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Le studio Ghibli



Vivier de talents qui est au Japon ce que Pixar ou Blue Sky Studios sont aux Etats-Unis, le Studio Ghibli [prononcer 'jibli'] a principalement acquis sa notoriété autour des films de Isao TAKAHATA (Le Tombeau des Lucioles, Mes Voisins les Yamada), et, surtout d'Hayao MIYAZAKI (Mon Voisin Totoro, Princesse Mononoké). En mai 1995, le Studio Ghibli célébrait ses dix ans d'existence. A cette occasion, Toshio SUZUKI, producteur de tous les films de Ghibli et aujourd'hui président du studio, se fendait d'un article afin de retracer la (déjà) très glorieuse carrière de sa compagnie, dont sont sortis des films entrés de façon indiscutable dans l'Histoire du cinéma d'animation. Coïncidant avec la récente décision de Buena Vista France -qui va enfin sortir en salles, puis en DVD, les films du studio restés inédits en France-, Frames vous propose cet article, signé par un journaliste hors du commun !

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10 ANS DE STUDIO GHIBLI
L'HISTOIRE DU STUDIO ET SA POSITION ACTUELLE


Ecrit par Toshio SUZUKI, Producteur au Studio Ghibli


Mesdames et messieurs, je ne sais pas si vous le savez, mais les Japonais sont timides. Donc, quand il s'agit de se présenter ou d'expliquer ce qu'ils ont accompli, ils se trouvent en grande difficulté. Je suis, bien sûr, de ce genre de personne. Je suis heureux d'avoir l'opportunité de vous parler des "10 ans du Studio GHIBLI". Je suis Toshio SUZUKI, un producteur du Studio et un ami proche de MIYAZAKI et de TAKAHATA depuis plus de 17 ans.


GHIBLI, C'EST PARTI !

Nausicaä de la Vallée du Vent a été un vrai succès au box-office, et autant une réussite au niveau de la réalisation qu'une œuvre de grande qualité. Ce succès a déclenché la création du Studio Ghibli en 1985 par Tokuma Shoten, la maison d'édition qui avait produit Nausicaä. La même année, le Studio a produit un long métrage appelé Laputa : Le Château dans le Ciel. Depuis, il s'est spécialisé dans la production de films d'animation pour le cinéma, sous la direction d'Hayao MIYAZAKI et Isao TAKAHATA.

Pour ceux qui ne seraient pas au courant, le mot "GHIBLI" veut dire "vent chaud soufflant dans le désert du Sahara", et était utilisé durant la Seconde Guerre Mondiale par les pilotes italiens définissant ainsi leurs avions de reconnaissance. C'est MIYAZAKI, fanatique d'aviation, qui sachant cela, décida de prendre ce mot pour nommer le Studio. Je me souviens, l'intention cachée derrière le nom du Studio était "Faisons souffler un vent fantastique sur le monde de l'animation japonaise !".

La présence de ce Studio est, je le crois, unique, non seulement dans l'industrie de l'animation japonaise, mais aussi du point de vue international, dans le fait qu'en principe il ne produit que des films d'animation pour le cinéma, tirés d'histoires originales. Parce que la production de films d'animation pour le cinéma comporte trop de risques puisqu'il n'y a pas de garantie de réussite au box-office, il est de coutume pour la plupart des studios d'animation de travailler principalement pour la télévision. Il en est ainsi au Japon, et beaucoup de studios d'animation reposent sur l'animation TV, ne produisant que de temps en temps des longs métrages, qui pour la plupart ne sont que des adaptations pour le cinéma de séries déjà populaires à la télévision. A ce propos, plus de 40 nouvelles séries animées sont produites chaque semaine pour la télévision Japonaise.

La façon dont Ghibli est dirigé aujourd'hui est évidemment différente de celle de son démarrage. Laissez-moi vous expliquer l'histoire de Ghibli en partant de ce qui a mené à sa création.

