Le
Néoréalisme italien
PRÉAMBULE
Nous
poursuivons
des études en troisième année à l’école
des Mines de Paris. Dans le cadre de notre enseignement, nous avons
l'occasion de réaliser un projet personnel innovant. Appréciant
depuis peu le néoréalisme italien et ayant constaté
la difficulté de trouver des critiques journalistiques de ces
films, nous avons décidé, tout en respectant les droits
d'auteurs les plus élémentaires de réaliser un
recueil de critiques de
film de ce mouvement. Ces critiques sont surtout remarquables par le
style qui est souvent très recherché. L'analyse des films
qui y est faite est une invitation à visionner ces derniers et
à découvrir de manière plus approfondie ce mouvement.
Nous tenons ici à préciser que les droits de
reproduction de ces critiques nous ont été exceptionnellement
donnés par les services du Figaro, de l’Humanité
et du Canard Enchaîné. Ainsi toute
reproduction et diffusion des critiques de ce présent recueil
son soumises aux lois concernant la propriété intellectuelle
et peuvent donc être passibles de poursuites légales.
Charles
Blanchard et Adrien Charpentier
PRÉSENTATION
DU MOUVEMENT
Le
néoréalisme italien est un mouvement cinématographique
qui s'étend sur une petite dizaine d'années (1945-1953).
Bien qu'il soit difficile de le
déterminer de manière précise, le point de départ
en est le film Rome Ville Ouverte de Roberto ROSSELLINI sorti en 1945.
Le
néoréalisme est né à la suite d’un
moment historique exceptionnel. Après vingt années d'oppression
et de mensonges, le fascisme mussolinien
s'effondre dans les horreurs, les détresses, les humiliations
de la guerre. Ce qui caractérise principalement tous les films
de ce mouvement, c'est un retour au réel, au monde réel,
aux hommes et aux drames réels. En effet, sous la dictature fasciste
puis sous l'occupation allemande, le cinéma italien fut soumis
à une rude censure et fut de ce fait coupé des réalités
sociales et politiques. Concrètement, ce retour au réel
se traduit par un
tournage principalement en extérieur avec des acteurs non professionnels
qui parlent parfois des dialectes (comme les pêcheurs siciliens
de la terre tremble). Il impose aussi une certaine retenue, une certaine
pudeur face aux sentiments et aux émotions que l'on montre et
il évite de ce fait tout élan mélodramatique. Ce
retour au réel permet au cinéaste de se faire l'écho
des interrogations de la société italienne et de pratiquer
un examen de conscience de cette société meurtrie par
la guerre et par le fascisme.
Comme
le montre bien Barthelemy Amengual dans son introduction au néoréalisme
parue dans le numéro de CinémAction consacré à
ce mouvement. Cet examen de conscience s'accompagne d'une prise de position
face au réel que l'on montre. Cette prise de position s'est faite
selon trois tendances principales :
- Chrétienne (ROSSELLINI, De SICA,
FELLINI)
- Marxiste (De SANTIS, VISCONTI)
- Agnostique (BLASETTI, ZAMPA)
L'intention
des cinéastes néoréalistes était de faire
des films utiles, de changer la réalité en la transposant
de manière très précise à l'écran.
Il est à noter que les films néoréalistes n'étaient
pas majoritaires dans la production italienne de films de l'époque
et bien que souvent chaleureusement reçu par les critiques, ils
n'eurent que très rarement le succès populaire espéré.
Pour conclure, bien que ce mouvement fut très bref et bien qu'il
ne compte qu'une cinquantaine de films à son actif, il fut très
important pour le cinéma italien d'après guerre et lança
de nombreux réalisateurs majeurs de la seconde moitié
du vingtième siècle et servi de modèle et d'inspiration
à de nombreux autres. Cinquante ans après la fin de ce
mouvement, la démarche réaliste reste encore d'actualité.
En effet parmi les nombreux mouvements qu'il a inspiré nous pouvons
citer le cinéma social britannique représenté par
des réalisateurs comme Ken LOACH ou Mike LEIGH.
OSSESSIONE
Les amants diaboliques
Premier
film de Luchino VISCONTI, il reprend le thème célèbre
au cinéma d'un roman de James CAIN : le Facteur Sonne Toujours
Deux Fois. Le film nous raconte l'histoire d’une femme et de son
amant qui s'entendent pour éliminer le mari de cette dernière.
Ce film fut considéré comme l'acte de naissance du néoréalisme
italien (bien que l'origine du mouvement lui soit
contestée par le film, pourtant postérieur, Allemagne
Année Zéro). D'ailleurs, la légende dit que c'est
en visionnant les rushes du tournage qu'un des monteurs inventa
le terme "néoréalisme". Tourné en pleine
période fasciste, il subit les affres de la censure et souleva
à l'époque un énorme tollé. En effet, c’est
la première fois que l'on montrait à l'écran la
dure réalité des pauvres en Italie. Ce film fut interdit
dans de nombreuses salles et ce n'est qu'après la guerre que
l'on pu redécouvrir ce film qui est considéré comme
l'un des plus importants de l'histoire du cinéma. De plus, il
laisse déjà apercevoir tout le talent du jeune VISCONTI.
Revoir
Ossessione -Naissance d’un grand cinéaste : VISCONTI
Critique de l'Humanité, 14 janvier 1959
On
éprouve toujours un pincement de cœur à la redécouverte
d'un chef-d'œuvre. Ossessione, le premier film de Luchino VISCONTI,
tourné en 1942 en pleine Italie fasciste, est de ces films qui
procurent ce genre de réaction-là. Par la fenêtre
qu'il ouvre sur son époque, aussi bien que sur la personnalité
d'un auteur appelé à devenir l'un des plus grands qui,
pour son
coup d'essai, se permit de hisser une banale histoire psychologico-policière
au rang d'une véritable tragédie. Chacun sait qu'il s'agit
d'un roman de James CAIN, Le facteur sonne toujours deux fois, paru
à la veille de la guerre, dont on connaît déjà
trois autres adaptations. Du Dernier Tournant de Pierre CHENAL en 1939,
à celle de Bob RAFELSON, la dernière en date (après
celle de Tay GARNETT) présentée en France l'année
passée.
C'est Jean RENOIR qui avait fait cadeau du sujet à VISCONTI,
peu avant le
retour de ce dernier en Italie, au terme de leur collaboration. "Prends
cela,
lis le, peut-être que ça t'intéressera",
lui avait-il dit. "Ce fut précisément mon séjour
en France et l'approche d'un homme comme RENOIR qui m'ouvrirent les
yeux sur beaucoup de choses, déclara plus tard VISCONTI.
Cela me fit comprendre que le cinéma pouvait être le
moyen de s'approcher de certaines vérités, dont nous étions
très loin, surtout en Italie". En effet. Si les premières
fissures qui allaient conduire, en s'élargissant, à l'effondrement
du fascisme, commençaient à se faire jour, le cinéma
italien, avait que très peu varié. On en était
toujours aux "téléphones blancs", aux aventures,
sentimentales et autres, sans rapport aucun avec la réalité
concrète de la vie. Tout se passait dans les films à l'intérieur
d'un monde idyllique, dénué de contradictions, loin des
soucis quotidiens.
Dans ce calme plat, Ossessione produisit l'effet d’un coup de
tonnerre. Car non seulement on y voyait apparaître un couple d'amants
meurtriers du mari (ce qui ne pouvait que choquer la censure religieuse)
mais, chose plus
grave encore, on y découvrit le vrai visage de la misère
et de la médiocrité, du chômage, de l'appât
de l'argent, en un mot la critique la plus radicale qui soit de l'idéologie
du régime.
