensuite, tous les dessins animés de mon enfance avec une ENORME préférence pour les Cités D'Or et Albator (...). Quelques années plus tard, nouvelles paires de claques : Le Roi et L'Oiseau, DBZ, Wallace & Gromit, l'Etrange Noel de Mr. Jack, Yellow Submarine, Akira, Mononoké, etc. J'ai aussi suivi l'évolution des jeux vidéo, et j'adore certains jeux encore aujourd'hui pour leur beauté : Myst, Riven, Blade Runner, Nomad Soul, Unreal, Zelda... J'adore tout ce qui touche de près ou de loin à l'imaginaire, dans tous les domaines" (LowweeK)


-
LE DESSIN

Enfin, il y a les privilégiés. Ceux pour qui l'apprentissage par soi-même du dessin a pu les amener à persévérer dans ce domaine en faisant évoluer leur propre univers. Ou comment des gribouillis d'enfant peuvent pousser vers une pratique professionnelle... Et comme vous allez pouvoir en juger, ils sont plus nombreux qu'on ne peut le penser !

- "J'ai tout d'abord aimé le dessin, tout petit. Puis, émerveillé année après année par le dessin animé, il m'a paru très vite clair qu'il fallait que je fasse ce métier. Je me souviens entre autres de l'excellente émission l'Œil du Cyclone sur Canal +, qui m'a fait découvrir des bijoux d'animation, et qui a cultivé ce désir" (zoo-prod)

- "Haaaaa, personnellement je suis illustrateur à la base, le dessin animé a été -avouons-le- une réponse rapide et efficace à 'quoi faire après le bac' (quand on est conscient que 'dessinateur de BD' n'est pas un vrai métier sur ce continent -snif). Ajoutez à ça mon côté 'j'ai 5 ans et je pique le camescope de papa pour filmer mes legos et j'organise des avant-premières dans le salon', ça ne pouvait que fonctionner. Il y a juste eu un détail qui m'a toujours persuadé que je m'éclaterai toujours plus sur péloche c'est la frustration de ne pas avoir de son sur ma planche de BD... ça, ça m'a collé de vrais ulcères pendant des années... encore le mouvement, ça va, on peut dire qu'on codifie assez facilement le temps en BD, par contre la musique, les voix, les bruitages ! mon dieu ! C'était ça ou inscrire en bas de chaque page : 'à lire en écoutant PJ Harvey'. Je me suis dit, mais nan, fais plutôt du nin-nin nanimé !" (Kalkair)

- "Autant que je me souvienne, j'ai toujours dessiné. Au collège, on me foutais des heures de colle parce que je dessinais tout le temps, et maintenant, je me colle des heures supp' pour finir mes dessins à temps ('c'est pas comme ça que vous allez réussir Mr. Guy Degraine !'). En fait, génération Gloubiboulga oblige, ce qui m'a donné envie de faire de l'animation, c'est le fait d'avoir trop regardé les dessins animés le matin devant mon bol de crousti, et puis c'est l'entourage aussi... Qui n'a jamais étant jeune passé des nuits blanches à faire une caricature de ses potes, juste pour faire marrer ses copains le lendemain en sortant le dessin à l'intercours ?! C'est bête mais c'est a force d'entendre "wwwaa, tu dessines trop bien !", "hé, tu peux dessiner un Chevalier du Zodiaque ?" etc. ... que ça commence à devenir une passion. Tu t'en rends pas forcément compte au début, parce que le facteur 'scolarité basic' te pousse franchement pas à t'orienter dans ce domaine. Et puis avec le temps et un peu de maturité, tu te retrouves devant deux chemins différents. L'un va vers le dessin, l'autre va vers là où on verra bien. Ensuite, c'est comme pour n'importe quel métier, c'est à force de rencontrer les bonnes personnes, d'aquérir des conaissances dans le domaine, que tu commences à étayer ton style et à forger ta passion. C'est comme un plombier, il croit en ce qu'il fait et le fait bien parce qu'on lui a appris que mettre un joint sur un robinet, c'est mieux pour éviter les fuites. Le tout c'est de croire en sa passion" (MAT)