C'est il y a plus de 30 ans que TAKAHATA et MIYAZAKI, maintenant les deux membres dirigeants du Studio, se sont rencontrés. Toei-Doga, la maison de production à qui ils appartenaient tous les deux en ce temps-là, produisait uniquement des longs métrages. Alors qu'ils participaient à la production de films pour le cinéma à leurs débuts, ils furent pris dans le courant actuel et n'ont pas eu d'autre choix que de se mettre à faire de l'animation pour la télévision. Une de ces séries TV était Heidi (1974), animée par MIYAZAKI et dirigée par TAKAHATA. Heidi fut une réalisation remarquée dans le monde de l'animation TV. Beaucoup d'entre vous l'ont vue parce qu'elle a été diffusée et grandement appréciée en Europe.

Nausicaä

Tandis qu'ils créaient ces séries TV, ils réalisèrent qu'il leur était impossible de satisfaire leurs aspirations avec un média comme la télévision, où les budgets sont réduits et le temps limité. Ce à quoi ils aspiraient était une animation réaliste et de grande qualité, qui explore les profondeurs de l'esprit humain et qui illustre les joies et les peines de la vie telles qu'elles sont.

C'est cette motivation qui a menée à la création du Studio après la réalisation de Nausicaä de la Vallée du Vent. L'idée était de mettre toute l'énergie nécessaire pour chaque tâche, d'y consacrer l'argent et le temps suffisant, sans jamais faire de compromis sur la qualité ou le contenu. Chaque film devait être dirigé par MIYAZAKI et TAKAHATA. Les deux réalisateurs ont pris la direction du Studio, leurs décisions étant prioritaires. On peut dire que les dix ans du Studio Ghibli se résument à la tâche difficile de maintenir cette attitude, tout en réussissant commercialement et en dirigeant de manière efficace le Studio. Cela a été possible grâce au soutien d'une équipe d'acharnés et de la créativité exceptionnelle des deux réalisateurs.

Pour être honnête, aucun de nous ne pensaient que le Studio Ghibli survivrait aussi longtemps. "Faire un film. S'il marche, en faire un autre. S'il se plante, on arrête". C'est comme ça qu'on a commencé. C'est ainsi que, pour réduire le risque à son minimum, personne n'était employé à long terme. Environ 70 personnes étaient engagées de manière temporaire pour faire un film, et quand celui-ci se terminait l'équipe était dissoute. Le siège du Studio était simplement loué dans un building de Kichijoji (dans la banlieue de Tokyô) et ne prenait qu'un étage. Tous ces principes furent imposés par TAKAHATA. C'est lui qui a produit Nausicaä de la Vallée du Vent, et son talent de directeur commercial a contribué énormément à la mise en place de ce nouveau Studio. Laputa : Le Château dans le Ciel, le film suivant, a été aussi produit par TAKAHATA et dirigé par MIYAZAKI. Nausicaä, réalisé en 1984, a réuni 915.000 spectateurs au cinéma et Laputa, réalisé en 1986, en a rammené 775.000. Tout deux ont été acclamés. Je crois que la plupart d'entre vous ont vu ces films. Je saisis cette opportunité pour vous remercier une fois encore.


AU CENTRE DE L'ATTENTION DANS L'INDUSTRIE DU CINEMA JAPONAIS

Les 2 films suivants que le Studio Ghibli a produit ont été Mon Voisin Totoro et Le Tombeau des Lucioles. Les réalisateurs étaient MIYAZAKI pour Totoro et TAKAHATA pour le Tombeau des Lucioles. La même date de sortie en salles de deux œuvres réalisées par les réalisateurs les plus talentueux du moment fut un sacré événement ; ce fut le premier de ce genre, et le dernier. Le processus de fabrication de ces films a été un chaos total. Le Studio fabriquait deux longs métrages en même temps et la qualité de chacun devait être respectée. Cela semblait presque impossible mais nous n'avions pas le droit à l'erreur. Nous savions que si nous n'allions pas de l'avant maintenant, nous n'aurions jamais une deuxième chance pour les réaliser tous les deux. Après avoir pris cette décision, nous sommes allés au devant d'un projet presque impossible. Produire de bons films est ce pourquoi le Studio existe. La gestion et l'expansion de la compagnie viennent en second. C'est probablement ce qui distingue le Studio Ghibli des autres studios et, sans cette politique, la production de ces deux films n'aurait pas été possible.

A propos de l'histoire de Ghibli, il est une personne qu'il ne faut pas omettre de mentionner, Yasuyoshi TOKUMA, le président de Ghibli. Il est aussi le président de Tokuma Shoten Publishing Company et, en dehors de l'édition, il est très impliqué dans le développement d'autres activités. Ainsi, il détient le studio des films Daiei, célèbre grâce aux films réalisés par Kenji MIZOGUCHI.