VISCONTI dû faire face à une levée de boucliers,
aidé en cela par un groupe de jeunes critiques réunis
autour de la revue Cinéma, dont le travail, se réclamant,
de façon voilée, du 'vérisme' de VERGA (le romancier
italien le plus important du siècle dernier), avait créé
les conditions de la réalisation du film. Une très grande
œuvre était née, qui ouvrait toute grande la perspective
à ce que devait être, la Libération venue, le néoréalisme,
l'école cinématographique la plus fertile d'après-guerre.
Il faut revoir, aujourd'hui, Ossessione.
François Maurin
Les
amants diaboliques
Critique du Figaro, 15 octobre 1959
Ce
film de Luchino VISCONTI tourné en 1942, suit à quelques
détails près (et parfois avec d'assez importantes variantes)
la ligne générale du roman de James Mac CAIN, Le Facteur
sonne toujours deux fois. On a vu jadis sur le même thème
un film américain, et ce n'est pas le moindre mérite de
l'œuvre de VISCONTI que de nous faire comparer le style de deux
écoles du cinéma à propos d’un scénario
sensiblement identique.
Ici,
c'est le réalisme illustré par les metteurs en scène
d'au-delà des
Alpes. Un réalisme qui rejoint même ces premiers films
où le cinéma italien
donnait de la vie populaire une image fidèle. Les ruelles de
Ferrare, les
enfants traînant le long des murs, les ménagères
bavardant. On dirait un
reportage tourné par un chasseur d'actualités filmées.
La reconstitution de
l'accident-crime, les beuveries villageoises, le dimanche avec les accordéons,
tout cela traduit le misérabilisme du "fait divers".
Défauts. De graves longueurs et une interprétation trop
appuyée de Clara CALAMAI.
P. Ms
Ossessione
-La bride sur le couple
Critique du Canard Enchaîné, n°3225,
18 août 1982
La
femme et l'amant suppriment le mari en fabriquant un faux accident d'auto.
Ils échappent à la justice mais ils sont ensuite victimes
d’un
vrai accident d'auto. On a reconnu le thème du roman de James
CAIN Le facteur sonne toujours deux fois. Thème illustré
par plusieurs cinéastes (...) Luchino VISCONTI s'en inspirant,
lui aussi, en 1942. MUSSOLINI se souciant du peuple comme de sa première
chemise noire, c'était l'époque où triomphaient,
sur les écrans italiens, des comédies bourgeoisement lénifiantes.
Luchino VISCONTI situa son film dans les milieux populaires de la vallée
du Pô. Et, tout en suivant librement la trame du livre, il évoqua
une dure réalité comme le chômage et la misère.
Scandale dans l’Italie fasciste. Le spectacle ne fut autorisé
que mutilé. Censure d’autant plus qu’absurde qu'Ossessione
rétablit, depuis lors, dans son intégralité, marquait
la naissance du néoréalisme italien. La plupart des manuels
spécialisés ont relaté ces avatars. Ce qu'on peut
ajouter, c'est que, quarante ans après le tournage, le film de
Luchino VISCONTI, fiévreusement joué par Massimo GIROTTI
et Clara CALAMAI, reste une œuvre singulière et prenante.
Les programmes d’été comportant quelques trous,
voilà une bonne reprise.
Jean-Paul Grousset
Date
de sortie :
1943 / Noir & blanc / 1 h 52 mn.
Réalisateur
:
Luchino VISCONTI.
Scénario
: Luchino VISCONTI, A PIETRANGELI et G De SANTIS, d'après
James CAIN.
Principaux
acteurs :
Massimo GINOTTI, Clara CALAMAI, Elio MARCUZZO...
ROME
VILLE OUVERTE
Film-phare
du néoréalisme, il rend hommage à la résistance
et plus généralement à tous ceux qui ont subi les
affres de l'occupation. Tourné avec des moyens de fortune, des
interprètes non-professionnels mêlés à des
acteurs confirmés, ce film suit les préceptes du néoréalisme.
Il permit aussi à ROSSELLINI de se hisser au premier rang des
cinéastes de sa génération. Ce film fut très
bien accueilli par la critique qui voyait en lui la
renaissance du cinéma italien. De plus, il rendait ses lettres
de noblesse à la résistance italienne, ce qui était
un point très fort pour cette population traumatisée après
la guerre. Cependant une partie de l'Italie fut choquée par les
propos du film car il lui renvoyait l'image de son rôle et de
son attitude ambiguë pendant la guerre. Ce film marqua l'éclosion
de Roberto ROSSELLINI comme réalisateur et la révélation
d'une grande actrice : Anna MAGNANI. Ce film reçut la Palme d'Or
du festival de Cannes en 1946.
Rome
ville ouverte -Ou la lumière nous vient d'Italie
Critique du Canard Enchaîné, 19 décembre
1946
On
savait bien que L'Espoir de MALRAUX ne serait pas sans lendemain. Mais
on commençait tout de même à trouver le temps long.
L'exemple donné par MALRAUX n'aura pas été vain.
Voici, en effet, que nous arrivent d'Italie deux films extraordinaires,
deux films bouleversants et qui nous donnent une drôle de leçon
: Rome ville ouverte et Païsa de ROSSELLINI. Je ne vous parlerai
aujourd'hui que de Rome ville ouverte puisque Païsa, le plus remarquable
à mon sens, n'a pas encore été projeté devant
le public.
Tout
de suite, je vous le dis : j'ai eu le souffle coupé par ces deux
morceaux de cinéma pur.
M. ROSSELLINI a tourné son film à la sauvette, sans aucun
moyen. Il a dû vendre ses meubles pour le terminer. Tous ses acteurs
(à l'exception de
FABRIZI –un diseur de monologue qui se montre l'égal des
plus grands– et
d'une petite chanteuse de music hall : Anna MAGNANI, qui peut
être tenue comme l'une des plus saisissantes actrices du nouveau
monde et de l'ancien), tous ses acteurs ont été pris à
tout hasard dans la foule. Et l'on ne se trouve plus ici devant ces
vedettes exigeantes et totalitaires, mais devant des types épatants
qui tournent dans l'enthousiasme et qui ont le feu sacré ! Ils
se donnent complètement, ils se fichent de leur profil, ils ne
songent ni à l'opérateur ni à leur standing
personnel. Ah ! Oui, voilà du cinéma, voilà de
l'art, voilà du génie !
Et c'est une fois de plus que l'argent corrompt les meilleurs. La pauvreté,
c'est tout de même la jeunesse, la jeunesse qui se risque, la
jeunesse qui ose, la jeunesse qui n'a rien perdre, la jeunesse inconsciente
et téméraire.
M. ROSSELLINI nous conte un épisode de la résistance italienne
avec Gestapo, torture, attentats, exécution etc.
Les gens vous disent :
- Les films sur la résistance, on en a par dessus la tête…
… Mais ils seront bien obligés d'aller voir Rome ville
ouverte. Ils ne pourront pas faire autrement. S'ils ne voyaient pas
ce film, ils ne pourraient plus parler de cinéma. Rome ville
ouverte est un film essentiel. Un film-clef. Un film historique. Parce
qu'il ne s'embarrasse pas de préjugés, parce qu'il n’a
pas pris d'habitudes, parce qu'il est un homme libre, M. ROSSELLINI
vient de rendre au cinéma un grand service. Il a rappelé
tout le monde à l'ordre :
- Qu'avez-vous tous à courir après les vedettes, à
faire de la photographie léchée, à fabriquer des
scénarios en observant des lois imbéciles édictées
par des crétins, à vous figer dans des moules de série…
Vous ne voyez pas que vous vivez de poncifs et que vous crevez étouffés…
Il y a trente ans que vous êtes enfermés dans des studios…Vous
n'avez donc pas envie d'aller voir ce qui se passe dehors. Vous avez
perdu de vue la réalité.