- "Pour moi c'est impossible de donner un âge, ma mère à toujours dessiné et a vite taffé dans le monde de l'animation, donc depuis que je suis née j'ai été 'naturellement' bercé par ce domaine. De toutes façons j'ai jamais eu besoin de me poser la question. Et puis plus tard j'ai vécu avec mon beau-père qui est réalisateur dans ce domaine : ça m'a permis de m'intéresser et surtout de découvrir l'aspect 'professionnel' de l'animation et toutes les difficultés qui en découlent... Sinon ça passe par le dessin, ensuite la mise en scène des GiJoe et BigJim, caméra Super 8, caméscope, photos, jeux vidéo... études de dessin, cinéma etc. etc. ... tellement de moyens d'entretenir cette passion !!" (Slim)

- "En ce qui me concerne ca s'est fait progressivement, disons que j'ai commencé par la bande dessinée. Un soir de Noël, au pied du sapin et parmi tant d'autres cadeaux je découvre trois bandes dessinées (toutes de Humblet : les Tourbières de la peur et Gotcha les deux tomes -et dont j'attends depuis 10 ans le troisième !). Trois jolies BD offertes par ma marraine (j'étais à cette époque en 6ème). Noël passe, je lis les BD, un pote -qui d'ailleurs suit toujours le même parcours que moi- les lit également. Voilà l'élément déclencheur ! Depuis cette période nous n'avons pas arrêté de dessiner, de la bande dessinée essentiellement et puis de l'illustration. Puis c'est mon fameux ami qui en partie m'a permis de mieux découvrir l'animation en ramenant chez lui deux VHS de Akira et Ghost in the Shell ! Nous entrons par la suite au lycée où nous cotoierons d'autres personnes fans de dessins animés et de mangas notamment... Ensuite tout s'est fait progressivement et je continue ma folle aventure toujours en compagnie de mon compagnon de route !!" (fabiuslegitimus)

- "Au collège j'avais une prof de dessin (ça ne s'appelait pas encore Arts Plastiques...) qui avait initié un atelier de dessin animé. Elle avait des accointances avec la direction jeunesse d'Antenne 2 de l'époque, ce qui nous permettait de récupérer des cellos des émissions FlipBook qui passaient à cette époque ('FlipBook qu'est-ce que c'est qu'ce look ? na na na'). Je me souviens que cette dame que je vénère (ça n'est pas pour rien que je suis devenu prof à mon tour) nous laissait bricoler au banc-titre dans un cagibi à côté de sa salle, on faisait de l'expérimental à la Terry GILLIAM sans même le savoir et des pixillations à ne plus savoir qu'en faire, un peu en écriture automatique, on démarrait sur une idée et hop, on grillait du Super 8. Grace à ça je suis allé tout gosse deux fois de suite à Annecy, en ayant participé au concours AnimA2. Imaginez le bonheur : une semaine dans une ville magnifique à se farcir des dessins animés de tous horizons qu'on n'avait jamais vu ailleurs ! Des expérimentaux abstraits, des dessins animés de propagande cubaine où les américains étaient les méchants, des trucs muets où la péloche grillait toutes les deux minutes... Le pays des fées n'aurait pas été plus enchanteur... J'en ai gardé une véritable passion pour tout ce qui touche à l'animation" (Cé)

Par souci de clarté nous n'avons pu retranscrire ici l'intégralité des interventions. Etant néanmoins toutes très intéressantes, vous pourrez les retrouverez in extenso sur notre forum. N'hésitez d'ailleurs pas à les compléter de vos témoignages !


LA SPÉCIFICITÉ DU DOMAINE

Nous voici au cœur du débat : maintenant que les diverses origines de notre passion sont connues, quelle force obscure la maintient constamment en vous ? Autrement dit, qu'est-ce qui fait la spécificité du genre animé ? Nous avons décortiqué vos réponses et il en ressort divers facteurs cruciaux.