TOKUMA ne se rend que très rarement au Studio. La raison étant qu'il préfère nous laisser tranquille, qu'il nous laisse le pouvoir de décision. Mais quand vient un problème, il n'hésite pas à s'exposer au premier plan. C'est lui qui a décidé de faire de Nausicaä, le manga de MIYAZAKI, un film pour le cinéma. C'est lui qui a fondé le Studio Ghibli. Ce n'était pas facile de monter Totoro et le Tombeau des Lucioles parce que ces deux films sont relativement calmes, si on les compare aux deux précédents. C'est à ce moment que TOKUMA est intervenu, il est allé lui-même voir les distributeurs faire l'éloge des deux films, et passer un accord avec eux pour que la sortie des deux longs métrages soit possible. S'il n'avait pas fait tous ces efforts, le Studio Ghibli n'existerait pas aujourd'hui.

En terme de performance au box-office, Totoro et le Tombeau des Lucioles n'ont pas aussi bien marché que prévu. Cela s'explique par la sortie retardée des deux films, qui devait se faire pendant l'été, quand un grand nombre de Japonais vont au cinéma. Ils ont cependant été acclamé de toutes parts pour leur exceptionnelle qualité. Cette année-là, Totoro a remporté la plupart des prix cinématographiques au Japon, comme celui de la meilleure photographie. Le Tombeau des Lucioles quant à lui a été encensé comme une véritable œuvre littéraire. Avec ces deux films, le Studio Ghibli a été très largement reconnu dans l'industrie du cinéma Japonais.

Totoro nous a rapporté de l'argent d'une façon inattendue ; les peluches Totoro ont eu un énorme succès. Je dis bien "de façon inattendue" parce que les peluches ont été mises sur le marché près de deux ans après la sortie du film, et qu'elles n'ont pas été créées dans un but promotionnel. En fait ce qui c'est passé, c'est qu'un fabriquant de peluches a senti que Totoro était un personnage qui méritait d'être fait en peluche, et il a insisté pour avoir la permission du Studio. L'un dans l'autre, grâce à la vente des produits dérivés de Totoro, il est maintenant possible pour Ghibli de couvrir tous les déficits dans les coûts de production. Totoro a même été adopté comme logo du Studio. On travaille actuellement à l'élaboration d'un département spécialisé dans la vente de produits dérivés des personnages du Studio. Inutile de dire que cela ne change en rien la politique de Ghibli, qui consiste a faire passer la production de films au premier plan, et que le merchandising n'en est que le résultat. Nous n'avons et ne modifierons jamais une partie d'un film pour des questions de merchandising.


LE DEBUT DE LA SECONDE PERIODE

Reprenons l'historique de Ghibli. Le premier film qui a explosé au box-office fut Kiki's Delivery Service, réalisé par MIYAZAKI, et sorti en 1989. Environ 2,64 millions de spectateurs se sont déplacés, et le film est devenu le plus grand succès japonais de l'année. Ce film a dépassé tous les films du Studio sortis jusque-là, tant en matière de réussite au box-office qu'en matière de revenus. Derrière tout ce succès, inévitablement, il y avait une importante responsabilité : que faire avec l'entreprise Ghibli et comment la faire fonctionner ? En particulier, les conditions de travail, le recrutement et le développement de l'équipe... Dans l'industrie de l'animation japonaise il est commun d'être payé en fonction du nombre de dessins ou de peintures exécutés.

C'est de cette façon que Ghibli payait son équipe. Cela eut pour résultat que l'équipe qui travaillait sur Kiki était sous-payée, ne touchant que la moitié d'un salaire moyen au Japon. MIYAZAKI a fait deux suggestions : 1/ introduire l'engagement à plein temps et un système de salaire fixe, ce qui a eu pour conséquence de doubler le salaire de l'équipe ; 2/ recruter régulièrement de nouveaux membres et encourager la formation. En dépit de l'expansion de Ghibli, l'industrie de l'animation japonaise se portait de plus en plus mal. Pour faire un film de qualité dans ces conditions, MIYAZAKI jugea qu'il était important de maintenir un état major, d'établir une organisation solide, d'appliquer l'engagement à plein temps et de mettre en place un système de formation et de développement de l'équipe. C'était un virage important dans notre politique de gestion et ce fut, pour ainsi dire, le début de la seconde période de Ghibli. Là encore, TOKUMA, notre président, était présent pour nous soutenir.