Le cinéma grâce à ROSSELLINI retourne à ses
sources. Son film est une succession de miracles. Il a enregistré
le son après coup, car il ne pouvait pas s'offrir le luxe d'un
camion sonore. Et l'on s'en moque complètement. L'intérêt
du film est ailleurs.
Il est dans cette vérité de tous les instants, surprise
dans le simple appareil d'une beauté qu'on vient d'arracher à
la vie. On n'oubliera pas de sitôt cette maison ouvrière
avec ses escaliers pathétiques, ses drames si simples, si dépouillés,
si familiers, pourrait-on dire. On n’oubliera pas la nuit de l'interrogatoire
avec la salle de torture d'un côté, la salle de jeu de
l'autre, et ce bureau blafard entre les deux, ce cocktail de sang et
d'alcool et cette odeur de cigare humide… On n'oubliera pas la
perquisition et cette foule sourdement révoltée. On n'assiste
pas à un film. On est mêlé à une action,
on y participe… Chaque fois qu'un personnage inconnu s'introduit
chez ces résistants on a envie de crier : "Attention, c'est
un espion !" et on a l'impression qu'on va être, d'un instant
à l'autre, arraché de son fauteuil et jeté en prison
!
M. ROSSELLINI, avec son film, a bien servi la cause de la paix. Il nous
a restitué le vrai visage du peuple italien, si cruellement déformé
par les politiciens, les mauvais acteurs et les ténors. L'Italie,
pour nous c'était les manifestations empathiques de d'Annunzio,
les spectaculaires redondances de Mussolini, les gabiriades, les scipionnades
à la Maciste quatre deux de Carmine Gallone ou de Genina, c'était
l'orgie romaine de Quo vadis et Rodomont tiré à un million
d'exemplaires. Il nous faut réviser toutes nos fausses conceptions.
Le film de ROSSELLINI, c’est un verre d'eau fraîche qu'on
jette à la figure d'un ivrogne pour le dégriser.
- Il faut revenir à soi, nous regarder en face, et nous juger
sans idée préconçue… Nous avons des défauts,
irritants sans doute, mais voici nos qualités… Fais la
part des choses et juge-nous sur des évidences.
- Oui le cinéma est un moyen de faire connaissance.
Il a beaucoup menti, beaucoup triché. Avec M. ROSSELLINI, il
se met à table et nous dit la vérité.
Date
de sortie :
1945 / Noir & blanc / 1 h 40 mn.
Réalisateur
:
Roberto ROSSELLINI.
Scénario : Roberto ROSSELLINI,
Sergio AMIDEI et Federico FELLINI.
Principaux
acteurs :
Anna MAGNANI, Marcello PAGLIERO, Francesco GRANDJACQUET...
ALLEMAGNE ANNÉE
ZÉRO
Dans
cet autre film de ROSSELLINI, le réalisateur s'intéresse
à la vie d'une famille allemande dans le Berlin presque entièrement
détruit de l'après-guerre. Il est intéressant de
noter que c'est un des rares films néoréalistes n'ayant
pas pour cadre l'Italie et qu'il a été tourné en
allemand. Bien que tourné en utilisant les méthodes qui
firent le succès de Rome Ville Ouverte, il connut un accueil
beaucoup moins chaleureux de la part de la critique. En effet, certains
lui reprochèrent ses accents beaucoup trop mélodramatiques
et trop éloignés de la réalité. Il semblait
donc que ROSSELLINI avait poussé un peu trop loin sa méthode.
Toutefois, avec le temps, la critique s'est adoucie et on reconnaît
cette œuvre comme un témoignage poignant sur l'Allemagne
d'après-guerre.
Les
Romains ont vu "Berlin an zéro"
Critique du Figaro, 14 avril 1948
Le
nouveau film de ROSSELLINI Berlin an zéro, qui vient d'être
présenté à Rome, évoque la vie d'une famille
allemande au lendemain du désastre. D'abord le cadre : une ville
en ruine, des maisons décapitées, un panorama de cailloux
sans âme. Ensuite, le "milieu" : plusieurs ménages
ont refuge dans l'un des immeubles encore habitable quoique délabré.
Le drame : c'est évidemment la misère, la faim, le problème
toujours posé, jamais résolu. Le père très
malade ne peut aider les siens. Le fils aîné, ex-combattant
nazi, qui craint l'épuration se cache et n'a pas de carte de
ravitaillement. La sœur qui engage avec les américains,
au dancing, des relations utilitaires. Enfin le petit frère
Edmund. C'est la figure centrale de l'action. Edmund cherche courageusement
à rapporter à la famille de quoi l'aider à vivre.
Puis il cède aux mauvais conseils et la tragédie commence.
Il ne semble pas ici que le metteur en scène ait été
servi par les mêmes qualités d'inspiration que dans Rome
Ville Ouverte et Païsa. On reproche au film de s'apparenter moins
à un drame qu'à un mélo assez primaire. Bref, le
film a généralement déçu.
M.M.
Un
cinéma à l'état sauvage
Critique du Figaro littéraire, 12 février
1949
Les
deux films marquants de la semaine ont des enfants pour héros
principaux. Mais des enfants arrachés par la guerre et ses suites
à leurs conditions de vie normales, le corps et l'âme répartis
à vif et paradoxalement dénaturés par ce retour
à l'état de nature. La première de ces œuvres
est Allemagne Année zéro qui fut tournée dans les
ruines de Berlin par Roberto ROSSELLINI. L'autre, Quelque Part En Europe,
signée Geza RADVANYI, nous arrive entre deux oppressions de Hongrie,
comme un bref et pathétique appel vers une liberté déjà
reperdue. Tout autant que leurs thèmes voisins rapprochent ces
films la façon dont ils ont été réalisés.
Au grand scandale des pontifes de la profession, Roberto ROSSELLINI
déclarait à Roger REGENT, lors de son dernier passage
à Paris, qu'il se refusait à savoir comment son film finirait
le jour où il commençait de le tourner. Mais il faut citer,
d'après L'Ecran Français, ces étonnantes paroles
: "Je suis incapable de travailler avec un corset. Un scénario
rigoureux qu'on suit pas à pas, un studio avec tout son équipement,
toute cette préméditation de décors et de lumière,
cela constitue pour moi ce qu’il y a de plus odieux... C'est parce
que je n'ai pas peur de la vérité et que j'ai la curiosité
de l'être humain que je fais figure de grand réaliste !
Je le suis, oui, si le réalisme c'est abandonner l'individu devant
l'appareil et le laisser construire lui même son histoire ! Dès
le premier jour de tournage, je m'installe derrière mes personnes
et je laisse ma caméra leur courir après..."