Pour l'internaute killy-kun, qui s'arrête sur l'animation japonaise en particulier, "que j'apprécie plus que les autres, apporte à mon esprit occidental un divertissement et un changement de mentalité peut-être... un humour différent, mais que j'apprécie beaucoup. Ainsi, à mon point de vue l'essence de l'animation est ce fameux humour extrême-oriental. Les gens ont souvent besoin de se détacher de leur routine, et l'animation japonaise est donc certainement un bon moyen pour cette évasion..." L'évasion, le terme est lâché. Une fuite vers l'imaginaire que confirme l'internaute jipé, qui aime l'animation "pour cette manière qu'elle a, avec parfois peu de moyens humains et financiers, de détourner la réalité et nous emmener complètement ailleurs".

Selon l'échantillon d'internautes questionnés, l'autre atout majeur de l'Animation est sa faculté de narrer des histoires qu'il serait impossible de voir dans des fictions dites classiques (comprenez en prises de vues réelles). De cette façon, pour Salut, "dans l'animation on peut se permettre tout ce qu'on ne peut pas dans le live... On peut montrer, en image, des choses irréalisables, de l'abstrait, des couleurs et des décors completement fous... Le tout est aussi plus expressif (les SD...)". Même son de cloche pour Kuyon : "La force de l'animation selon moi, c'est qu'on a la possibilité de faire ce qu'on veut (les persos peuvent voler dans les airs avec un mega punch, ils ont des coupes de cheveux bizarres...), et le fait qu'on puisse visualiser de suite ce que veut montrer l'auteur". L'internaute Camite illustre cet argument par l'exemple, avec le Tombeau des Lucioles. "Je ne conçois pas une petite fille actrice jouer le rôle de Setsuko avec autant de justesse que sa 'version animée'". Et rebelote pour Johann : "L'animation peut représenter énormément de choses d'une manière poétique, qui ne le serait carrément pas en live, voire qui pourrait rendre le film mauvais. Je cite Pierre dans son article Pourquoi l'animation a déjà révolutionné le cinéma : 'En live, ces œuvres auraient été soit infaisables, soit affadies voire dénaturées'." Diantre, Frames, une référence ?! C'est trop d'honneur... ^^

le Tombeau des Lucioles

Laissons à présent la parole à Kalkair, animateur qui nous livre une intéressante réflexion de par sa position de partie prenante dans le domaine : "Je ne suis pas du genre à dire que l'anim' passe par dessus tout le reste et 'combine à merveille le cinéma, la musique et l'illustration' (...). Je me dis plutôt qu'un certain type d'histoires fonctionne mieux en mouvement, en couleur ou avec du son. Il y a beaucoup d'histoires que je ne pourais pas traiter en dessin animé, qui appelle à la BD ou même à la prise de vues réelles. J'ai du mal à marquer sur ma carte de visite que je fais du 'dessin animé', je préférerais vraiment pouvoir mettre simplement 'artiste' sans qu'on pense que je chie dans des pots en terre pour les exposer dans une morgue (ben oui, maintenant pour être 'artiste' faut se faire remarquer). Mais bref, je fais du hors sujet là... 'l'Essence' de l'animation ? Pour moi c'est cette impression de travailler chaque image comme une véritable illustration jusqu'à en oublier qu'elle fait partie d'une série de 6, 24 ou 62 dessins et de tout à coup appuyer sur PLAY et s'apercevoir que le reste nous a échappé, que, tellement plongé sur mes traits j'avais oublié qu'un jour ça bougerait... chaque fois je ne m'y attend pas, chaque fois c'est la surprise pour moi... Shazam ! Y'a de la vie dans le papier, moi je vous le dis !"

L'internaute Elfiriond modère également ce propos d'une animation supérieure au cinéma traditionnel : "L'animation, c'est pour moi le mélange du roman et du film live. J'ai presque l'impression de lire des histoires vivantes quand je regarde des films d'animation, car on peut imaginer au-delà du graphisme, l'image live qu'aurait produit un film live. Mais c'est en même temps bien plus que cela, la beauté des dessins des films d'animation m'émerveille car je ne sais pas du tout dessiner, et j'ai autant d'admiration pour un dessinateur que pour un musicien virtuose".