The Ocean Waves

Laissez-moi me présenter un peu. C'est à ce moment que j'ai rejoint Ghibli. Jusque-là je travaillais comme rédacteur en chef dans un magazine d'animation appelé Animage et publié par Tokuma Shoten Publishing Company. Je travaillais sur Animage depuis sa première parution en 1978, et quand TOKUMA a démarré la production de Nausicaä en 1983, j'ai été évidemment impliqué dans Ghibli. En japonais c'est ce que l'on appellerait "avoir une chaussure pour deux jambes", c'est à dire faire deux métiers en même temps. Cette période était très agitée mais très agréable. Et quand la nouvelle politique de gestion du Studio entra en vigueur, ma vie changea du tout au tout. Ghibli et moi-même étions arrivés à un point de non-retour.

Après Kiki's Delivery Service, Ghibli commença la production de Only Yesterday, sous la direction de TAKAHATA. Et tandis que ce travail s'effectuait, en novembre 1990 l'application du plein temps était réalisée, le programme de formation à l'animation débutait et le recrutement annuel était mis en place. Only Yesterday, sorti en 1991, fut un nouveau succès au box-office en dépit des questions de gestion de l'équipe. Et comme Kiki, ce film est resté numéro un au box-office pour cette année. Mais ce qui nous satisfaisait le plus était la réalisation des deux priorités de MIYAZAKI : doubler le salaire et recruter régulièrement. Cependant, en réalisant ces deux objectifs, un problème a fait son apparition : l'augmentation massive des coûts de production. C'était quelque chose que nous avions anticipé. Nous étions conscient que dans l'animation 80 % des coûts de production proviennent de la main d'œuvre, et qu'évidemment si nous doublions les salaires, nous doublions ces mêmes coûts.

La nouvelle politique de Ghibli nous a obligé à faire des efforts dans le domaine de la promotion et, de cette façon, augmenter les recettes en salle. Si l'augmentation des coûts de productions est inévitable, alors, le seul choix qui reste est de planifier consciemment et stratégiquement l'augmentation des performances du film au box-office. Ce n'est pas que nous n'y avions jamais pensé avant Only Yesterday, mais c'est avec ce film que nous avons sérieusement commencé à travailler la promotion. C'était le temps où Toru HARA, le directeur général de Ghibli à l'époque, décrivait le Studio comme ayant les trois G, c'est à dire : Grandes dépenses, Grands risques et Grandes retombées. Je pense que ce qu'il voulait dire c'est que pour produire un travail de qualité, les coûts de production sont élevés ; et même si cela entraîne un grand risque, ou des inquiétudes, les bénéfices et les retombées n'en seront que plus grands. Quatre ans ont passé et cette maxime est encore d'actualité. Mais si les retombées étaient grandes, nous n'étions pas plus riches puisque tout l'argent était immédiatement investi dans la production suivante. Employer du personnel à plein temps revient à sortir des trésoreries des salaires mensuels. Ghibli a décidé de créer une situation telle que le Studio travaillerait constamment sur une production. Ghibli a ainsi démarré Porco Rosso avant même d'avoir fini Only Yesterday. C'est la première fois que Ghibli faisait face à un tel chevauchement de productions.

Only Yesterday était dans sa phase finale, et c'est évidemment la plus active. Dans ces conditions, où toute aide était la bienvenue, comment monter une équipe pour commencer un nouveau film ? Il n'y avait, bien sûr, aucun surplus de main d'œuvre. Le résultat fut que MIYAZAKI a du travailler seul au début de Porco Rosso. Cela lui déplaisait, bien évidemment. "Quoi ? Vous voulez dire que je dois être producteur, réalisateur et assistant à la fois ?", se plaignait-il. On ne pouvait que lui répondre par l'affirmative.