(2 novembre 1948)
A cette insolite prise de position correspond celle de Geza RADVANYI
qui
se réclama nommément de ROSSELLINI lorsqu'il s'expliqua
devant Jean Pierre VIVET pour les lecteurs de Combat : "Ce
sont les nécessités du moment qui m'ont contraint à
parcourir la Hongrie avec ma caméra et mes gosses. Je ne pouvais
faire autrement. Tous les studios étaient démolis. Mais,
en même temps, je sentais bien que ce serait cela, le cinéma
de demain. Je n'étais pas le seul. Est ce que les choses ne se
sont pas passées de la même façon en Italie avec
De SICA, ROSSELLINI et les autres ?" Et de préciser
qu'il n'avait pas de scénario pour Quelque Part En Europe : "J'avais
chargé mes gosses sur deux camions, nous avons emprunté
les routes où ils avaient vécus tant d'heures dramatiques
et nous avons en quelque sorte tourné au hasard de leur souvenirs"
(29 janvier 1949)
Et certes, il ne faut pas généraliser. Mais ce n'est pas
tout à fait par hasard non plus si les meilleures scènes
du Journal D'une Femme De Chambre de Jean RENOIR sont celles qu'il dû
improviser sur son plateau hollywoodien parce qu'il ne trouvait pas
la fin de son film ; si l'on nous affirme que l'étonnant Preston
STURGES (...) invente lui aussi, devant la caméra et si Orson
WELLES pouvait un jour affirmer à André BAZIN, Jacques
BOURGEOIS et moi même que les séquences de La Splendeur
des Amberson qui nous semblaient les plus concertées avaient
été tournées sans découpage préalable.
Disons tout de suite que la méthode est dangereuse et qu'il ne
sera jamais inutile de parer les éventuelles faiblesses de l'inspiration
grâce à un scénario minutieusement préparé.
Ainsi font René CLAIR et Georges-Henri
CLOUZOT, qui ne travaillent pas sans filet. Le premier parce qu'il ne
sépare point ces opérations complémentaires que
sont le découpage, le tournage et le montage. Le second pour
cette raison qu'il se méfie des chutes possibles de son génie.
C'est au surplus une affaire de génie et il n'y a pas de règles.
Mais il faut bien reconnaître que la méthode délibérément
empirique de ROSSELLINI, si elle le servit au maximum dans Païsa
eut avec Allemagne Année zéro des résultats infiniment
moins heureux. En revanche, ce qui est manqué dans Quelque Part
En Europe c'est la partie de son histoire que Geza RADVANYI avait arrêtée
à l'avance et où il introduit un musicien fort conventionnel.
Quels que soient les défauts de Allemagne Année Zéro
et Quelque Part En Europe, ils apportent des témoignages d'autant
plus bouleversants que nous ne pouvons faire montre à leur égard
de ce détachement qui est le notre en présence de faits
réels mais à tout jamais révolus. Si la déchéance
honteuse de ces enfants, physiquement et moralement égarés
quelque part et même un peu partout en Europe, appartient à
l'histoire, ce n'est pas seulement, hélas ! à l'Histoire
passée... Il existe à l'heure actuelle de nombreux gosses
pour se trouver dans cette abandon. Et beaucoup d'autres risquent de
venir tôt ou tard grossir le long des ruines de l'Europe leur
foule innocente et pourtant condamnée : ce sont peut être
les nôtres.
Claude Mauriac
Date
de sortie :
1947 / Noir & blanc / 1 h 18 mn.
Réalisateur
:
Roberto ROSSELLINI.
Scénario : Roberto ROSSELLINI,
Max COLPET et Carlo LIZZANI.
Principaux
acteurs :
Edmund MOESCHKE, Franz KRUGER, Barbara HINTZ...
LE VOLEUR DE BICYCLETTE
Ce
film prend le prétexte d'une anecdote des plus banales (un ouvrier
perd sa bicyclette et essaie de la retrouver dans les rues de Rome)
pour nous faire découvrir la Rome d'après-guerre. Cette
ballade, cette fresque aux accents naturalistes est empreinte de vérité
et d'émotion. Le chômeur, voleur de la bicyclette, symbolise
un monde dans lequel l'injustice sociale serait abolie. Dès sa
sortie, ce film fut unanimement salué comme étant un chef-d'œuvre.
A l'heure actuelle, il semble être un des films les plus connus
et célèbres du néoréalisme italien. C'est
un des films emblématique de ce mouvement (seul Rome Ville Ouverte
peut lui contester ce titre). Cette œuvre n'a rien perdu de son
actualité et semble même avec le temps avoir gagné
en sens et en signification. Voir
le dossier complet de Frames.
Le
Voleur de Bicyclette
Critique du Canard Enchaîné, 9 novembre
1983
Un
colleur d'affiches de Rome désemparé parce qu'on lui a
dérobé le vélo indispensable à son travail.
Dans l'Italie de 1948, cette histoire -tirée d'un livre de Luigi
BARTOLINI- n'intéressait guère le producteur. Aussi le
cinéaste Vittorio De SICA et le scénariste Cesare ZAVATINI
durent-ils se battre pour imposer leur film. Résultat : un des
spectacles les plus marquants du néoréalisme italien.
Drame du chômage, de la solitude, de la misère. Mais aussi
côté auteurs, œuvre de tendresse et de générosité.
Comme quoi les bons sentiments n'empêchent pas de faire du bon
cinéma.
J.P. Grousset
Le
Voleur de Bicyclette
Critique du Figaro, 16 mai 2003
Si
l'on se réfère aux opinions ouvertement exprimées
par René CLAIR, Marcel CARNE, BECKER, BRESSON et quelques autres
grands metteurs en scène, Le Voleur de Bicyclette a produit une
grande impression dans le milieu cinématographique français.
Jacques BECKER est allé jusqu'à dire -approximativement
-qu'une telle œuvre pourrait bien tracer au septième art
la voie de son destin véritable. Nous attendrons pour disserter
sur le nouveau film de Vittorio De SICA, que le grand public soit à
même d'en juger -échéance d'ailleurs prochaine.
Indiquons simplement aujourd'hui quelques-unes des raisons qui nous
semblent désigner en effet Le Voleur de Bicyclette comme une
œuvre importante.
Le scénario tiendrait en deux lignes sous la rubrique des faits
divers. Vittorio De SICA nous apprend que la plus simple et la plus
banale anecdote peut receler des valeurs dramatiques inattendues. Ainsi,
jadis, un savant démontrait-il que dans un sou dormaient des
puissances capables de déplacer une locomotive. Une aventure
humaine -parfois drôle, parfois bouleversante- est rendue dans
son entière signification avec quelle économie de moyens
! Deux personnages : un ouvrier et son petit garçon. L'intrigue
est constituée par des incidents de rue dont nous pourrions tout
moment devenir les témoins dans notre quartier.
Aucune scène inutile. Chaque image vient illustrer un de ces
malentendus qui font agir si souvent les foules contre l'homme solitaire,
au mépris de sa bonne foi. Chaque image vient plaider en faveur
d’une plus grande solidarité. René CLAIR a dit :
"On pense à L'Opinion Publique, de Charlie CHAPLIN"
(on pense aussi au Kid). Encore le drame est-il ici plus convaincant
et chose curieuse parce que plus sommaire. Vittorio De SICA veut rester
fidèle à la vie jusqu'au bout : le dénouement est
volontairement noir. Si l'on y réfléchit il faudrait par
un miracle, en effet, pour que les circonstances évoquées,
le victime retrouvât sa bicyclette. Vous irez bientôt voir
ce film que l'on a pas fini je crois de commenter et dont nous tenons
à féliciter chaleureusement l'auteur dès aujourd'hui.
Louis Chauvet
Date
de sortie :
1949 / Noir & blanc / 1 h 25 mn.
Réalisateur
:
Vittorio De SICA.
Scénario : Cesare ZAVATTINI, d'après
Luigi BARTOLINI.