Nouvel argument qui opère la transition avec le témoignage ci-dessus : l'animation serait également un outil critique, le moyen d'aller "au-delà de la réalité". Comme en témoigne zoo-prod : "L'animation est l'un des outils narratifs les plus puissants, car cela permet de représenter la réalité, avec un recul et une interprétation totalement libre. Tout est permis dans le mouvement animé, et donc, toute expression est sublimée. On peut utiliser la caricature, propre au dessin, ou encore exprimer des idées très subtiles. L'animation est plus qu'une extension de la réalité, c'est un véritable outil critique. C'est, à mon avis sa force et son originalité".

Une force d'autant plus impressionnante que le genre animé revêt bien souvent un aspect universel. Selon Slim, "l'animation (que ce soit de toutes façons sur papier, photo, stop-motion, etc.) est un moyen d'expression extraordinaire que je rangerai dans la même catégorie que la musique, la littérature..., c'est universel et surtout spontané. Une fois qu'on y a goûté ou que l'on prend conscience du plaisir qu'elle procure, c'est presque comme une drogue... On se rend compte que l'on peut difficilement s'en passer (surtout quand on travaille dans l'animation, il y a tout de même une grande différence entre regarder et faire)".

Une drogue ? Notre ami Pierre (rédac chef et webmaster de ce site pour ceux qui l'ignorent) ne m'en voudra probablement pas de citer ici Saint Augustin : "Un homme qui se perd dans sa passion a moins perdu qu'un homme qui perd sa passion". Si l'on tente de creuser cette idée, l'animation mal employée peut-elle avoir d'autres effets pervers que cette dépendance évoquée ? L'internaute krocui nous livre son opinion fort pertinente à ce sujet : "L'animation est un peu un piège, je pense à son utilisation médiatique, quand elle est utilisée pour rendre célèbre un personnage de BD par exemple. C'est très souvent une catastrophe. L'anim' est fantastique car elle permet aux bricoleurs courageux de mettre en parallèle de nombreux savoirs : dessins, scénario, cinéma, musique, sons... Cependant, elle peut aussi bien souvent être ridicule, ennuyeuse quand elle est mal conçue, bancale sur un de ses piliers : l'animation requiert l'attention totale du spectateur pendant le temps de sa projection, et le voyeurisme propre au cinéma live n'ayant ici pas sa place, seul l'œuvre peut draguer".

Frédéric BACK, Norman McLAREN et Youri NORSTEIN
Trois cinéastes majeurs du cinéma d'animation

Allons plus loin et focalisons-nous sur l'animation pure, sans poursuivre de -parfois- vaines comparaisons avec d'autres formes d'expression. Puisqu'après tout nous nous interrogeons ici sur sa spécificité propre. Première réflexion qui en ressort : les frontières de l'imaginaire sont infinies, du moins se limitent à nos propres champs de divagations (ou plus concrètement jusqu'où les cerveaux alambiqués de nos cinéastes préférés veulent bien aller à fantasmer). Ainsi en témoignent les réflexions de Yagan : "Son aptitude à se renouveler peut-être, ses variantes, l'imagination de ses créateurs ? A sa diversité graphique et ses possibilités infinies...", ou de Roberto Chicachico : "Cette capacité à créer des mondes qui peuvent être un miroir alternatif de la vie ! Les possibilités infinies, la stylisation du mouvement et cette 'épuration' ou ce 'foisonnement' contrôlés... Et puis essayez de faire parler une vraie souris ou un frigo dans un film live !". Infini, le terme revient de manière récurrente. Sans bornes, sans limites, sans frontières. Juste celles de notre faculté à repousser toujours plus loin une certaine folie douce... D'ailleurs dans imagination, il y a magie. Et les animateurs en insufflent dans les productions animées, c'est bien connu.