LA CONSTRUCTION DU NOUVEAU STUDIO

Peut être était-ce une façon pour lui d'échapper au stress de sa situation ; c'est ainsi que MIYAZAKI fit une proposition incongrue : "Construisons un nouveau Studio !". C'était typique de MIYAZAKI : quand il fait face à un problème, il essaie de le résoudre et débouche sur un problème encore plus grand ! Cependant, les raisons qu'il avançait étaient convaincantes. Si nous voulions attirer les gens les plus qualifiés, un local loué n'est guère impressionnant. Un espace de grande taille et bien étudié est nécessaire pour le bien-être et l'expansion d'une entreprise. L'espace qu'occupait le Studio était déjà utilisé à son maximum ; soit 90 personnes environ, pour 300 mètres carrés de surface. Mais Ghibli n'avait pas l'argent pour construire un nouveau Studio. HARA, qui était homme de bon sens, s'opposait à cette idée. Quant à moi, même si je savais que cette idée était ridicule, je l'envisageais de façon plutôt optimiste et pensais : "Voyons ce que ça donne". TOKUMA, notre président, était totalement pour, et m'envoya même un mot d'encouragement qui disait : "SUZUKI, il y a tout l'argent nécessaire à la banque. Il y a un temps où un homme doit prendre de grandes responsabilités". Je me souviens avoir eu une sorte de bouffée d'émotions assez étranges quand j'ai réalisé ce que cette philosophie impliquait. HARA quitta le Studio expliquant qu'il ne pouvait plus suivre.



MIYAZAKI, cette année-là, nous montra les multiples facettes de son génie. Pendant qu'il s'occupait de Porco Rosso, il faisait les plans du nouveau Studio lui-même, se réunissait avec les architectes pour qu'ils soient le plus proche possible de son idée, dessinait les illustrations du Studio tel qu'il serait au final, supervisait le projet, choisissait les matériaux, et a pris la décision définitive. Un an après, Porco Rosso et le nouveau Studio étaient tous deux achevés. Presque au même moment.

Immédiatement après la sortie de Porco Rosso, Ghibli déménagea dans ses nouveaux locaux dans la ville de Koganei dans la banlieue de Tokyo. Juste pour vous tenir informer, le local de notre nouveau Studio est d'une surface de 1.100 m2 et le terrain sur lequel il est situé fait à peu près la même taille. Le bâtiment a un sous sol et 2 étages. Le deuxième étage est occupé par le département artistique, le premier par le département dessin et peinture, et le sous-sol par le département prise de vues. Au rez-de-chaussée se trouve un lieu que nous appelons le 'Bar', qui est, en fait, le point de rencontre de toute l'équipe. Cependant ce lieu est rarement utilisé comme un bar, même si, quelquefois dans l'année, on y boit. Il est utilisé la plupart du temps comme salle de conférence, ou comme cafétéria. La partie la plus remarquable de notre bâtiment est sans doute la salle de repos. Chez Ghibli la salle de repos des femmes fait le double de celle des hommes, même si le nombre d'hommes et de femmes est a peu près équivalent. Les toilettes des femmes, aussi, sont bien mieux. Peut être que c'est, pour notre architecte de MIYAZAKI, une façon de supporter le féminisme. Autres caractéristiques du Studio : beaucoup d'espaces verts et une surface réservée au parking volontairement réduite. Mais reprenons où nous en étions. Durant l'été 1992, Porco Rosso sortit en salles, et devint numéro un au box-office cette année-là, surpassant même le Hook de SPIELBERG et La Belle et la Bête des studios Walt Disney.


GHIBLI : SON CARACTERE UNIQUE

En 1993, Ghibli a fait l'acquisition de deux grandes caméras assistées par ordinateur, en même temps qu'un département de prise de vues était monté. C'était un événement que nous attendions et que nous avions planifié depuis longtemps. Avec ce nouveau département, Ghibli se transformait en un studio qui possédait tous les départements de l'animation, jusqu'à la prise de vues. C'était complètement à contre-sens de l'industrie de l'animation japonaise qui évoluait vers une séparation totale entre les départements. La raison pour laquelle Ghibli avait pris cette direction était qu'il croyait que travailler tous sous le même toit avec un objectif commun était important pour achever un travail de qualité.