Principaux
acteurs :
Lamberto MAGGIRANI, Enzo STAIOLA, Lianella CARELL, Gino SALTAMERENDA,
Vittorio ANTONUCCI...
RIZ AMER
Ce
film de Giuseppe De SANTIS raconte une tragédie amoureuse mêlée
à une intrigue policière, le tout sur fond de lutte des
classes. L'histoire se déroule dans la plaine du Pô, chez
les ouvrières chargées de récolter le riz. Le film,
profondément enraciné dans le réel, nous décrit
le dur labeur des filles travaillant dans les rizières piémontaises.
A travers les multiples oppositions entre les ouvrières légales
et les ouvrières clandestines, De SANTIS peut exprimer sa vision
du monde à tendance marxiste et montrer les difficultés
de la réalité de l'Italie d’après-guerre.
Ce film reçut un bon accueil, même si l'on fustige parfois
les lourdeurs de la réalisation et une intrigue aux accents trop
hollywoodiens. Ce film fut surtout remarqué par la composition
de la magnifique Silvana MANGANO, qui fut considérée comme
une des premières pin up du cinéma d'après-guerre.
Riz
Amer
Critique du Figaro, 9 septembre 1949
Voila
certainement un film qui ne passera pas inaperçu. L'on en discutera.
Déjà l'on en discute. Il présente de lourds défauts.
Il porte aussi la marque d'une personnalité sans nul doute exceptionnelle.
Riz Amer a été réalisé par un des plus jeunes
cinéastes italiens, Giuseppe De SANTIS, auquel nous devons déjà
Chasse Tragique. Dès les premières images, on sent la
présence d'un metteur en scène capable d'une singulière
virtuosité. Près de Vercelli arrivent des centaines de
femmes qui, tous les ans, à la même époque, viennent
cueillir le riz. Les trains déversent une multitude bruyante
et Giuseppe De SANTIS nous promène à travers cette foule
anonyme où déjà s'amorcent des intrigues, des drames.
C'est une sorte de foire pittoresque, étourdissante. Nous voyons
les gens aller et venir, former des courants divers, et pas une minute
nous n'avons l'impression d'avoir affaire à des acteurs. Toujours
cette magique impression de vérité que savent si bien
produire les Italiens. En quelques minutes, Giuseppe De SANTIS gagne
sa partie de metteur en scène.
L'intrigue évolue tandis que se poursuit méthodiquement
la peinture d'atmosphère. Cette peinture est jusqu'au bout captivante.
Le narrateur sans doute bénéficie d'éléments
dont l'exotisme soulève aisément l'attention. Mais il
les exploite avec un art indiscutable. Il en tire admirablement parti.
Dans la vaste plaine submergée, les femmes travaillent ayant
de l'eau jusqu'aux genoux. Elles avancent patiemment, en ligne. La tradition
veut qu'elles échangent les nouvelles d'un groupe à l'autre
par des chansons improvisées. Un conflit les oppose-t-il ? C'est
le même chant -qui porte leur polémiques, leurs imprécations.
Nous sommes vraiment dans un univers aux couleurs inédites et
dont une personne étrangère ne pourrait imaginer l'existence.
L'intrigue ? Elle était nécessaire si l'on voulait que
le film ne restât pas un simple documentaire. Et d'ailleurs elle
n'apparaît pas indésirable à proprement dire. Mais
avec l'intrigue, fort brutale et que traversent parfois de beaux accents
tragiques, surgit l'inévitable bandito qui s'avise de
tout contaminer, interviennent les poncifs du réalisme sordide
et se manifestent les outrances non moins habituelles du cinéma
italien. L'affaire se termine par un duel à mort, dans le local
de la ferme affecté la boucherie, par un véritable bain
de sang digne du film hollywoodien le plus violent. Une des jeunes femmes
plongera spectaculairement dans le vide après avoir gravi le
haut échafaudage qui domine la rizeraie. Notons qu'en cours de
route ce réalisme a bifurqué volontiers vers les thèmes
scabreux.
En somme, on retrouve ici les mêmes qualités et les mêmes
défauts dont témoignait déjà Chasse Tragique.
Défauts grossis et qualités qui gagnent en robustesse.
On ne sait pas au juste où peuvent conduire ces progrès
de l'auteur. Il est toutefois certain que si Giuseppe De SANTIS arrive
un jour à démêler son art, il pourra devenir un
personnage cinématographique des plus importants. Déjà
quelque chose le sauve presque : l'enthousiasme peu banal avec lequel
il mène jusqu'au bout chacune de ses entreprises. Il est rare
de voir un metteur en scène se donner aussi totalement à
son œuvre et montrer un tel courage, même dans l'erreur.
Parmi les interprètes, on remarque l'exceptionnelle beauté
de Silva MANGANO qui est, si l'on veut, la Joan RUSSEL italienne. Doris
DOWLING, actrice d'origine américaine, réussit une création
de celles qui annoncent une intéressante carrière.
Louis Chauvet
Riz
Amer
Critique du Canard Enchaîné, 22 juin
1983
Image
mémorable de ce film tourné en 1948 par Giuseppe De SANTIS
: la sensuelle Silvana MANGANO plongée dans la boue jusqu'aux
cuisses. Cette "mondine" -ouvrière agricole temporaire-
n'est pas seule. Comme elle, des centaines de femmes, pour un maigre
gain, s'acharnent au labeur dans les rizières de la plaine du
Pô.
A l'exposé de leur condition s'ajoute un fait divers. Bien qu'il
soit joué par Ralf VALLONE et Vittorio GASSMAN, il est passablement
mélo. Reste la partie forte du spectacle : un pamphlet contre
l'exploitation des humbles. Rien que pour ça, Riz Amer méritait
cette reprise, ou plutôt ce repiquage.
Date de sortie :
1948 / Noir & blanc / 1 h 48 mn.
Réalisateur
:
Giussepe De SANTIS.
Scénario : Carlo LUZZANI et Gianni
PUCCINI.
Principaux
acteurs :
Vittorio GASSMAN, Silvana MANGANO, Doris DOWLING, Raf VALLONE...
SCIUSCIA
Premier
film néoréaliste de Vittorio De SICA, qui fut un des principaux
animateurs de ce mouvement. En racontant l'errance de deux misérables
jeunes garçons cireurs de chaussures, il dresse un portrait réaliste
mais critique de l'Italie d'après-guerre (cette caractéristique
se retrouve dans de nombreux autres films de De SICA). Comme les autres
films de De SICA présentés dans ce dossier, ce scénario
fut écrit en collaboration avec Cesare ZAVATTINI qui est considéré
comme le théoricien, l'homme le plus impliqué et représentant
le mieux le néoréalisme italien. Ce film fut très
bien accueilli à sa sortie, mais plus tard, il a souffert de
la comparaison avec les autres réalisations de De SICA que sont
Umberto D, le Voleur De Bicyclette et Miracle à Milan. Par conséquence,
il a perdu un peu de sa notoriété et il est réservé
maintenant à un public de cinéphiles avertis.