Pour BenBecker cela ne fait en tous cas aucun doute : "C'est une magie des images ! Tout le travail à l'amont d'une production est à saluer ! Ces artistes ont un mérite et un talent certain pour nous émerveiller, éblouir et surprendre grâce à leurs dessins réalisés. Un anime permet de ressentir tellement d'émotions à travers différents thèmes (humour, romantisme, guerre...)". Même l'enthousiasme en moins, l'internaute MAT, lui-même actant dans ce milieu, se rallie à cette idée : "Bah la grande force de l'animation, c'est de cultiver l'imaginaire, de retranscrire des émotions. C'est comme le matin au réveil quand tu sors à ta copine 'j'ai rêvé d'un truc trop fort c'te nuit, mais j'pourrais pas te l'raconter'... Notre taff, c'est de raconter et véhiculer du rêve". Cette notion rejoint pour notre ami Tony (webmaster du site Planet Jeux) la principale différence avec le cinéma live : "D'une part, on retrouve dans un certain nombre de DA cette tendre naïveté que le cinéma, beaucoup plus abrupt à faire passer les émotions, ne possède pas. Ainsi, les DA m'apparaissent plus à même d'évoquer l'enfance... aux adultes ! A ce titre, la fillette du Tombeau des Lucioles m'a bouleversé par sa sincérité, son dénuement, ses paroles rares et précieuses. Son drame superbement mis en scène ne peut être qu'éprouvant pour le spectateur. De plus, les réalisateurs de films d'animation veillent davantage à l'épure de leurs scènes, lesquelles dépassant souvent de loin celles du 'cinéma traditionnel' riche en fioritures, trop bavard, gavé de scènes inutiles ou de personnages superflus".

Gandahar

L'animation serait si l'on croit les propos de Tony une forme de perfection, un genre cinématographique où le dépouillement scénaristique le plus maîtrisé se disputerait aux audaces formelles les plus extravagantes ? Autrement dit un art total ? Il semblerait bien par certains aspects, et d'ailleurs l'internaute Cé n'hésite pas à employer l'expression. Et son agacement amusé à la question un rien pompeuse Qu'est-ce que l'essence de l'animation ? est perceptible : "Pffff... pourquoi pas qu'est-ce que l'univers ? Ben le dessin animé s'approche de l'aarrrrrt TôotaaaaaL, c'est de la peinture dans le temps. Ce qui est extraordinaire c'est la diversité du média. Il y a les trucs formatés Disney et des trucs sans caméra à la Lenn LY absolument inimaginables. C'est toute la variété du cinéma avec la variété du dessin et de la couleur en plus. L'art total j'vous dis..."

D'autres intervenants nous confient leurs opinions dans ce même ordre d'idées. Fabiuslegitimus, qui nous livre une anecdote personnelle, reconnaît ainsi qu'il "pense simplement, comme un enfant qui est émerveillé de voir de simples dessins s'animer (en ce qui concerne l'anim' 2D). Et puis la liberté de pouvoir s'exprimer, un des seuls moyens relativement simple qui permet d'imaginer tout et n'importe quoi en le retranscrivant à la fois avec la forme, le mouvement et le son. Je me rappelle d'ailleurs d'un des premiers jours au lycée alors que je venais de me faire tirer les oreilles par un de mes profs, je m'étais amusé à le caricaturer en adaptant son visage à diverses grimaces, une succession de poses. Et sans trop m'en douter j'abordais déjà quelque part le principe de l'animation, car pour moi c'est ça le pouvoir de l'animation. On peut tout faire, on modèle les choses à notre guise, et on enchaîne tout ! C'est pas merveilleux ça ?". Et laissons le mot de la fin à LowweeK, 'simple fan' : "Disons que les possibilités oniriques me plaisent énormément". Il semble donc assuré que l'animation est un vecteur d'émotions incontestable.


ON VEUT DES NOMS !