En 1993, Ghibli a produit son premier film d'animation pour la télévision, The Ocean's Waves. Le réalisateur était Tomomitsu MOCHIZUKI, âgé de 34 ans à l'époque. C'était la première fois qu'une personne autre que TAKAHATA ou MIYAZAKI dirigeait un film. L'équipe de production était jeune, constituée pour la plupart par les 20-30 ans. Leur credo était de produire "vite, pas cher et de qualité". Ce téléfilm de 70 minutes obtint des résultats satisfaisants, mais il y a eu des dépassements en terme de budget et de calendrier. La télévision sera donc un domaine à développer pour Ghibli...

PomPoko, le film de 1994 dirigé par TAKAHATA, devint lui aussi le numéro un du box-office au Japon cette année-là. Dans ce film, la plus grande partie de l'animation ainsi que de grands efforts ont été faits par la jeune équipe qui avait été engagée après Only Yesterday, et qui avait littéralement grandi au sein de Ghibli. Dans PomPoko, Ghibli a, pour la première fois, employé des images de synthèses. Il n'y avait que trois plans utilisant ce système, mais nous l'utiliserons plus souvent si nous le jugeons nécessaire. L'équipe du Studio Ghibli était à présent formée de 99 personnes : 46 pour l'animation, 8 pour le dessin et la peinture, 12 pour la création, 4 pour les prises de vues, 12 pour la réalisation et la production, 5 pour la publication et le marketing, et 12 pour l'administration. Comme vous pouvez le voir, le gros de notre équipe travaille pour le département animation. La moyenne d'âge étant de 29 ans.

Comme je l'ai souvent répété, les coûts de production du Studio peuvent paraître élevés en comparaison des autres studios. Mais comme vous pouvez le constater au vue de notre organisation, la plupart des dépenses sont pour les films. C'est ce qui rend Ghibli unique. Nous pouvons nous le permettre parce qu'au contraire des autres compagnies nous dépensons moins pour les départements secondaires. C'est la philosophie de MIYAZAKI qui dit que les Japonais devraient créer eux-mêmes ce qu'ils veulent montrer à leur enfants. Donc, laissez-moi ajouter que, dans la logique de cette philosophie, le Studio Ghibli n'a jamais demandé le soutien de studios étrangers.


LE STUDIO S'EXPORTE

Je vais maintenant vous parler des activités internationales de Ghibli. Jusque-là, les sorties étrangères des œuvres du Studio étaient principalement limitées aux régions asiatiques, c'est à dire Hong Kong et Taiwan. Cela a commencé à changer il y a deux ans. En premier ce fut la sortie de Mon Voisin Totoro aux USA. Peu après, la 20th Century Fox l'a distribué en vidéo et en a vendu 56.000. Etre allé aussi loin dans l'industrie cinématographique US est un fait exceptionnel pour un film Japonais. Plus encore, le film PomPoko fut choisi pour représenter le Japon aux Academy Awards dans la catégorie Meilleur Film Etranger.

Comme beaucoup d'entre vous le savent déjà, en France le film Porco Rosso a fait son apparition dans plus de 60 salles. La voix de Porco Rosso -le personnage principal- a été doublé par le célèbre acteur Jean RENO. En fait, nous avons appris récemment que MIYAZAKI était un grand fan de Jean, et adorait le rôle de Enzo dans Le Grand Bleu. Inutile de dire que MIYAZAKI était ravi par ce casting. Notre espoir est de pouvoir vous montrer plus de Ghibli en Europe et en Amérique du Nord dans le futur. Tant que les propositions que nous recevrons seront constructives et raisonnables, nous serons heureux de les accepter. En tant que créateurs d'animation, il nous plairait énormément d'avoir le public le plus grand possible et de rendre ce public heureux, quel qu'en soit la nationalité.

Mais pour sortir nos films convenablement dans les pays étrangers, nous rencontrons beaucoup d'obstacles. La majorité des propositions que nous recevons sont des achats de droits pour la vidéo ou la télévision. Notre priorité reste que nos films sont faits pour être vus en salles. Il va sans dire que nous n'admettons aucune altération de l'œuvre que nous avons produite. Il est d'ailleurs regrettable que nous n'ayons pas eu l'expérience et la sagesse nécessaire à l'époque de Nausicaä de la Vallée du Vent parce que le film est sorti en vidéo aux USA et d'autres pays étrangers, sans que nous le sachions, dans une version courte et sous le nom Warriors of the Wind. Si jamais certains d'entre vous ont vu cette version, nous vous demandons de l'effacer de votre esprit. Il est un point que je tiens a souligner : Ghibli n'a jamais produit et ne produira jamais de films en fonction d'une stratégie de marketing dans le but de séduire le marché international. Ghibli continuera a créer dans son propre style et seulement pour le public Japonais. Et, si la situation s'y prête, nous nous tournerons vers le reste du monde.