Sciuscià
Critique de l'Humanité, 3 avril 1957
Le
studio 43 reprend à partir d'aujourd’hui, et pour une semaine
seulement le grand film de Vittorio De SICA : Sciuscià. Voici
comment Calo LIZZANI dans son ouvrage sur Le Cinéma Italien (éditeurs
français réunis) parle de ce film qui marque un tournant
dans l'œuvre de Vittorio De SICA. "Dans tout le film on
sent vibrer, en même temps qu'une note amère et désespérée
un frémissement de vitalité, un désir farouche
de sérénité et de joie, un appel angoissé
à la compréhension humaine. De tout le film se dégage
un sentiment de révolte qui s'adresse non seulement à
ceux qui en sont les responsables directs, mais à la société
elle-même. A travers le problème de l'enfance abandonnée
et dévoyée, l'accusation veut porter sur les bases même
d’un système de vie, et c'est pourquoi elle se fait ardente
et frappe tous ceux qui ne savent pas tirer de nos malheurs l'occasion
de faire un examen personnel, la raison d'un renouveau et d'un progrès.
L'utilisation abondante des extérieurs, l'emploi de nombreux
acteurs non professionnels confèrent ainsi a Sciuscià
une liberté de pensée particulière et une innocence
qui étonnent surtout les étrangers et qui font crier au
chef d'œuvre".
Sciuscià
Critique de l'Humanité, 28 septembre 1984
Premier
d'une trilogie phare du néoréalisme italien, Sciuscià
sera suivi du très célèbre Voleur de Bicyclette
et de Miracle à Milan, films à la double signature : Vittorio
De SICA pour la réalisation, mais aussi Cesare ZAVATTINI, scénariste
et théoricien. La réédition aujourd'hui de Sciuscià
grâce au dynamisme d’un "petit" distributeur se
justifie d'autant plus que le film était, commercialement du
moins, en voie de perdition. Mais tout autant parce qu'il s'agit de
l'une des œuvres les plus sensibles du cinéaste-comédien.
Sur le décor, cassé, d'une Italie en ruines, De SICA se
montre poète de l'enfance. Sciuscià est le cri, la formule
qu'ils espèrent magique avec laquelle les enfants abandonnés
de l'après-guerre, devenus cireurs de souliers, tentent d'arrêter
le grand et riche soldat américain qui passe. "Shoe
Shine" croient-ils dirent. Un cri d'enfant, le cri d'un pays
aussi, répercuté à l'infini depuis quarante ans,
dont l'écho rebondit encore et maintenant du côté
de l'Amérique latine. Un cri sans fin, hélas ! C'est pourquoi
nous l'entendons toujours aussi bien.
C.S.
Sciuscià
Critique du Canard Enchaîné, 3 octobre
1984
"Shoe
Shine", disaient les Américains voulant faire briller
leurs souliers. "Sciuscià", traduisirent les petits
cireurs italiens. Situé dans la Rome de l'immédiat après-guerre,
le film tourné en 1946 par Vittorio De SICA, d'après un
scénario de Cesare ZAVATTINI, relate la mésaventure de
deux
de ces gosses. Sur fond de bouleversement historique et de misère
sociale, maints déboires jalonnent leur itinéraire de
la rue à la prison. Sciuscià n'est pas une œuvre
aussi accomplie que le Voleur De Bicyclette ou Umberto D., des mêmes
auteurs. Les amateurs de néo-réalisme peuvent néanmoins
y trouver chaussure à leur pied.
J.P. Grousset
Date
de sortie :
1946 / Noir & blanc / 1 h 30 mn.
Réalisateur
:
Vittorio De SICA.
Scénario : Cesare ZAVATTINI.
Principaux
acteurs :
Rinaldo SMERDONI, Franco INTERLENGHI, Annielo MELE, Bruno ORTENSI...
UMBERTO D.
Après
avoir décrit la misère des enfants dans Sciuscià
et celle des ouvriers dans le Voleur de Bicyclette, De SICA nous raconte
dans ce film poignant la misère des personnes âgées.
En effet, il s'agit ici de raconter la solitude d’un vieillard
isolé, qui n'a plus assez d'argent pour payer son loyer et qui
voit en son chien son seul et unique ami et confident. Ce film, tourné
juste après le Voleur de Bicyclette reçut un accueil critique
des plus mitigés. Certains y virent l'aboutissement, l'accomplissement
de la démarche néoréaliste de De SICA. Ce film
était pour eux un portrait des plus poignants de la tragédie
d'une époque. D'autres regrettèrent l'aspect très
sec de ce film, au héros peu attachant et à l'intrigue
des plus simples, presque inexistante. Il reste maintenant comme une
oeuvre majeure de De SICA et il marque la fin des grands films néoréalistes
de cet auteur.
Un
savant collabore au vérisme
Critique du Figaro, 11 octobre 1952
Un
détail pittoresque à propos du film italien Umberto D.
qui vient d'être présenté au profit des classes
moyennes. Le rôle principal, celui du vieux retraité condamné
à la misère, est interprété par le professeur
Carlo BATTISTI, directeur de l'Institut de philologie de l'Université
de Florence, membre de plusieurs académies étrangères.
Le film terminé, le professeur BATTISTI reprit fort simplement
son travail habituel : la rédaction du dictionnaire étymologique
italien, dont il s'occupe depuis vingt-cinq ans…
Umberto
D.
Critique de l'Humanité, 14 octobre 1952
Umberto
D. est le dernier film de la grande trilogie conçue par Cesare
ZAVATTINI et Vittorio De SICA pour faire sentir le plus fortement possible
aux spectateurs de monde entier la profonde misère de l'Italie
d'aujourd’hui. Après Sciuscià : la misère
des enfants innocents poussés au vol et au crime par la guerre,
l'occupation, le régime stupide des pénitenciers : après
le Voleur de bicyclette : la misère des ouvriers réduits
au chômage par l'aide généreuse du plan Marshall,
voici Umberto D. : la misère des vieux dans la société
capitaliste. "Dans une société, nous dit
le scénariste lui-même, qui ne respecte ni
l'homme ni la vieillesse, une société qui veut se fonder
sur les seules mathématiques de l'argent, sur les seuls pourcentages
et les seuls chiffres des bilans."
Pendant 30 années, employé dans un ministère, Umberto
a servi loyalement l'Etat, mais l'Etat se moque de lui maintenant ;
il a beau être seul, sans frères ni enfants pour l'aider
un peu, la pension qu'on lui verse lui suffit à peine à
faire vivre son chien, son seul ami, et la police motorisée du
chrétien de Gasperi le repousse avec violence lorsqu'il manifeste
timidement dans la rue pour une augmentation. A l'hôpital, les
sœurs ne le gardent que quelques jours car il n'est pas assez mal,
et encore, qu'il dise bien fort son chapelet ; sa logeuse le chasse
et personne autour de lui ne peut ou ne veut le secourir, sauf la petite
bonne Maria, presque aussi malheureuse et isolée que lui, malgré
sa jeunesse… Finalement, comme tant de vieux dont nous apprenons
tous les jours le suicide dans les journaux, Umberto se sent peu à
peu acculé à la mort, et c'est uniquement parce que son
chien, lui, ne veut pas mourir que, ne trouvant personne à qui
le donner ou le vendre, et ne pouvant se résoudre à le
laisser tuer à la fourrière, il se laisse aller de nouveau
à essayer pauvrement de vivre, de vivre…
De vivre comment ? Le film ne le dit pas. Il est admirablement mis en
scène et interprété avec une vérité
minutieuse dans le moindre détail, une émotion souvent
bouleversante (comme dans les scènes muettes du vieil
homme essayant de mendier, ou de la jeune Maria se rappelant au réveil
qu'elle est enceinte, que son enfant n'aura sans doute pas de papa,
ni elle de mari, qu’elle n’a presque aucune perspective
d'amour heureux).
Cependant, Umberto D. finit mal, reconnaît ZAVATTINI, ou plutôt
il n'a pas de solution. Car pour moi, la solution aux problèmes
d’Umberto c'est le public qui doit la donner. Le spectacle continue
dans la salle, les spectateurs sont les acteurs qui dénouent
le drame.