Plus concrètement, nous nous sommes demandés quel film d'animation vous vénériez, celui que vous emporteriez sur une île déserte, à condition qu'il y ait une télé et un lecteur DVD (et une prise de courant reliée à un système d'électricité... oui bon ça va). En résumé, votre œuvre fétiche, un film d'une telle envergure qu'il convaincrait sans peine jusqu'au spectateur le plus imperméable aux productions animées... Voici les résultats !

1 - Le Voyage de Chihiro (4 votes)
2 - Akira (3)
[ex-aequo] Princesse Mononoké (3)
4 - le Roi et l'Oiseau (2)
[ex-aequo] le Tombeau des Lucioles (2)
6 - Ghost in the Shell (1)
[ex-aequo] Mon Voisin Totoro (1)
[ex-aequo] la Planète Sauvage (1)
[ex-aequo] Brisby et le Secret de Nimh (1)
[ex-aequo] Cowboy Bebop -Knocking On Heaven's Door (1)
[ex-aequo] Kamui (1)
[ex-aequo] l'Etrange Noël de M. Jack (1)

Chihiro plébiscitée : bah alors, fais pas cette tête !

Il est sans doute regrettable de constater qu'aucune œuvre de Paul DRIESSEN, Osamu TEZUKA ou Frédéric BACK n'apparaissent dans ce classement, toutefois il est fort représentatif de la tendance actuelle (découverte au cinéma de fleurons de la japanimation notamment) et nul doute que le grand public devrait s'y retrouver dans cette sélection haut-de-gamme !

Quoiqu'il en soit de nombreux autres titres ont été cités, pêle-mêle : Aladdin, Kuzco, Perfect Blue, Toy Story, Taram et le Chaudron Magique, les Vacances des Tiny Toons (sic), le Roman de Renard, Gandahar, Fievel, les Aventures de Tom Pouce, Rox & Rouky, les Triplettes de Belleville, les Mc LAREN et le Livre de la Jungle. Ouf ! Bref, une sélection somme toute hétéroclite qui confirme décidément la bonne santé de la japanimation, le penchant certain pour des productions francophones de qualité... et l'indémodable trust des longs métrages Disney. Absence notable cependant : le Roi Lion. Là j'avoue que ma sensibilité personnelle est heurtée, mais j'imagine que ce film est trop idôlatré pour être cité... et que sa place dans le top des meilleurs films d'animation était acquise sans besoin d'être sollicité. Bah quoi, je suis de mauvaise foi dites-vous ?...

Difficile de conclure un dossier aussi dense. Cette réflexion appellerait immanquablement d'autres témoignages pour étoffer l'argumentation, voire pourrait constituer un ouvrage à elle seule. Toujours est-il que nous espérons que ces quelques pistes auront titillé votre intellect, réveillé quelques idées complémentaires qui ne demandent qu'à être transmises (notre forum vous attend), et donné envie de creuser la réflexion par la lecture d'ouvrages spécialisés, hélas trop peu nombreux en la matière.

Un dossier supervisé par Gersende Bollut

"That's all, folks !"

Si vous souhaitez poursuivre cette réflexion, nous ne saurions que trop vous conseiller Il Etait une fois le dessin animé d'Olivier Cotte et Ces Dessins qui Bougent de René Laloux, tous deux aux éditions Dreamland, ainsi que l'ouvrage La Lettre Volante d'Hervé Joubert-Laurencin aux Presses de la Sorbonne nouvelle, brillant essai sur la façon d'aborder l'analyse d'un film d'animation.

Réponses recueillies entre le 14 septembre et le 27 octobre 2003, auprès d'un échantillon spontané de 21 passionnés. Le sondage a été soumis sur les forums de DVDAnime, Fous d'Anim, et celui de Frames bien évidemment.

 

"L'art n'est pas une idée, il est l'expression d'une idée. Au bout d'un moment, toutes les idées se ressemblent obligatoirement, mais c'est la façon dont elles sont exprimées, l'unicité du point de vue à travers lequel elles sont transmises qui les rend intéressantes, fraîches et excitantes"

George Lucas