LE FUTUR DE GHIBLI

Dans Whisper of the Heart sorti pendant l'été 1995, le Studio a essayé une composition nouvelle de son équipe : MIYAZAKI était responsable de la production, du scénario et de la coordination ; et KONDO, qui était le directeur de l'animation sur Le Tombeau des Lucioles, Kiki et Only Yesterday, s'occupait de la réalisation. De plus nous avons expérimenté, en intégrant les dernières technologies digitales dans plusieurs départements. Après Whisper of the Heart, Ghibli a commencé la production de son onzième film , Princesse Mononoké, qui sortira en 1997. Ce film, sous la direction de MIYAZAKI, sera le nouveau défi de Ghibli puisqu'il utilisera massivement les ordinateurs pour sa réalisation. Pour ce nouveau challenge, une équipe de spécialistes en images de synthèse a été monté et le matériel nécessaire pour ces images a été installé. Au même moment, nous avons invité un réalisateur en infographie de Nippon Television Network, qui avait travaillé avec nous sur PomPoko, à rejoindre notre équipe de production. L'argent que nous avons investi dans ce système représente 100 millions de yens [ND Frames : soit près de 760.000 €] pour la première année seulement. La technologie digitale qui a donné de bons résultats sur Whisper of the Heart sera utilisée de façon intensive sur ce film. Ce système donnera une plus grande profondeur aux images animées que ne le faisaient les images en deux dimensions traditionnelles. En avril 1995, Ghibli a ouvert l'"East Koganei Village School of Animation" (l'Ecole d'Animation du Village de Koganei Est) dans le but de découvrir et de former de nouveaux réalisateurs comme KONDO. Le directeur de cette école est TAKAHATA...

Il n'y a aucune garantie que Ghibli continuera d'aller aussi bien qu'il se porte actuellement [ND Frames : et effectivement, Toshio SUZUKI a annoncé le 14 juillet dernier une fermeture temporaire du studio -voir notre news]. Nous n'avons jamais oublié que chaque film apparaissait comme un nouveau défi. Continuer à innover en terme de qualité de travail, de technologie et de formation de personnel est le facteur déterminant du maintien de l'esprit du Studio Ghibli. Ceci conclut mon historique de Ghibli.

Toshio SUZUKI

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Depuis, sept ans ont passé, et de Mes Voisins les Yamada au Voyage de Chihiro, en passant par l'ouverture du Musée Ghibli le 1er octobre 2001, la renommée du Studio japonais n'a fait que s'accroître. En perpétuelle création, la société des maîtres de l'animation que sont Hayao MIYAZAKI et Isao TAKAHATA a encore de belles années devant elle. Du moins, il serait bien étonnant qu'il en soit autrement ! Cet historique établi par Toshio SUZUKI témoigne d'un Studio où ne travaillent que des passionnés. Pour tout spectateur fan d'animation, l'évocation du Studio Ghibli reste, probablement plus que tout autre studio, une invitation sur les chemins de la féerie, nous proposant tour à tour un monde allégorique (Totoro) et satirique (Mes Voisins les Yamada). L'animation demeure donc plus que jamais le refuge de l'imaginaire...

Gersende Bollut

 

"Ce à quoi Miyazaki et Takahata aspiraient était une animation réaliste et de grande qualité, qui explore les profondeurs de l'esprit humain et qui illustre les joies et les peines de la vie telles qu'elles sont"

Toshio Suzuki


















 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 






























































































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Faire un film. S'il marche, en faire un autre. S'il se plante, on arrête. C'est comme ça qu'on a commencé"

Toshio Suzuki



















































































































































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Ghibli n'a jamais produit et ne produira jamais de films en fonction d'une stratégie de marketing dans le but de séduire le marché international. Ghibli continuera a créer dans son propre style et seulement pour le public Japonais"

Toshio Suzuki