De quelle façon le spectateur que je suis peut-il dénouer
le drame,
comme l'y invite ZAVATTINI ? En se disant : "Les pauvres vieux
désespérés
comme le héros de ce film sont légion dans mon pays. Il
faut donc lutter
pour que le monde leur soit meilleur." Alors le film désespéré
aura au contraire une vertu tonique. Le rôle du cinéma
serait de suggérer plus nettement ce dénouement et de
montrer les germes d’espoir au cœur du
désespoir. ZAVATTINI et De SICA n'ont pas pu –ou peut être
pas voulu– le faire. Le film s'en ressent d’ailleurs aussi
sur le plan esthétique. Il est extrêmement lent, son récit
est uniquement linéaire. Le cœur ne suffit pas à
tout, si aimant soit-il. Dans l'art comme dans la vie, il n'y a pas
de vraie grande œuvre sans action.
Pol Gaillard
Tragédie
personnelle, tragédie d'une époque
Critique du Figaro, 15 octobre 1952
Voici
la deuxième tragédie à un personnage présentée
(dans la ligne de CHAPLIN) par Vittorio De SICA et Cesare ZAVATTINI.
Déjà le héros du Voleur de Bicyclette connaissait
une mésaventure qui, superficiellement banale, exprimait avec
d'étranges résonances le drame de l'homme seul. Dans Umberto
D. le principe est le même. Il s'agit du vieux retraité
qu'une époque inhumaine condamne à déchoir dans
la misère. Son destin laisse le reste du monde indifférent.
Umberto Domenico Ferrare porte encore les habits de son ancienne condition
bourgeoise. Il essaie de mendier et ne peut pas (c'est une des scènes
les plus extraordinaires du film). Il devient la bête noire d’une
logeuse louche qui voudrait le jeter à la rue. Ses anciens amis
l'abandonnent. Une petite servante accorde à ce "maudit"
un peu de compassion, mais limitée par un égoïsme
juvénile, presque inconscient. Umberto n'a d'autre ami sur terre
que son chien.
Voilà toute l'histoire. Où donc réside le mobile
"tragique" ? Dans l'âme du héros, si bien fermée
d'ailleurs que nul ne soupçonne les mouvements intimes. Nous
sommes donc à l'opposé des conceptions théâtrales.
Ici les protagonistes ne créent pas le drame par un jeu d'intrigues
directes. Les liens entre eux et le héros sont invisibles. Nous
n'arrivons à comprendre les affres du vieil homme que par l'intermédiaire
de la caméra qui permet au cinéaste un insistant et minutieux
travail d'analyse et nous permet de lire au-delà des apparences.
Chose inconcevable sur une scène.
Avec l'art, le tact et l'intelligence du "vérisme"
qu'on leur connaît, De SICA et ZAVATTINI parviennent à
nous démontrer de cette manière que l'âme d'un passant
anonyme peut recéler des secrets aussi bouleversants, aussi
dignes des soins du dramaturge que celle, plus spectaculaire, de Hamlet
ou
de Macbeth. A cet égard, le Voleur de bicyclette, Umberto D.
me semblent
ouvrir des tentatives d'une rare importance.
Le second film plus encore que le premier. Car ici nous trouvons un
cas
moins "singulier" -je veux dire moins rare. Des milliers d’hommes
connaissent aujourd'hui le sort de Domenico Ferrare. Ils ne furent jamais
ni plus nombreux ni plus menacés par un déséquilibre
économique devenu la maladie chronique du monde. Umberto D.,
ce n'est donc pas seulement la tragédie d'un personnage, mais
la tragédie d'une époque.
Louis Chauvet
Tragédie
personnelle, tragédie d'une époque
Critique du Figaro Littéraire, 18 octobre
1952
Umberto
D., film admirable mais inégal et à divers titres manqué,
nous paraît supérieur à bien des œuvres formellement
plus parfaites, ne serait-ce qu'à Miracle à Milan, des
mêmes auteurs. Vittorio De SICA est un des très grands
hommes vivant du cinéma, et il existe peu de scénaristes
auxquels l'art de l'écran doit autant qu'à Cesare ZAVATTINI.
C'est compte tenu de cette double prééminence que j'avais
cru nécessaire de faire de graves réserves sur Miracle
à Milan, précisément. Le premier quart d'heure
du film était d'une telle beauté et si profondément
digne de Sciuscià et du Voleur De Bicyclette qu'il accusait la
relative inauthenticité des séquences suivantes. Rien
de semblable avec Umberto D., dont les faiblesses et les défaillances
nous semblent elles-mêmes exemplaires, dans la mesure où
elles témoignent de l'émouvante honnêteté
d'une inspiration qui n'essaye pas de camoufler artificiellement ses
manques.
Nos auteurs ont renoncé ici au néo-surréalisme
de Miracle à Milan pour retrouver le néo-réalisme
de leurs œuvres antérieures. Contrairement pourtant à
beaucoup de films italiens dits néoréalistes, le scénario
de Umberto D. apparaît centré autour d'un sujet dont la
construction et le traitement sont classiques. Sujet que l'on serait
du reste tenté de critiquer en raison de son peu contestable
caractère mélodramatique, si on ne s'apercevait très
vite que l'essentiel du film et son véritable apport sont ailleurs.
Non pas dans l'histoire de ce retraité acculé par la misère
au suicide, mais dans les innombrables détails de sa vie et de
celle des êtres qui s'y trouvent plus ou moins mêlés.
Dans Umberto D., c’est le sans importance qui est important.
Une jeune fille et un chien jouent dans l'action, mais en marge d'elle,
un rôle presque aussi central que celui de Umberto Domenico Ferrari
dit Umberto D. Et si le vieil homme lui-même nous émeut,
c'est moins à cause
de la crise décisive qu'il traverse, thème apparent du
film, que de ses faits et gestes familiers, recommencés depuis
des années. Bref, sa façon de vivre nous intéresse
davantage que sa façon de mourir. De même que nous
attachons plus de prix à la manière dont la jeune fille
mal réveillée fait
devant nous, longuement, minutieusement, distraitement, le café
matinal,
qu'à ses soucis de fille-mère. Non que nous ne participions
aux angoisses de ce vieux fonctionnaire auquel sa retraite ne permet
pas de vivre, ou au
désespoir de cette fille abandonnée : mais ce sont là
des sujets faciles dont le pouvoir sur notre sensibilité est
naturellement si grand que nous avons scrupule d'y céder. Tandis
que l'amour d'un vieillard solitaire pour son chien, la monotonie, la
vie d'une jeune bonne, des travaux ménagers chaque matin retrouvés,
sont des sujets neufs, aussi bouleversants, pour qui sait voir, que
les plus tragiques aventures. Mais nous savons voir pour cela seulement
que Vittorio De SICA et Cesare ZAVATTINI nous ont ouverts les yeux.
Le cinéma, art partiellement et peut-être même secondairement
spectaculaire, nous révèle ici son éminente dignité,
qui est de nous obliger à remarquer enfin ce qui nous crevait
les yeux, oui, au point de nous rendre aveugles : la vie quotidienne
; la nôtre et celle des autres.
Mais il ne s'agit pas ici de notre existence à nous, pour le
moment et
depuis si longtemps préservés. Il s'agit de la vie d'êtres
qui ont faim, qui ont froid et qui sont seuls. Et c'est ici que Vittorio
De SICA et Cesare ZAVATTINI gagnent définitivement la partie.
Nous avions tendance à crier au mélo. Mais l'accumulation
des détails vrais, montrés à neuf par des poètes,
authentifie à mesure une histoire qui nous semble suspecte pour
cette seule raison qu'elle nous avait été mille fois racontée
de façon suspecte ; fausse parce qu’elle avait été
dite d'une foi fausse. Ce qui est banal ne cesse pas pour autant d'être
vrai. C'est un fait qu'un peu partout dans le monde, les petits retraités
meurent à la lettre de la faim. Et que le désespoir submerge
l'innocence trahie. Dans Umberto D., le mélo s'efface ; il reste
le drame.
La seule vrai faiblesse du film est qu'il finit sur une pirouette. Vittorio
D. est sauvé du suicide par son chien. Mais son nouvel amour
de la vie est trompeur, puisqu'aucun problème n'est réglé
et qu'il n'a pas plus qu'auparavant la possibilité matérielle
de vivre. Quant aux temps morts de
l'œuvre, aux moments où le courant ne passe pas, ils sont,
il faut le répéter, la rançon de l'honnêteté
des auteurs, "qui tâcheront de faire mieux la prochaine fois".
Il faut laisser ici la parole à ZAVATTINI. Il déclarait
récemment à André BAZIN, lequel nous l'a rapporté
dans les Cahiers du Cinéma : "Ce n'est point le principe
esthétique qui est en cause (dans les défaillances de
Umberto D.), mais seulement son usage. Plus le scénariste se
refuse aux catégories dramatique et spectaculaires, plus il entend
conformer son récit à la continuité vivante de
la réalité, plus le choix des infimes évènements
qui en font la trame devient délicat et problématique.
Que je vous aie ennuyé avec l'angine d'Umberto, si je vous ai
ému aux larmes avec le moulin à café de ma petite
héroïne prouve seulement que j'ai su choisir la deuxième
fois ce que je n'ai pas su imaginer la première."
Date
de sortie :
1951 / Noir & blanc / 1 h 20 mn.
Réalisateur
:
Vittorio De SICA.
Scénario : Cesare ZAVATTINI.
Principaux
acteurs :
Carlo BATTISTI, Maria Pia CASILIO, Gina GENNANI...
I
VITELLONI
Ce
film est un des films de jeunesse de Federico FELLINI (il a alors seulement
33 ans). Le jeune FELLINI a jusque là collaboré à
l'écriture de nombreux films de ROSSELLINI tels que Rome Ville
Ouverte ou Paisa. Dans les Vitelloni (les inutiles), il nous narre l'histoire
d'un groupe de désœuvrés traînant leur inutilité
dans une petite ville de province. Ils ont la trentaine, sont entretenus
tant bien que mal par leur famille. Ils ne savent pas très bien
ce qu'ils voudraient faire, ils n'ont pas été au bout
de leurs études et
attendent une hypothétique proposition qui les amènerait
à Rome ou à Milan pour avoir une situation prestigieuse.
Ce film laisse déjà paraître des thèmes chers
à FELLINI. En effet, on y trouve le baroque, la fête, l'insolite
à chaque coin de rue, tout en gardant une approche néoréaliste
du cinéma
(approche que FELLINI délaissera par la suite). Cette œuvre
reçut un accueil très chaleureux et fut acclamée
à Venise, mais fut accueilli beaucoup plus froidement en France...
en raison d'un doublage de mauvaise qualité semble-t-il.
I
Vitelloni
Critique du Figaro, 29 avril 1954
A
Venise, l'été dernier, nous avions vu sur l'écran
du Lido un film charmant, I Vitelloni, réalisé par un
jeune cinéaste italien, Frederico FELLINI. L'ouvrage évoquait
un groupe d'oisifs traînant leur inutilité dans une petite
ville : piliers de café, mythomanes au petit pied, rêveurs
impénitents, quêteurs d'aventures entraînés
parfois à commettre certaines extravagances. Personnages pitoyables
et comiques, peints avec une ironie judicieuse et sans cruauté.
Le film est actuellement projeté sur un écran des Champs-Élysées.
Il s'intitule en France Les Inutiles. J'ai bien failli ne pas le reconnaître.
Les huit dixièmes de ses qualités originales ont disparu.
Je m’empresse de préciser qu'il s'agit d'une coproduction.
Vous avez compris ? Les rôles principaux furent confiés
à des acteurs italiens (dont FELLINI lui-même). Quelques
rôles épisodiques échurent à des français
(dont Jean BROCHARD) qui, dans la version vénitienne étaient
doublés ; inconvénient sensible mais relativement supportable.
A l'usage de notre public, on a poussé le travail beaucoup plus
loin. BROCHARD parle sa propre langue. Mais les protagonistes italiens
sont doublés en français. Résultat : navrant. La
saveur de l'ouvrage tenait à l'ironie volubile des protagonistes,
à leur langage, à leur accent. Le talent des acteurs visibles
est remplacé par je ne sais quel baragouin de syllabes françaises
tout au plus dignes d'un mauvais western. Certains gestes ou mimiques
n'ont plus aucun sens. L'une des idées cocasses de l'auteur consistait
à faire pleurnicher "comme un veau" tel ou tel de ses
grands garçons. Les mêmes pleurnicheries traduites en français
rendent un son navrant. On rit encore, mais cela frise l'emboîtage.
L'œuvre de FELLINI contient suffisamment de jolies qualités
pour qu'après un tel massacre il en subsiste quelque chose. Elle
n'arrive pas moins défigurée, méconnaissable. Et
ce nouvel exemple prouve qu'il n'est plus possible de tolérer
une technique aussi monstrueuse. Que l'on arrange comme on voudra les
mélos bilingues du genre Fille Dangereuse. Mais lorsqu'un film
présente un minimum d'intérêt, il faut choisir d’autres
méthodes.
Louis Chauvet
I
Vitelloni
Critique du Figaro Littéraire, 1er mai
1954
Les
Vitelloni. Trompé par sa présentation sur un écran
des Champs-Élysées, j'ai eu le tort d'aller voir la version
française de ce film. Il faudra recourir à la copie italienne
originale (qui passe dans une salle des
Boulevards) pour vérifier le bien fondé des compliments
que reçut à Venise (en même temps qu’un prix)
cette œuvre de Federico FELLINI. Telle qu'elle
m'a été présentée, elle est dénaturée
par le plus malhabile doublage qui ait
peut-être jamais été enregistré. Il en résulte
que la maladresse de la post-synchronisation contamine la mise en scène
: le cinéaste est lui-même ridicule là où
il prenait le ridicule pour sujet. Au lieu de sourire avec connivence
de ses traits, la salle pouffe de rire à ses dépends.
Un coup pour rien et que je vous dispense de jouer.
Date
de sortie :
1953 / Noir & blanc / 1 h 43 mn.
Réalisateur
:
Federico FELLINI.
Scénario : Roberto ROSSELLINI, Max
COLPET, Carlo LUZZANI.
Principaux
acteurs :
Franco FABRIZI, Franco INTERLENGHI, Eleonora RUFFO, Alberto SORDI...
Recueil
constitué par Charles Blanchard et Adrien Charpentier
Corrections, rectificatifs et photos de Gersende Bollut
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"Le
Voleur de Bicyclette est un des premiers exemples de cinéma pur.
Plus d'acteurs, plus d'histoire, plus de mise en scène, c'est-à-dire
enfin dans l'illusion esthétique parfaite de la réalité
: plus de cinéma"
André
Bazin
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